Procès de l’affaire Bettencourt : petite généalogie d’une incroyable histoire française<!-- --> | Atlantico.fr
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Liliane Bettencourt, la femme la plus riche de France, actionnaire principale de l’Oréal.
Liliane Bettencourt, la femme la plus riche de France, actionnaire principale de l’Oréal.
©Reuters

Dallas-sur-Seine

De Balzac aux enregistrements clandestins en passant par les “révélations” de l’ex-comptable... Au menu du procès de l’affaire Bettencourt, règlements de compte, jalousies, haines et mensonges - partie 1

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Le 26 janvier devrait démarrer pour un mois, devant le Tribunal correctionnel de Bordeaux, le procès de l’affaire Bettencourt… sauf si François-Marie Banier obtient son report
  • Outre Banier, seront présents sur le banc des prévenus,  l’ancien gestionnaire de fortune de Mme Bettencourt, Patrice de Maistre et Eric Woerth, ancien trésorier de l’UMP
  • Ils sont soupçonnés d’avoir profité  de la vulnérabilité de Liliane Bettencourt, principale actionnaire de l’Oréal, et femme la plus riche de France avec une fortune estimée à plus de 20 milliards d’euros
  • Ces accusations reposent en grande partie sur les témoignages de  membres du personnel de Mme Bettencourt, notamment de son ex-comptable, Claire Thibout…
  • Or cette dernière se trouve mise en examen pour faux témoignage dans une procédure suivie par le  juge parisien Roger Le Loire. Un casse-tête pour le Tribunal correctionnel de Bordeaux ?
  • Dans cette affaire, Nicolas Sarkozy avait  été entendu comme témoin assisté, puis mis en examen avant de bénéficier d’un non-lieu. Après un bras de fer musclé avec le juge d’instruction bordelais.

Le procès, à Bordeaux, de l’une des plus  médiatiques affaires politico-financières de la Vème République doit s’ouvrir à partir de ce lundi 26 janvier. D’entrée de jeu, les débats risquent d’être tendus. L’un des principaux prévenus, le photographe-écrivain François-Marie Banier demandera le report du procès. Pour cause de mensonge de sa principale accusatrice, Claire Thibout, l’ex-comptable de Liliane Bettencourt… Il  n’est pas certain que le Tribunal correctionnel accepte sa requête. Plongée au cœur d’une histoire balzacienne…

C’est un procès hors norme qui doit s’ouvrir ce lundi 26 janvier devant le tribunal correctionnel de Bordeaux présidé par Denis Roucou. Un magistrat réputé pour son urbanité et sa fermeté.  Aux cours de ces audiences, il sera beaucoup question d’argent.  De jalousie. De politique. De règlements de compte. De mesquinerie. Et aussi d’une instruction controversée. A l’issue du procès destiné à durer un mois, le tribunal devra répondre à cette question : les prévenus  ont-ils oui ou non abusé de la faiblesse de Liliane Bettencourt, la femme la plus riche de France, actionnaire principale de l’Oréal ? Le juge d’instruction bordelais Jean-Michel Gentil  qui a instruit cette histoire balzacienne a, par avance, dans son ordonnance de renvoi de 264 pages -qu’Atlantico a lue- rendue le 7 octobre 2013, répondu : c’est oui. Une réponse qui ne satisfait pas, mais pas du tout, les avocats des prévenus, notamment Mes Laurent Merlet et Pierre Cornut-Gentille pour François-Marie Banier ainsi que  Mes Jacqueline Laffont et Pierre Haïk pour Patrice de Maistre, gestionnaire de fortune de Liliane jusqu’en 2010.  Aussi, d’entrée de jeu, dès 10 heures du matin, ce lundi 26 janvier, les avocats de Banier, l’écrivain- photographe qui sera malgré lui la vedette de ces trente jours d’audience soulèveront-ils une QPC (Question prioritaire de constitutionnalité), estimant qu’une personne, en l’espèce Banier ne peut  se livrer à une opération d’auto-blanchiment telle que le juge le croit- ce qui est inconstitutionnel.*

Mais surtout,  ils demanderont un sursis à statuer  au tribunal. Pour une raison simple : étant donné que  les charges contre Banier reposent  en grande partie sur les affirmations de l’ex-comptable de Liliane Bettencourt, Claire Thibout, et que celles-ci  viennent d’être sérieusement écornées –par sa mise en examen à Paris pour faux témoignage -révélée par Atlantico le 28 novembre 2014 (voir ici)- il n’est pas possible qu’un Tribunal juge Banier. Un argument fort et de bon sens. Le président fera-t-il droit à cette requête ? Tout pronostic serait hasardeux…

Liliane Bettencourt comparée  à la mythique actrice italienne Silvana Mangano

Durant ces audiences, on parlera beaucoup d’une femme aujourd’hui âgée de 92 ans, l’élégance même - que Banier, son ami, son confident, comparait à la mythique Silvana Mangano-… C’est Liliane Bettencourt, veuve d’André, ancien ministre du général de Gaulle. Aujourd’hui sous tutelle- son tuteur,  Olivier Pelat, est le fils d’un très proche de François Mitterrand, impliqué dans la célèbre affaire Péchiney-  Mme Bettencourt sera absente. A travers elle, on évoquera pêle-mêle, la vie publique de ces cinquante dernières années, les amitiés diverses et variées du couple, Pierre Mendès-France, François Mitterrand et bien sûr Nicolas Sarkozy, soupçonné par le magistrat d’avoir bénéficié de quelques libéralités de Liliane. Libéralités finalement non démontrées puisque l’ancien chef de l’Etat a bénéficié d’un non- lieu…

Seront évoquées aussi les relations conflictuelles entre une mère et sa fille Françoise Meyers, à l’origine de toute cette affaire qui depuis 7 ans passionne journaux et opinion publique. Seront évoquées encore ces courtisans flatteurs virevoltant autour de la vieille dame. Et aussi ce personnel, jaloux  de Banier, souvent très bien rémunéré, n’hésitant pas à mentir et à jouer les Fouquier-Tinville dans l’hôtel particulier de la rue Delabordère de Neuilly-sur-Seine… Balzac au XXIème siècle. Ce n’est pas pour rien que défileront  devant le tribunal, Mes Patrice Bonduelle et Jean-Michel Normand, deux notaires soupçonnés de vilénies…Convoqué aussi l’infirmier de nuit de Liliane, Alain Thurin peu regardant sur les principes. Il connait mieux que quiconque l’état de Liliane. Eh bien, il accepte être bénéficiaire, par testament, d’une assurance-vie de 10 millions d’euros ! Balzac encore. Et l’argent. Omniprésent. Oui, un feuilleton extraordinaire qui n’aurait jamais dû franchir les portes de l’hôtel particulier de Neuilly. Jusqu’à ce que le majordome de Liliane Bettencourt, Pascal Bonnefoy, prenne une initiative folle : en 2009,  il pose un dictaphone dans le salon où Mme Bettencourt reçoit ses invités. Pendant un an. Toutes les conversations de la vieille dame avec ses avocats, son gestionnaire de fortune, Patrice de Maistre font l’objet d’un enregistrement sauvage. Un voyage au cœur de la famille Bettencourt. Où l’on découvre une atmosphère surprenante débouchant sur des haines. Comme celle dont fait l’objet François-Marie-Banier de la part de membres de l’entourage de la vieille dame. Mais surtout on apprend que les Bettencourt financeraient Nicolas Sarkozy, qu’ils possèdent une île aux Seychelles, l’île d’Arros, qu’ils détiennent des comptes coquets en Suisse (environ 100 millions d’euros) appelés à être déplacés du côté de Singapour… On y apprend encore que Liliane Bettencourt et sa fille Françoise Meyers  entretiennent des relations disons médiocres… 

Les enregistrements sauvages du majordome qui déclenchent tout

Quelques jours après avoir été remis à la Brigade financière, ces enregistrements sauvages fuitent opportunément dans la presse, notamment au Point et à Mediapart. Tout au long du mois de juin 2010, les plaintes pour atteinte à la vie privée se multiplient. Que ce soit celles de François-Marie Banier, Patrice de Maistre, Liliane Bettencourt… Et de Xavier Monnet, médecin personnel de Liliane, qui selon Le Point, "accompagne cette dernière en vacances et reçoit 55 000 euros en espèces." Dans la moiteur de cet été 2010, le procureur de Nanterre, Philippe Courroye ouvre une enquête préliminaire. L’affaire Bettencourt commence avec le placement en garde à vue de Pascal Bonnefoy, l’homme des écoutes.  D’emblée il explique avoir agi ainsi pour dénoncer les agissements de Banier qui "commençait à épurer le personnel" tout en devenant le maitre de maison. Ce qui déplaisait            à Françoise Meyers… Bonnefoy  avoue encore avoir été aidé dans son "travail" par un informaticien, Philippe Dunan, qui n’est autre que le mari de Claire Thibout, comptable de Liliane jusqu’en 2008. Claire Thibout. Retenez bien son nom. Elle va être l’actrice clé de cette ahurissante histoire. Le 18 juin 2010, l’ex-comptable est placée en garde à vue pour atteinte à la vie privée. A cette occasion, elle révèle, qu’à titre d’indemnités de licenciement elle a perçu, le 5 décembre 2008, 491 000 euros de la société Clymène, son employeur et gestionnaire de la fortune de Mme Bettencourt. Rien à dire, a priori. Sauf qu’elle ne dit pas un mot sur deux chèques, d’un montant global de 400 000 euros que lui a versés François Meyers-Bettencourt quelques jours plus tard.  Intrigant. La fille de Liliane justifiera ces versements par respect pour l’engagement pris avant sa mort par André Bettencourt. Scepticisme des enquêteurs. Lesquels pencheront pour le monnayage d’un témoignage dans le cadre de la plainte pour abus de faiblesse déposée par Françoise Meyers. Une plainte visant avant  tout François Marie-Banier.

Les révélations de Claire Thibout, l’ex-comptable de Liliane Bettencourt

Nous sommes en juillet 2010. L’affaire Bettencourt, commence à passionner les gazettes. Si ce n’est pas Dallas-sur-Seine, tous les ingrédients d’une saga pour midinettes sont réunis : une vieille dame riche qui connait le tout Paris. Un mari ministre. Un mondain jadis ami d’Aragon, photographe des stars. Un personnel à l’affût de tout ce qui passe. De l’argent qui se balade avec une facilité déconcertante… Quand le 8 juillet 2010 survient un coup de théâtre : Claire Thibout révèle que Patrice de Maistre lui aurait demandé en avril 2007, en pleine campagne présidentielle, de retirer 150 000 euros en espèces, destinés  à être remis à Eric Woerth, trésorier de l’UMP et de la campagne du candidat Nicolas Sarkozy. Jusqu’alors, on nageait dans le people. D’un seul coup, on plonge dans les eaux troubles de la politique. Illico, Eric Woerth porte plainte pour dénonciation calomnieuse à la suite des allégations de Claire Thibout relayées par Mediapart. Cette enquête commence à agiter le monde judiciaire. Aucune information n’est ouverte. Le procureur de Nanterre est montré du doigt. Un conflit l’oppose à une présidente de chambre du tribunal. La situation devient difficile. La justice, prise en otage. Tant est si bien que le dossier est dépaysée pour être confiée au tribunal de Bordeaux. C’est un ancien juge d’instruction de Nanterre, Jean-Michel Gentil qui en est chargé. Il revoit tout le dossier transmis par le procureur de Nanterre. Il en fait une toute autre lecture. Il attache une grande importance aux témoignages de Claire Thibout et à une partie du personnel de Liliane Bettencourt, notamment celui de l’infirmière Henriette Youpatchou et de la femme de chambre, Dominique Gaspard, laissant de côté d’autres témoignages infirmant les allégations de ce trio. Témoignages accablants pour François-Marie Banier qui sera ce 26 janvier sur le banc des prévenus. Même sort infligé à Patrice de Maistre qui, selon le juge Gentil a bien reçu quelques espèces – grosses- sonnantes et trébuchantes de la part de Liliane. Eric Woerth sera lui aussi présent. Pour le même motif. Renvoyé lui aussi, le discret Stéphane Courbit qui a demandé à Liliane Bettencourt d’investir 140 millions d’euros dans une de ses boîtes de production, dont l’une spécialisée dans le poker en ligne. Devant le tribunal encore, Me Pascal Wilhelm, avocat de Courbit et successeur de Patrice de Maistre pour gérer les avoirs de la riche héritière…

>>> Lire la Partie 2 : Affaire Bettencourt : le petit monde gâté et chouchouté par l'héritière l'Oréal devant la justice

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