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Pouvons-nous vraiment faire confiance à notre mémoire et à nos souvenirs (votre bonheur pourrait bien dépendre de la réponse) ?
©Allan Ajifo / Flickr

Pense-bête

Si l'individu est capable "d'effacer" de sa mémoire des événements traumatiques ayant réellement existé (amnésie psychogène), il est aussi capable de se remémorer une ou plusieurs expériences traumatiques qui ne lui sont jamais arrivées. C'est le syndrome dit de la "fausse mémoire" ou des "faux souvenirs".

Christophe Julia

Christophe Julia

Chrisophe Julia est psychologue clinicien diplômé de l'université de Paris 8 - IED. Il est spécialisé dans l'apprentissage de la gestion difficile des émotions (peur, colère, anxiété, perte de confiance…). Il est formé à l'hypnose éricksonienne à l'institut Milton Erickson d'Avignon, à la thérapie systémique et stratégique ou thérapie brève de Palo Alto à l'Institut Gregory Bateson de Liège.

Il est également Docteur en Sciences Economiques de l'Université de Montpellier.

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Atlantico : Comment définissez-vous le syndrome du "faux souvenir" ?

Christophe Julia : Le syndrome du "faux souvenir" est le fait d'avoir enregistré dans notre mémoire de faux événements, d'être persuadé de leur véracité, et le les raconter.

Il s'agit en général de "faux souvenir" de l'ordre du traumatisme, c'est-à-dire notamment la restitution d'abus sexuels qui peuvent (ou pas) avoir eu lieu lors de la petite enfance.  

Quelles raisons poussent un patient à raconter de "faux souvenirs", à son psy ou à son entourage ?

La première cause du syndrome du "faux souvenir" est le fonctionnement même de la mémoire, donc un processus totalement inconscient. La mémoire est un processus neurologique qui se construit et se déconstruit en permanence, et qui peut intégrer toutes sortes de choses : des événements réels, mais aussi des images de films, des rêves etc., le tout se mélangeant sans distinction. La mémoire, c'est un peu comme une pièce de théâtre : il y a une part de vérité, et une part de comédie.

Par exemple, un patient que j'ai traité avait en mémoire le fait de s'être fait enlevé à l'âge de cinq ans, et le racontait avec une précision et des nombreux détails qui laissaient peu de place au doute quand à la véracité de son traumatisme. Néanmoins, quinze ans plus tard, la nounou qui le gardait au moment de l'enlèvement a envoyé un lettre à ses parents confessant que cet enlèvement n'avait jamais eu lieu, et que c'était un événement qu'elle avait inventé de toutes pièces. 

Ensuite, la manière dont on interroge un sujet, que ce soit dans le cadre d'une psychothérapie ou d'un interrogatoire policier, peut totalement influencer la manière dont on restitue les événements, et amener à raconter des "faux souvenirs". Il est tout à fait possible de persuader une personne de la véracité d'un fait alors qu'il est faux.

Enfin, il peut tout simplement s'agir d'une mauvaise perception de la vérité. Par exemple, lors d'un match de football, en fonction d'où le sujet est placé dans le stade, il peut être persuadé d'avoir vu qu'il y a but, alors qu'un autre sujet placé ailleurs verra bien que le ballon est passé à côté des cages. 

Le fait de raconter de faux souvenirs révèle-t-il de la pathologie ?

Non, comme je l'expliquais plus haut, il s'agit d'un processus tout à fait normal qui prend racine dans la construction et la déconstruction de la mémoire.

Il est d'ailleurs intéressant de noter que les sujets ayant les plus grandes capacités mémorielles (hypermnésie) sont ceux qui ont le plus de "faux souvenirs" enregistrés. 

Quelles peuvent être les conséquences du syndrome du "faux souvenir" sur la vie du patient ? 

Dans la mesure où il s'agit souvent de la restitution d'événements traumatiques liés à des abus sexuels, souvent incestueux, le patient peut très vite se retrouver totalement isolé de sa famille ou du proche accusé, qui ne comprennent absolument pas pourquoi le patient invente de telles accusations. 

Comment un psychothérapeute peut-il démêler le vrai du faux ? 

C'est très difficile, voire impossible. 

La première chose est de savoir que la mémoire et les souvenirs sont à prendre avec beaucoup de précaution, pour toutes les raisons que j'ai évoquées plus haut. 

Il peut ensuite être utile d'essayer de pousser le patient à contextualiser ses souvenirs, et à tenter, dans le meilleur des cas, de recouper les témoignages, en essayant de recréer du lien avec la famille ou le proche mis en cause. Cette démarche doit être très douce, ne surtout pas brusquer le patient, et plutôt le pousser au maximum au dialogue. 

Mais la vérité est quasiment impossible à atteindre, surtout qu'il s'agit en général de faits très anciens, remontant souvent à plus de trente ans. 

Est-ce un mécanisme psychologique que l'on sait soigner/atténuer ?

Fondamentalement, je pense que le fait qu'il s'agisse d'un "faux" ou d'un "vrai" souvenir n'est pas si important que cela, car les sujets sont dans la grande majorité des personnes qui souffrent et essayent de s'en sortir, pas d'obtenir une réparation judiciaire. 

Personnellement, je pense qu'il ne faut pas trop s'appesantir sur ces souvenirs mais plutôt essayer de trouver des solutions pour que le sujet aille mieux au moment présent et dans le futur. 

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