Pourquoi une sortie de l'euro exposerait encore plus à la mondialisation les salariés des grandes entreprises françaises<!-- --> | Atlantico.fr
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Une sortie de la monnaie unique exposerait les entreprises françaises à un martèlement capitaliste lancé depuis l'étranger, à l'image de ce qu'à subi Arcelor
Une sortie de la monnaie unique exposerait les entreprises françaises à un martèlement capitaliste lancé depuis l'étranger, à l'image de ce qu'à subi Arcelor
©REUTERS/Kai Pfaffenbach

Bouclier

La sortie de la monnaie unique que les partis eurosceptiques défendent exposerait les entreprises françaises à un martèlement capitaliste lancé depuis l'étranger, à l'image de ce qu'à subi Arcelor.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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44% des Français considèrent que le FN est le parti le plus à même de réformer en profondeur le pays, d'après un sondage CSA pour Atlantico. Or, si les Français font de plus en plus confiance au FN pour débloquer le pays, peut être n'écoutent-ils pas assez le détail de leur proposition. Dans le même temps, les hommes politiques se contentent bien souvent de la condamnation morale plutôt que sur des contre-arguments concrets quant il s'agit de répondre à ces préoccupations. Ainsi, la sortie de l'Euro, présentée comme "inimaginable", "impossible", et "catastrophique", aurait des impacts bien plus concrets que ne le laissent présager ces incantations.

Traditionnellement, le mois d'août est une épreuve pour la trésorerie des sociétés. 2013 n'y a pas échappé et le taux des défaillances d'entreprises a enregistré un bond néfaste pour l'emploi et notre potentiel productif (voir la récente étude de la Coface sur ce sujet). Ceci relance la polémique intense – sinon le débat – sur la parité euro-dollar ( "l'euro trop fort " ) voire sur la sortie pure et simple de l'euro (effet libérateur prévu par certains politiques sur nos exportations).

Dans un premier temps, il faut relever que des risques plus élevés de cessation des paiements vont continuer de voir le jour d'ici un an. Symétriquement, ce seront donc – selon les cas  des opportunités de croissance externe que certaines banques d'affaires ne manqueront pas de détecter pour leurs clients.

A lire aussi : Les 6 millions d’employés de multinationales en France doivent-ils plus craindre les délocalisations ou l’action gouvernementale ?

Les conséquences directes de la récession européenne et singulièrement le cas français (où l'incertitude en matière de politique économique semble devoir perdurer dans une sorte de "stop and go" et de concours Lépine de la fiscalité) sont des éléments qui vont alimenter un flux important de cessions d'entreprises.

Faible croissance interne et recours à la prédation :

Le caractère atone de l'activité et le côté "flat" de certains carnets de commandes incitent les entreprises à rechercher des parts de marché en ayant recours à des opérations de croissance externe. Si les banques d'affaires n'ont évidemment pas le rôle d'assurer le financement de ces opérations, elles ont pleinement pour mission de conseiller leurs clients en termes de cibles réalistes et de confectionner les moyens permettant d'exécuter les transactions. C'est l'activité classique de M&A (mergers and acquisitions) que nous estimons à l'aube de sa renaissance après deux années où un recul sérieux a été enregistré.

Selon les données de Thomson Reuters, le marché des M&A a chuté de plus de 40% à 220 milliards de dollars soit un recul équivalent à celui enregistré en 1997. S'agissant de la France, le marché est baissier de plus de 30% et se fixe à 33 milliards de dollars en valeur. Très certainement, les leçons de l'économie sectorielle apprennent qu'une crise aussi longue et profonde entraîne des consolidations par filière. Autrement dit, la concentration des moyens de production déjà décrite chez Karl Marx ou plus récemment par l'économiste François Morin dans une étude toujours d'actualité (Le Modèle français de détention et de gestion du capital : analyse prospective et comparaisons internationales, Éditions de Bercy, 1998).

Sans provocation absurde et stérile, peut-on tabler sur l'indépendance de PSA sous trois ans ? Plus profondément, il est évident que de simples accidents de parcours, qui se transforment immédiatement en dépréciations d'actifs à constater "at book value" du fait des normes comptables IFRS, vont induire des possibilités de " discussions " entre groupes complémentaires. Là où la logique de concentration du capital ( tendance longue chère à Fernand Braudel ) s'exercera, il y aura rebond d'activité dès 2015 pour les banques d'affaires. Ce flux d'opérations se déroulera par-delà le niveau de l'euro. De manière inéluctable mais évidemment la valeur de la monnaie est un paramètre-clef.

La sortie de l'euro et la braderie de nos entreprises

Nous avons tous en mémoire cette sinistre histoire d'Arcelor – grand leader européen de l'acier - victime d'une OPA menée par Mittal au terme d'un jeu boursier où une grande partie du prix a été payée en titres Mittal et non en cash. Que des pays aussi puissants que l'Espagne, le Luxembourg, la France n'aient pas réussi à mobiliser, avec l'aide de banques d'affaires, les moins de 6 milliards qui manquaient pour réaliser une contre-offre se paye maintenant en démantèlement d'un groupe qui voit inexorablement fondre ses effectifs en Europe. Cette histoire industrielle regrettable est à méditer. Tous les indicateurs convergent pour signaler que les groupes puissants des pays émergents (Brésil, Inde, etc.) souhaitent réaliser des acquisitions en Europe afin d'accélérer leur développement au travers de la maîtrise de technologies avancées que nous détenons. Ainsi, à titre d'exemple, Rio Tinto (anglo-australien) avec Alcan lui-même repreneur de Péchiney.

A ceux qui militent – de bonne foi – pour une sortie de la zone de monnaie unique, il convient de ne pas occulter le fait que quitter l'euro, c'est mettre une étiquette en baisse de 20% sur le prix de nos entreprises. Quitter l'euro, c'est organiser un bonus de 20% pour tout émergent en proie à une velléité d'OPA. Or, 20% dans une négociation de fusions-acquisitions est un chiffre plus que significatif. Il n'est pas besoin d'être Mathieu Pigasse (Lazard Frères) pour comprendre la fenêtre de tir que la sortie de l'euro ouvrirait. Oui, pour nos fleurons industriels (Suez, Air Liquide, etc.) dont certains se croient intouchables, quitter l'euro c'est faire du discount avec leur prix d'achat et de la destruction d'emplois français dans une deuxième phase.

Autre angle d'approche du danger d'une sortie de l'euro, le renchérissement relatif des autres devises. Si la zone euro éclate, chacun sait bien que le nouveau mark s'appréciera d'au moins 15% tandis que nous aurions à assumer des importations (pétrole, etc.) plus chères de 20%. Mais surtout, cela signifie que de belles PME françaises verront (verraient) leurs prix potentiels être abaissés d'au moins un tiers de leur valeur pour des acheteurs allemands. A ce pays inventeur du hard discount (Lidl), nous aurions alors à proposer des " write-off " de près d'un tiers sur nos PME et autres ETI.

Ici, il ne s'agit pas d'une simulation d'un modèle macro-économique joufflu et noyé par les équations, il s'agit de la vie des affaires. La vraie.

Transmissions d'entreprises et facteur aggravant

Compte-tenu du pic démographique issu du baby-boom de l'après-guerre, la transmission d'entreprise est un vrai sujet. Autrement dit, un défi public du fait des emplois en cause. Et parallèlement un challenge privé car une transmission est un fusil à un coup : il ne faut pas croiser l'échec.

Sur un plan public, les chiffres sont impressionnants. En effet, si l'on prend les données INSEE, sur 390.000 entreprises concernées, près de 17.500 font l'objet annuellement d'une transmission (soit près de 4,5%). Pour l'observatoire de la BPCE, il s'agit d'un total de 13.300 entreprises concernées soit 6,4% des PME et ETI pour un montant total de 1,3 million de salariés concernés.

Suivant la typologie INSEE, les 17.500 transmissions sont à distinguer selon trois possibilités : 7.310 sont cédées ( ventes à un tiers extérieur à la firme ) soit 43%, 5.440 sont transmises en interne soit 32% avec une subdivision importante au plan de l'analyse : 4.240 des transmissions internes concernent des ventes au personnel ( donc 78% des transmissions en interne ) et 1.200 " seulement " soit 22% des ventes en interne sont des transmissions internes à la famille primo-détentrice. Enfin, 4.250 soit 25% du total ( 17.000 ) des entreprises disparaissent.

Ce tableau est fort différent de l'opinion répandue et peut être résumé en deux faits : un quart des transmissions rime avec disparition de l'entité. Moins de 8% des 17.000 transmissions aboutissent à un maintien dans la famille dirigeante du départ.

Par ailleurs, plusieurs études convergent pour énoncer le chiffre important de près de 350.000 emplois détruits lors des transmissions d'entreprise dans notre pays.

Or, face à une telle vague de transmission, si nous étions placés dans une configuration d'implosion de la monnaie unique, il est certain que bien des transmissions relèveraient, là aussi, de la braderie. D'autant que certaines transmissions sont parfois piteusement préparées. Tout le monde se souvient de la longévité regrettable de dirigeants tels que Marcel Boussac ou Jean Mantelet (Moulinex). Manifestement des personnalités comme Bernard Arnault ou Vincent Bolloré (qui vient de voir son fils nommé président d'Havas) ou feu Antoine Riboud (Danone) ont clairement et posément eu cette question à l'esprit, ce qui est sain au plan social et productif tout autant que légitime au plan patrimonial.

Mais – car il y a un mais d'importance – près de la moitié des entreprises cotées en bourse ont un leadership familial. Ceci est une singularité française rarement soulignée et, à l'heure où l'on pressent la vague d'OPA, c'est un point d'importance qui concerne des groupes comme Bonduelle, Decaux, Bouygues, Kering (ex-PPR , etc. De même nul ne saurait mésestimer la détention familiale de Chanel, d'Auchan et autres fleurons non cotés mais où la solidité des blocs familiaux peut venir à être fendue par le caractère fort alléchant d'une proposition de rachat (exemple de la vente des cognacs Martell à Seagram, etc.). Sans viser tel ou tel autre cas précis, il y a ce que l'on nomme désormais le "syndrome Lacoste" où une mésentente familiale a contraint une entreprise intéressante à se vendre à un groupe suisse (qui avait d'ailleurs eu des intérêts dans Printemps... devenu propriété d'un pool d'actionnaires du Qatar ).

D'autre part, il est à craindre que les propos parfois contradictoires des pouvoirs publics (mouvements des #pigeons, etc.) et le "package" fiscal français aux contours évolutifs ne viennent accroître le flux de cessions (démographie, harassement et envie de vendre par démotivation de l'entrepreneur, etc ) même dans l'hypothèse d'un retour au franc. Car ne soyons pas naïfs, un acheteur étranger saura – s'il le faut – verser une partie du prix dans son propre pays loin des regards légitimes de l'Administration fiscale. A la braderie s'ajouterait la tentation de la baraterie pour certains responsables d'entreprises.

Un autre point de collision : le débouclage des dettes de type LBO

Les banques d'affaires ont aussi un terrain propice devant elles : celui du renouveau attendu d'ici 2016 du DCM (Debt capital market). Tout d'abord, la période d'endettement débridé ("overdraft economy") entraîne obligatoirement une activité de conseil en restructuration de dette qui vise notamment les fonds de LBO (Leveraged Buy-out) qui ne peuvent voir leurs filiales opérationnelles honorer les échéanciers de remboursements de prêts des structures faîtières.

Ce type de "grandes manœuvres" risque de se reproduire puisque le marché des dettes LBO arrivant à maturité d'ici à la fin de 2016 est évalué, par un consensus de place, entre 400 et 500 milliards de dollars au plus grand bénéfice d'un spécialiste comme Houlihan Lokey ou de la Banque Rothschild. Or, chacun imagine que des "ventes de détresse" auront lieu de la part des fonds en difficulté. Si la sortie de l'euro vient se coaguler à ce débouclage délicat de LBO (voir Butler Capital Partners et sa filiale Virgin Mégastore), nul ne peut prévoir l'impact négatif manifeste sur notre tissu productif et sur les vies des femmes et des hommes qui le composent.

L'accès au marché boursier relancé et le danger de l'appel d'air :

Les pouvoirs publics ont favorisé le lancement opérationnel – en date du 23 mai courant – d'Enternext, la bourse des PME et des ETI qui constitue un apport de travail à conforter et à pérenniser. En effet, c'est un moyen pour les entreprises de lever des fonds. Mais c'est aussi un appel d'air pour les prédateurs qui pourront s'infiltrer dans le capital de leurs cibles.

Lors de la récente loi bancaire, il a été dit au Parlement qu'il fallait attendre un texte anti-OPA piloté par la Garde des Sceaux. Le résultat est que l'encadrement normatif des banques d'affaires n'est pas vraiment un sujet...Et pourtant, elles auront un rôle central d'ici 5 ans et encore plus s'il y a retour à un franc construit sur pilotis du fait du poids de notre dette publique ( 1.900 milliards de dette explicite et 3.100 de dette hors-bilan ).

D'ailleurs, un praticien reconnu du monde de la croissance et de l'entreprenariat, Claude Bébéar, a clairement pointé ce rôle dans Ils vont tuer le capitalisme ( page 106 ) : la montée en puissance des banques d'affaires "s'explique par le fait qu'elles apportent une expertise et une sécurité dont on pouvait se passer il y a vingt ans, mais qui sont aujourd'hui indispensables. Les deals sont désormais infiniment plus complexes qu'auparavant, parce qu'ils sont internationaux et qu'ils comportent souvent une dimension financière essentielle, à la fois sur le plan du montage de l'opération comme sur les aspects de communication au marché. Je ne me souviens même plus si, en 1982, Axa avait une banque-conseil dans l'opération Drouot mais je peux vous dire que, sans les banques d'affaires, nous n'aurions jamais pu ni boucler l'affaire Equitable, ni racheter la société japonaise Nippon Dentai !". Ces lignes ont très exactement dix ans. Instructives...

Pour l'exportateur pénalisé par le taux de change euro – dollar, pour l'électeur qui prend connaissance du programme économique du Front National et y trouve intérêt, pour l'agriculteur qui voit la politique agricole commune prendre des chemins de traverse, il est clair qu'il faut apparemment quitter la monnaie unique et se débarrasser de l'euro. Cette contribution avait pour objectif de situer les enjeux.

Le rejet de l'euro est peut-être notre avenir continental (ou national) collectif, il est établi qu'il provoquera (provoquerait) une onde de choc dans la détention des entreprises françaises. A vouloir refuser la mondialisation, à vouloir jouer le "nouveau" franc en solo, l'Hexagone pourrait bien avoir à subir le martèlement capitaliste décidé en retour depuis l'étranger et à voir se multiplier les braderies cumulées aux sinistres comme Florange. A bien des égards, sortir de l'euro c'est alimenter un incinérateur à patrimoine et tendre la main aux fossoyeurs de l'emploi.

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