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Non, l'argent prêté par la BCE 
ne fera pas disparaître 
la dette des États !
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Création monétaire ou monétisation ?

Dans une note récente pour Natixis, l'économiste Patrick Artus soulève le problème posé par les modes d'intervention de la BCE. En prêtant de l'argent aux banques pour financer les dettes des États, elle ne permet pas d'éliminer ces dettes, et refuse l'inévitable : jouer le rôle de FMI européen.

Patrick Artus

Patrick Artus

Patrick Artus est économiste.

Il est spécialisé en économie internationale et en politique monétaire.

Il est directeur de la Recherche et des Études de Natixis

Patrick Artus est le co-auteur, avec Isabelle Gravet, de La crise de l'euro: Comprendre les causes - En sortir par de nouvelles institutions (Armand Colin, 2012)

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Atlantico : Dans une note récente pour Natixis (voir ci-dessous), vous soulevez le problème posé par les modes d'intervention de la BCE qui, en prêtant de l'argent aux banques pour financer les dettes des États, ne permet pas de faire disparaître ces dettes. Pourriez-vous développer ?

Patrick Artus : Le débat porte aujourd'hui - à tort - sur la BCE, et sur le fait qu'elle doive ou non acheter de la dette publique directement auprès des États. Il faut relativiser cette question du marché primaire préférable au marché secondaire, l'important n'est pas là. Le marché primaire signifie à l'émission de la dette par les États, sous la forme d'obligations ; le marché secondaire, une fois que la dette est émise sur les marchés.

Notons qu'un quart d'heure seulement peut séparer les deux étapes : une fois que la dette émise par les États a été achetée par un investisseur, et qu'il la revend, elle se retrouve sur le marché secondaire. En réalité, l'interdiction pour la BCE d'acheter sur le marché primaire n'est en rien une limitation. Cela signifie simplement que la BCE ne peut pas directement aller à l'émission, mais elle peut cependant acheter une dette émise une demie heure plus tôt, à un détenteur intermédiaire de la dette.

(Cliquez sur l'image pour agrandir le document)



Véritable problème toutefois, elle ne monétise pas la dette. Soyons clairs, la monétisation est le fait d'un État souverain. Autrement dit, un État qui a émis de la dette et paye des intérêt peut décider de remplacer cette dette par de la monnaie. Il rachète alors cette dette avec la monnaie produite, et la détruit. Autrement dit, avec 100 de dette, il imprime 20 de monnaie pour racheter 20 de dette. Dans cette configuration, il ne subsiste plus que 80 de dette et 20 de monnaie. La monétisation n'est rien d'autre que cela... Les 20 de dette ont donc disparu par le fait d'un État souverain, qui peut décider à tout moment d'échanger de la dette contre de la monnaie, puisqu'il a le pouvoir de création monétaire.

Le problème réside donc dans le fait que la BCE ne permet pas aux États membres de la zone euro d'effacer leurs dettes, mais au contraire de les creuser davantage par des prêts doublés d'intérêts ?

Aujourd'hui, on est dans une situation relativement problématique, puisque l'on demande à la BCE - qui ne veut pas - d'acheter de la dette aux États (il importe peu que ce soit sur le marché primaire ou secondaire). Une dette qu'elle conservera en négatif dans son bilan. De son côté, l'État qui a emprunté l'argent à la BCE va devoir lui payer des intérêts, et ne réduira donc pas le volume de son endettement. Le problème que nous venons de soulever porte donc sur le service de la dette, soit le remboursement de la dette et le paiement des intérêts.

En effet, quand la BCE prête de l'argent, elle compte être remboursée par l'État à l'échéance fixée. Du point de vue du trésor public de l'État concerné, ça ne change ni le service de la dette (intérêt et besoin de remboursement), ni son taux d'endettement, ni sa solvabilité... Il s'agit juste d'éviter une crise financière au moment où les emprunteurs privés ne veulent plus acheter de la dette souveraine. Mais la BCE n'est pas moins effrayée que les porteurs privés par le défaut de paiement des États. Dans le cas grec, tout a été organisé pour que le défaut de paiement à 50% ne touche pas la BCE.

La BCE ne s'adonne donc pas à la monétisation des dettes publiques européennes, mais à l'aide au financement. Certes, quand elle achète de la dette aux États, elle paye en créant de la monnaie, et procède donc à de la création monétaire. Mais ne confondons pas cela avec la monétisation, sachant qu'on ne fait pas disparaître une partie des dettes publiques des États. En conséquence, pour prendre l'exemple italien (dette de 125% du PIB), si la BCE en achetait la moitié (soit environ 65% du PIB italien), la dette ne baisserait pas. Par contre, si l'Italie était souveraine, et qu'elle émette 65% de monnaie pour racheter sa dette, cette dernière ne s'élèverait alors plus qu'à 60% de son PIB.

Les prêts accordés directement ou indirectement aux États par la BCE posent toutefois la question de sa solvabilité. Comment peut-elle se prémunir contre la faillite d'un État, et le risque d'un non remboursement ?

Les dirigeants européens demandent aujourd'hui à la BCE d'intervenir au-delà des 220 milliards d'euros que compte déjà son bilan des dettes... Supposons que la Grèce fasse faillite, la BCE qui dispose de 50 milliards d'euros de dette grecque perdrait alors les sommes investies. Or selon son règlement, ce serait alors aux États de la zone euro de la rembourser. La France qui pèse environ 20% du poids de la BCE devrait donc lui verser 10 milliards d'euros, de façon à couvrir le défaut de paiement de la Grèce.

L'intéressant, c'est que du point de vue allemand, c'est anti-constitutionnel. Le budget de l'Allemagne ne peut être exposé aux dettes des autres pays de la zone euro. Dans le cas d'un défaut de paiement de la Grèce, la Bundesbank (Banque centrale allemande) ne pourrait donc pas verser les 15 milliards d'euros dus à la BCE. La Cour constitutionnelle de Karksruhe répond que pour des petits montants, cela ne poserait pas de problèmes réels. D'où le refus de la BCE de ne pas s'engager sur des montants trop importants auprès des États endettés.

Dans ces conditions, que peut faire la BCE pour éviter une crise de la dette ?

D'un point de vue positif, la BCE ne changera jamais d'avis. Elle n'achètera pas de la dette en masse, et se contentera d'investir de petits montants, du fait notamment du problème allemand. 

La parade a été trouvée dans les prêts sur trois ans à montant illimité pour les banques, doublé du discours suivant : "comme vous pouvez vous endetter pour un montant illimité à trois ans, vous n'avez qu'à prendre cet argent et financer les dettes publiques".

Pour l'instant, en Espagne et en Italie, les banques locales jouent le jeu. On passe donc d'une situation où les dettes étaient investies par tous les pays, à une situation où les dettes seront détenues domestiquement par les banques et assureurs locaux, par le biais du financement à la BCE. Moralement et d'un point de vue macro-économique, c'est la même chose que si la BCE le faisait directement en créant de la monnaie et en achetant des dettes. La différence porte uniquement sur la localisation du risque, qui passe du bilan de la BCE au bilan des banques.

Dans les crises de liquidité, comme celles qu'ont connu le Brésil, la Corée, et la Roumanie, les États font appel au FMI (fonds monétaire international), qui procède à de la création monétaire, soit des lignes de crédits émanant des différentes banques centrales, et prête aux États, de sorte qu'ils puissent se financer normalement.

S'il on considère que c'est légitime de la part du FMI vis à vis de la Roumanie, de la Hongrie, alors pourquoi ne pas l'accepter vis à vis de l'Italie... Qui plus est, si la BCE refuse de jouer le rôle du FMI pour des raisons juridiques, mettons les pays de la zone euro sous la tutelle économique du FMI. Ou alors que la BCE fasse le "boulot" du FMI ! Soit prêter de la monnaie aux pays quand ils ont des problèmes de liquidité. Mais pas de solvabilité... Pour prendre des exemples, prêter à l'Italie qui est solvable serait intelligent, mais prêter à la Grèce - qui ne l'est pas - serait suicidaire.

J'insiste simplement sur le fait que si la BCE refuse d'endosser ce rôle, tournons nous vers le FMI, plutôt que de le déléguer indirectement aux banques. Ce n'est pas le travail des banquiers que de prêter aux États.

Ce serait toutefois ne pas prendre en considération les risques pointés par l'Allemagne : une hyperinflation à terme, et un certain "laisser-aller" des États dans la gestion de leurs dettes publiques ?

L'hyperinflation ne peut pas toucher l'Europe pour l'instant... pas avant 10 ans, du fait du taux de chômage moyen de 10% dans les pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), sans oublier la baisse des salaires.

D'ailleurs, c'est l'effet "bombe à retardement" de la création monétaire, puisque lorsque le chômage rebaissera et que les salaires augmenteront à nouveau, cette gigantesque quantité de monnaie accumulée occasionnera de l'inflation, comme l'a justement souligné la BCE. Mais j'insiste sur le fait que ce n'est n'est pas une menace avant les dix prochaines années.

Quant au "laisser-aller" des États, l'Allemagne a en partie raison, mais posons la question à l'envers... Si en avril la BCE avait fermement refusé de laisser augmenter les taux de la dette publique italienne au-dessus de 4%, Silvio Berlusconi ne serait jamais parti, et les Italiens ne se seraient jamais posés de questions sur la gestion des finances publiques. Comme le FMI, la BCE ne prête pas sans regarder, mais seulement une fois que les bonnes politiques ont été mises en places.         

Propos recueillis par Franck Michel

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