Pourquoi vous vous trompez tout le temps : l’explication du spécialiste mondial du biais cognitif<!-- --> | Atlantico.fr
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"La conscience négative (ce qu’il ne faut pas faire) est bien plus forte que la conscience positive (ce qu’il convient de faire)."
"La conscience négative (ce qu’il ne faut pas faire) est bien plus forte que la conscience positive (ce qu’il convient de faire)."
©Reuters

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Rolf Dobelli identifie les erreurs de pensée qui nous empêchent de nous réaliser. Saurez-vous vous en débarrasser?

Rolf Dobelli

Rolf Dobelli

Né en 1966, Rolf Dobelli a soutenu une thèse d'économie d'entreprise à l'université de Saint-Gall, en Suisse, avant de devenir PDG de différentes filiales de Swissair dans le monde. Il est cofondateur de la société lucernoise getAbstract, leader dans le commerce en ligne d'ouvrages économiques abrégés.

Il a également fondé Zurich.Minds, une communauté internationale de personnalités éminentes issues du monde de l'économie, de la culture et de la science.

Il a collaboré, avec Nassim Nicholas Taleb, à la conception du best-seller mondial Le Cygne noir.

Rolf Dobelli est l'auteur d'Arrêtez de vous tromper! (Eyrolles), paru également sous la forme de chapitres au format électronique sur Atlantico éditions

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Atlantico : Biais de confirmation, d’autorité, de disponibilité… Vous mentionnez beaucoup de "biais cognitifs" (ou erreurs de pensée) qui nous empêcheraient d’évoluer vers l’épanouissement personnel, la construction de soi. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre philosophie ? Que révèle l’étude des erreurs de pensée ?

Rolf Dobelli : Le Pape demanda un jour à Michel Ange : "Confie-moi le secret de ton génie. Comment es-tu parvenu à créer la statue de David, chef d’œuvre des chefs d’œuvres ?". Celui-ci lui répondit : "C’est fort simple. Tout ce qui n’était pas David, je l’ai ôté."

Soyons honnêtes, il est impossible de dire avec certitude quelle est la clé de notre succès. Il est impossible de mettre le doigt exactement sur ce qui nous rend heureux. En revanche nous savons sans l’ombre d’un doute ce qui détruit le succès ou le bonheur. Cette prise de conscience, aussi simple soit-elle, est fondamentale : la conscience négative (ce qu’il ne faut pas faire) est bien plus forte que la conscience positive (ce qu’il convient de faire). Penser avec discernement et agir intelligemment revient à faire sienne la méthode de Michel-Ange : au lieu de vous concentrer sur David, portez votre attention sur tout ce qui n’est pas David, et débarrassez-vous en. En ce qui nous concerne, éliminons toutes les erreurs et la sagesse suivra.

Les Grecs, les Romains puis les penseurs médiévaux appelaient cette approche la via negativa. Ce qui, littéralement, signifie le chemin négatif, le chemin de la renonciation, de l’exclusion et de la réduction. Les théologiens furent les premiers à arpenter la via negativa : nous ne pouvons dire qui est Dieu, nous pouvons seulement dire qui il n’est pas. De la même manière, nous ne sommes pas en mesure d’affirmer ce qui nous apporte le succès, nous pouvons seulement identifier ce qui lui fait obstacle, voire l’anéantit. Éliminez les à-côtés, les erreurs de pensée, et le meilleur s’imposera de lui-même. C’est tout ce que nous avons besoin de savoir.

A lire aussi: "Pourquoi vous vous trompez tout le temps (et comment arrêter). Partie 1 : au travail", de Rolf Dobelli. Pour acheter ce livre, cliquez ici.


Vous illustrez ces différents biais en utilisant des exemples tirés du quotidien ou de l’Histoire, pour ensuite les rapporter à la crise économique et financière actuelle. Dans quelle mesure les décideurs, les experts ou les économistes sont-ils aveuglés par ces biais ? Faut-il s’en inquiéter ?

Nous nous laissons tous aveugler par ces biais. Chefs d’entreprises et économistes ne font pas exception, car ils restent humains, tout comme nous. Et en tant qu’humains, notre cerveau ne fonctionne pas à la perfection dans cet environnement, qui est complexe. Il fut conçu pour permettre à nos ancêtres d’appréhender le monde d’il y a 10 000 ans, ce qui, dans le monde d’aujourd’hui, entraîne nécessairement des erreurs cognitives. Les experts ont toujours tendance à surestimer leur expertise : les recherches de ces trente dernières années ont montré à quel point ils étaient mauvais dès lors qu’il s’agit de prédire l’avenir.

Dans le chapitre sur le  "biais du survivant", vous expliquez qu’en voyant les quelques réussites entrepreneuriales ou artistiques (Google, Facebook, rock stars, etc.), nous avons tendance à nous méprendre sur nos chances de succès, car nous oublions l'immense "cimetière" de ceux qui ont échoué. A vous lire, on a l’impression que l’optimisme mène dans 99% des cas à la déception. L’espoir empêche-t-il de vivre heureux ? Pourquoi ?

Dans la vie de tous les jours, étant donné que le triomphe est bien plus visible que l’échec, on a toujours tendance à surestimer ses chances de réussite. En tant qu’outsider, vous vous laissez subjuguer, sans voir à quel point les chances de succès sont minimes. Pour chaque auteur à succès, combien d’autres écrivains n’ont pas trouvé d’éditeur ? Pour tous ces écrivains, combien d’autres n’ont pas même réussi à achever leur manuscrit, qui a fini au fond d’un tiroir poussiéreux ? Sans compter tous ceux qui rêvent – un jour – d’écrire un livre. Quoi qu’il en soit, de votre côté vous n’entendez parler que de ceux qui se vendent, et ne parvenez pas à voir à quel point le succès littéraire est une chose improbable.

Il en va de même pour les photographes, les entrepreneurs, les artistes, les athlètes, les architectes, les prix Nobel, les présentateurs de télévision et les reines de beauté. Les médias n’ont aucun intérêt à fouiller les cimetières de l’échec, et d’ailleurs ce n’est pas leur fonction. Pour éviter le "biais du survivant", vous devez procéder aux fouilles par vous-même.  C’est en ce sens que l’optimisme mène à la déception. Le trop plein de confiance que nous manifestons tous (les hommes un peu plus que les femmes) a beau être à l’origine de la plupart des réussites macroéconomiques, nous nous engageons dans des projets, mais très peu d’entre nous voient leur initiative couronnée de succès. La plupart font faillite.

Les gagnants sont les consommateurs et le système économique dans son ensemble. Bien sûr que nous devrions prendre des risques, entreprendre, être audacieux, mais gardons toujours à l’esprit que nous avons tendance à surestimer nos chances. L’espoir est positif. Aveugle, il est source de désastre.

Une impression se dégage de votre ouvrage, celle de la faiblesse de l’être humain : il est influençable, paresseux, matérialiste, court-termiste…  Est-il une cause perdue ? Quel message d’optimisme voudriez-vous délivrer ?

L’humanité n’est pas une cause perdue. Nous pouvons penser de manière logique. Nous pouvons penser de manière rationnelle. Mais cela suppose beaucoup d’efforts. La pensée rationnelle est lente et énergivore, et nous ne l’affectionnons pas particulièrement. Mais elle est à notre portée. Pour cela, il faut apprendre à discerner les erreurs cognitives dont je fais mention dans mon livre, et s’efforcer de les éviter.

Propos  recueillis et traduits par Gilles Boutin

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