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Les résultats de cette nouvelle étude viennent confirmer ce que l’on savait déjà : la consommation d’alcool par les parents avant la conception entraine des modifications épigénétiques - méthylation de l’ADN - qui sont transmises dans la descendance.
Les résultats de cette nouvelle étude viennent confirmer ce que l’on savait déjà : la consommation d’alcool par les parents avant la conception entraine des modifications épigénétiques - méthylation de l’ADN - qui sont transmises dans la descendance.
©Wikimédia

Binge drinking

Le "binge drinking" désigne une surconsommation volontaire d'alcool pour atteindre un état d'ivresse presque immédiat. Ses dangers sont bien connus des services de santé, mais désormais, des chercheurs ont mis en évidence les conséquences de la consommation d'alcool par les parents avant la conception sur la descendance.

Mickaël  Naassila

Mickaël Naassila

Mickaël Naassila est professeur de physiologie et de biologie cellulaire dans le Groupe de recherche sur l'alcool et les pharmacodépendances à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale).

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On sait depuis très longtemps que l’alcool entraine des neuroadaptations en modifiant l’expression de nombreux gènes qui codent des protéines jouant un rôle dans le fonctionnement du cerveau et notre comportement. Parmi les mécanismes qui expliquent des modifications de l’expression de nos gènes, il y a ceux appelés "épigénétiques", c’est à dire qui ne correspondent pas à une modification de la séquence des gènes mais simplement à des modifications chimiques comme la méthylation. Cette méthylation, c’est l’ajout de groupements méthyles sur les bases de l’ADN et plus il y a de méthyles, moins les gènes s’expriment et inversement, moins il y a de méthyles plus les gènes sont exprimés.

Ce que l’on connaît moins en revanche, c’est que l’alcool entraine des modifications de méthylation de nos gènes et que ces modifications pourraient être transmises de génération en génération. Ainsi l’alcool consommé avant la procréation pourrait laisser des "traces" et induire des atteintes chez ses futurs enfants. C’est exactement ce que vient de démontrer une étude récente sur le sujet et chez l’animal.

Les résultats de cette nouvelle étude viennent confirmer ce que l’on savait déjà : la consommation d’alcool par les parents avant la conception entraine des modifications épigénétiques - méthylation de l’ADN - qui sont transmises dans la descendance. L’alcool modifie donc les "marques" au niveau de nos gènes avant la conception et ces marques ont pour effet de modifier l’expression des gènes à la génération suivante.

La présente étude a analysé l’effet de 12 injections d’alcool (à la dose de 3 grammes d’éthanol pur par kilo de poids des animaux entrainant des alcoolémies de 1,6g/l chez les femelles et 2,2g/l chez les mâles) au début et à la fin de l’adolescence chez des rats mâles et des femelles. 24 heures après la dernière injection d'alcool des accouplements ont été réalisés soit entre rats alcoolisés soit avec un animal jamais exposé à l’alcool. L’hypothalamus des jeunes âgés de 7 jours ont ensuite été prélevés et la méthylation des gènes a été mesurée. Les auteurs se sont intéressés à l’hypothalamus qui est une structure cérébrale qui intervient dans la réponse au stress ainsi que dans de nombreux comportements et réponses physiologiques. Les résultats montrent que les modifications de méthylation sont spécifiques de certains gènes et pas complètement non spécifiques comme on pourrait s’y attendre. Le résultat le plus surprenant est qu’il y a assez peu de gènes qui sont modifiés en commun entre les différents groupes selon que la descendance est issue d’un père exposé à l’alcool ou d’une mère exposée à l’alcool ou bien lorsque les deux parents ont été exposé à l’alcool. Les atteintes sont donc spécifiques et font sûrement appel à des phénomènes complexes, par exemple on s’attendait à un simple effet additif lorsque les deux parents ont été exposés à l’alcool or même si il y a beaucoup plus de gènes modifiés, ce sont des gènes différents qui sont modifiés. Par effet additif, il est entendu ici que lorsque les deux parents ont été exposés à l’alcool on pourrait s’attendre à simplement retrouver des modifications des gènes induites par la consommation de la mère auxquelles s’ajoutent les modifications des gènes induites par la consommation de le père ; or ce sont de nombreuses modifications d’autres gènes qui sont retrouvées lorsque les deux parents ont consommé de l’alcool.

Plusieurs mécanismes pourraient expliquer cet effet sur la descendance. Les intoxications alcooliques répétées à l’adolescence pourraient toucher directement les gamètes (spermatozoïdes et ovules) des parents et donc les changements de méthylation des gènes des gamètes se retrouveraient dans la descendance. Ces intoxications pourraient aussi toucher l’activité des protéines (enzymes) qui méthylent ou déméthylent les gènes et enfin les alcoolisations des parents pourraient affecter la qualité du maternage (attention maternelle pour les petits : allaitement, toilettage, soins) et se traduire par des modifications de la méthylation des gènes. Car on sait déjà que les atteintes de maternage qui correspondent à un stress précoce sont capables d’induire des changements de méthylation et d’expression des gènes chez les enfants.

Même si les mêmes mécanismes de méthylation de l’ADN existent chez l’Homme, il est impossible aujourd’hui de dire si ces résultats obtenus chez l’animal sont transposables à l’Homme et donc de dire si "l’épigénétique transgénérationnel" existe aussi dans notre espèce. Tout simplement car on manque encore de données dans les études humaines et qu’il existe des différences physiologiques et biologiques entre l’Homme et les rongeurs. 

En France, en 2015, 41.5% des jeunes lycéens âgés de 16 ans déclarent avoir expérimenté au moins une fois dans le mois précédent l’enquête une alcoolisation ponctuelle importante (API qui correspond à la consommation d’au moins 5 verres par occasion ; et aussi 16% déclarent 3 API dans le mois et 2.7% au moins 10 API dans le mois). Le binge drinking, au moins 5 verres par occasion voire beaucoup est donc assez fréquent chez les jeune. Une étude en milieu étudiant et dans les premières années du cursus universitaire indique que parmi les buveurs d’alcool, environ 40% des garçons et 16% des filles peuvent être catégorisés comme "binge drinkers".

Au total il est important d’insister sur le fait que la consommation d’alcool, même pré-conceptionnelle, semble avoir des effets dans la descendance et ces effets pourraient contribuer au risque déjà bien connu lorsque les parents sont alcoolodépendants qui est que les enfants ont un risque 4 à 5 fois plus élevé de présenter eux aussi cette maladie. La dépendance n’est pas nécessaire puisque la présente étude chez l’animal suggère que quelques intoxications alcooliques à l’adolescence suffisent pour modifier la méthylation et l’expression des gènes dans le cerveau de la descendance. Il est aussi important de retenir que la consommation d’alcool par les pères a des effets aussi importants que ceux de la consommation des mères et donc qu’il ne faut pas stigmatiser les mamans pendant la grossesse car les pères eux aussi ont une responsabilité.

Si "lorsque les ados s’adonnent au binge drinking les enfants trinquent" est suggéré par des études animales cela reste à confirmer chez l’Homme. Il est clair qu’il devient urgent et impérieux d’informer le grand public sur tous les dommages qu’engendre la consommation d’alcool chez l’Homme. L’alcool est responsable d’environ 60 à 200 maladies et c’est la première cause d’hospitalisation en France avec un coût estimé à 120 milliards d’euros ; c’est colossal ! Mais on préfère fermer les yeux et aller faire du tourisme à la cité du vin à Bordeaux ! A quand la création d’un institut de recherche sur les maladies liées à l’alcool en France ? A quand une campagne "un mois sans alcool" comme cela existe déjà chez nos voisins anglais et belges ? La France aurait-elle un problème avec l’alcool ?

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