Prise en charge des frais de livraison des libraires indépendants : l’Etat franchit allégrement des lignes rouges sans même y réfléchir<!-- --> | Atlantico.fr
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©SEBASTIEN BOZON / AFP

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Le gouvernement a annoncé une aide pour les librairies indépendantes, touchées par l'impact du reconfinement. Les frais d'expédition des livres seront donc remboursés par l'Etat pendant toute la durée du confinement. Quel est le coût d'une telle mesure ?

Rubin  Sfadj

Rubin Sfadj

Rubin Sfadj, est un ancien avocat aux barreaux de Paris et New York, aujourd'hui en charge des affaires publiques du Consulat général d'Israël à Marseille.

Il tient le blog Produits dérivés.

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Atlantico.fr : Le gouvernement a annoncé une prise en charge des frais d’expédition des livres pour les librairies indépendantes, quel est le coût économique d’une telle mesure et est-il justifié par ses effets ?

Rubin Sfadj : Le coût d’une telle mesure est difficile à évaluer en l’absence — à ma connaissance — non seulement de chiffres précis sur les ventes réalisées en temps normal par les librairies indépendantes, mais surtout quant à l’impact réel d’une telle mesure en termes de consommation. L’annonce faite par le gouvernement va-t-elle pousser les Français à commander massivement des livres auprès de leur libraire de quartier ? On n’en sait rien à vrai dire, et le but n’est probablement pas tant celui-là que d’afficher un soutien symbolique à un secteur qui s’est montré particulièrement habile dans sa communication.

Cette mesure de soutien aux libraires est-elle juridiquement solide ? N’est-ce pas une porte ouverte à d’autres dérives ?

Il est tentant d’analyser cette mesure à la lumière de la réglementation européenne sur les aides d’État. Mais on voit mal le principal acteur non-européen potentiellement désavantagé par cette aide — en clair, Amazon —, « partir au combat » sur un tel sujet. D’une part parce qu’Amazon est déjà en mesure d’offrir la livraison gratuite, ou presque, à ses clients ; d’autre part et surtout parce que, comme on l’a dit, l’impact de la mesure est, pour rester mesuré, incertain.

Mais, pour symbolique qu’elle soit, cette mesure intervient dans la foulée d’une séquence politique étrange, au cours de laquelle le gouvernement a semblé enchaîner les annonces sans véritable préparation au fur et à mesure des protestations plus ou moins légitimes de chaque corporation.

À cet égard, la distinction kafkaïenne entre produits « essentiels » et « non-essentiels » et la sortie de Jean Castex contre Amazon — le Premier ministre appelant les Français à se retenir, au nom du patriotisme, d’acheter « sur un grand site américain » pendant le confinement — peuvent inquiéter.

Qu’indique cette décision de la philosophie du gouvernement ? L’État est-il en train de devenir le juge de nos vies quotidiennes, arbitrant ce qui est nécessaire et ce qu’il n’est pas ?

Au plan de la logique, on comprend mal comment la lutte contre une pandémie globale justifie que le gouvernement décide pour les Français quels biens de consommation sont « essentiels » et lesquelles ne le sont pas. Et pour cause, on n’est pas arrivé à cette conclusion par un raisonnement logique ou pragmatique, mais pour satisfaire les revendications de quelques groupes d’intérêt. Si les libraires indépendants ne peuvent pas vendre de livres pendant le confinement, alors personne ne doit en vendre ; si les petits commerces ne peuvent pas vendre de vêtements, personne ne doit en vendre non plus. Par l’action du gouvernement, une crise économique qui devait toucher une partie seulement du commerce de détail va impacter l’ensemble du secteur. C’est non seulement regrettable mais surtout absurde puisque le gouvernement, tout en faisant d’Amazon l’ennemi public économique numéro un, pousse les Français dans ses bras.

Mais le plus inquiétant, à mon sens, est que la crise sanitaire du coronavirus soit en passe de devenir un nouveau prétexte pour augmenter l’emprise de l’État sur l’économie française. Nous étions un certain nombre à le dire lors de la première vague : face à une crise sans précédent, ce n’est ni de dirigisme ni de protectionnisme dont nous avons besoin, mais d’efficacité et de souplesse.

Plutôt que de disserter à longueur d’arrêté ministériel sur le caractère essentiel de tel ou tel rayonnage d’hypermarché, ne devrait-on pas chercher les moyens de libérer les forces de notre économie ?

Rubin Sfadj est avocat, associé au sein du cabinet Proposition 47

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