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La banane Cavendish est menacée par un champignon.
La banane Cavendish est menacée par un champignon.
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Banana split

Un monde sans bananes jaunes, vous y avez déjà songé ? Eh bien vous devriez ! La banane Cavendish est en effet menacée par un champignon se développant sous le sol et attaquant les racines de l'un de nos fruits préférés.

André Lassoudière

André Lassoudière

André Lassoudière est ingénieur expert en culture bananière et ancien chercheur. Il est également l'auteur de trois livres publiés par les éditions Quae (Paris) : Le bananier et sa culture (2007), L’Histoire du bananier (2010), Le Bananier : Un siècle d'innovations techniques (2012). Est en cours de préparation pour publication en 2014 Le Bananier : Mon ami, mon maître. Hommage.

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Atlantico : La maladie de Panama, de son nom scientifique la fusariose, issue de ce champignon désastreux, avait déjà été observée vers la fin du XIXème siècle, en Australie. Dans les années 1990, elle a atteint aussi la Chine, les Philippines et la Malaisie ; puis, la Jordanie et le Mozambique. Aujourd'hui, les scientifiques craignent qu'elle ne gagne l'Amérique latine où est produite la plus grande quantité de bananes jaunes au monde. Comment se propage ce champignon et à quelle vitesse ? Dans combien de temps pourrait-il se répandre en Amérique latine ? Et surtout, nos bananes provenant essentiellement des Antilles pourraient-elles être touchées ?

André Lassoudière : La fusariose des bananiers originaires du Sud-Est asiatique a profondément affecté les bananeraies australiennes à  partir de 1875.  Dès les premières années du XXe siècle, elle a commencé à faire des dégâts à Panama (d’où le nom "maladie de Panama"), provoquant une rapide disparition des plants atteints. Il s’agit d’une infection généralisée par voie vasculaire dont l’extension est rapide, provoquant la mort des plantes et interdisant toute reprise rapide de la culture bananière sur les parcelles infestées car sa transmission se fait par le sol. La variété Gros Michel, qui était pratiquement la seule à être cultivée en Amérique et en Jamaïque, était très sensible à cette maladie. Au début des années 1950, les producteurs ont été dans l’obligation de recourir à d’autres variétés – résistantes –, connues sous le nom générique de Cavendish (Grande Naine, Valery, Poyo, Petite Naine) qui étaient cultivées aux Canaries, en Afrique, aux Philippines, à Taïwan et aux Antilles françaises (Guadeloupe et Martinique). Actuellement, ces variétés Cavendish sont les seules à alimenter le marché international bananier d’environ 16 millions de tonnes par an. A noter que la consommation mondiale de bananes, toutes espèces confondues, atteint 110 à 120 millions de tonnes produits sur une surface estimée à environ 10 millions d’hectares.

Depuis les années 1980, une race particulière de la maladie de Panama a effectivement pris de l’extension en particulier en Asie et Pacifique, probablement à partir de Taïwan. Elle atteint un très grand nombre d’espèces et variétés, et notamment les Cavendish.C’est donc un risque potentiel important pour les zones de production alimentant le marché européen, et français en particulier, et spécialement notre production nationale des Antilles.Ce n’est pas le seul risque, des viroses et bactérioses (non présentes actuellement mais existant dans diverses régions d’Asie et d’Afrique de l’Est) pourraient aussi, dans l’avenir, perturber gravement la production si des précautions sévères d’introduction de matériel végétal ne sont pas misent en œuvre avec rigueur. Aucun bananier ne devrait être introduit directement dans les régions indemnes. D’ailleurs, si vous arrivez aux Antilles, on vous le rappelle et on vous demande de remettre les végétaux qui seraient dans votre valise aux Services de la Protection des végétaux.

Permettez-moi de faire une parenthèse sur ce problème. Depuis près de 20 ans, dans la quasi-totalité des exploitations assurant la production de bananes pour l’exportation, on n’utilise que des plants produits dans des laboratoires spécialisés. On les appelle des vitroplants car ils sont issus de bananiers sélectionnés ayant subi avec succès tous les tests phytosanitaires possibles. La multiplication se fait in vitro, à partir d’un méristème prélevé au sommet de la souche d’une manière stérile (d’environ un centimètre cube) et multiplié au laboratoire. Cette technique lourde permet de se prémunir contre tout agent parasitaire vivant dans la plante (virus, bactérie, nématodes et même charançon). Ceci a permis de se prémunir de ces fléaux, et en plus, de réduire considérablement l’utilisation de pesticides. Par exemple aux Antilles, la consommation de produits de traitement a diminué de plus de 70 % en 10 ans. Reste la lutte contre les cercosporioses (maladies des feuilles) qui sont causées par des champignons se dispersant par le vent.

Déjà, dans les années 1950, la banane Gros Michel avait connu un destin similaire. Et c'est ainsi que l'appréciée Cavendish a fait son entrée sur les étalages des marchés, des primeurs et des supermarchés. Au final, n'est pas un mal pour un bien ? Quelle serait LA banane qui pourrait remplacer la Cavendish tant en goût qu'en texture ?

Le fait de n’avoir mis sur le marché depuis plus de 50 ans que la Cavendish a habitué le consommateur à un seul goût. Par exemple, grosso modo après la Seconde Guerre mondiale, lorsque sur le marché on trouvait à la fois des bananes Gros Michel et des bananes Cavendish, les avis étaient très partagés… et puis on a pris l’habitude de déguster des Cavendish puisqu’aucune autre variété n'avait été proposée. Parmi toutes les variétés de bananes desserts existantes (ne parlons pas des plantains et des bananes à cuire), aucune n’a la même texture et le même goût – et pourtant, il y en a bien au moins 20 ou 30 !Dans les variétés nouvelles, créées par les divers laboratoires, on n’a pas obtenu les caractères de la Cavendish. D’ailleurs l’objectif des généticiens était  – et est – en priorité d’obtenir des bananiers résistants ou tolérants aux divers parasites (bactéries, virus, champignons, nématodes). On pense que la diversification de l’offre permettrait à chacun de trouver "sa banane" comme pour d’autres fruits tempérés (pommes, poires etc.).

Quelles seraient les bananes inconnues du grand public qui pourraient profiter de la rareté voire de la disparition de la Cavendish ?

Bien qu’il existe une diversité de variétés (figues sucrées, figues roses, Ibota, figues pomme, Prata, Mysore, etc.), toutes sont plus ou moins sensibles aux maladies.  Cependant, dans le monde, elles produisent  environ 14 millions de tonnes (46 pour les Cavendish), mais une exportation quasi-inexistante.

Par conséquent, elles sont intéressantes pour diversifier l’offre sur les marchés – et donc rompre la "monotonie" Cavendish (un seul goût, une seule texture) – mais n’apportent pas de solution aux risques phytosanitaires.

Pour cette raison, un gros effort est en cours pour créer de nouvelles variétés hybrides comme nous l’avons dit précédemment. Plusieurs sont en cours d’évaluation pour la commercialisation. Mais, leurs caractéristiques, différentes de la Cavendish,  va entraîner une modification des techniques de mise en marché, notamment du mûrissage… et une "adaptation" du goût des consommateurs.

Mais ces bananes ne sont-elles pas plus chères que la jaune ? Et d'où viennent-elles ?

On pense que les prix de vente de ces nouvelles variétés seront peu différents de ceux de la Cavendish. Et même s’ils l’étaient légèrement, les gains sur la qualité biologique et sur l’environnement seraient considérables.

Le fait d’être résistant à beaucoup de parasites réduit considérablement l’utilisation de produits de traitement – y compris contre la cercosporiose (voir le problème des traitements aériens en Guadeloupe et Martinique) – et donc, une protection de l’environnement et du consommateur.

Les bananes préparées en laboratoire sont déjà en cours de culture aux Antilles. Ce sont essentiellement aux Antilles qu'on les trouve car les Français sont les "leaders" dans cette recherche pour le moment. Aussi, il y a des accords commerciaux entre producteurs et entreprises extérieures qui sont en jeu et qui guident le choix des lieux de culture de ces bananes. Mais la question commence à intéresser au point qu'un consortium mondial a vu le jour et on peut penser que d'ici 2 à 5 ans ces bananes se propagent dans d'autres pays.

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