Pourquoi une retraite de l’Etat Islamique pourrait bien être aussi une forme de victoire dans la bataille pour Mossoul <!-- --> | Atlantico.fr
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Si l’on doit croire les théories du complot des médias russes, il y aura encore plus de soldats de Daech qui seront autorisés à fuir via la frontière syrienne pendant la prochaine bataille.
Si l’on doit croire les théories du complot des médias russes, il y aura encore plus de soldats de Daech qui seront autorisés à fuir via la frontière syrienne pendant la prochaine bataille.
©AHMAD AL-RUBAYE / AFP

THE DAILY BEAST

S'appuyant sur la vie du prophète Mahomet, les soldats de Daech vont chercher à garder en vie l’idée du djihad afin de se redéployer sur d’autres champs de bataille à travers le monde.

Nicholas Barkdull

Nicholas Barkdull

Nicholas Barkdull est un contributeur du Daily Beast

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Nicholas Barkdull. The Daily Beast.

Alors que l’offensive totale contre Daech dans sa capitale irakienne de Mossoul a commencé la semaine dernière, le porte-parole du Pentagone, Peter Cook a déclaré aux journalistes, "Nous verrons si Daech résistera et se battra ou pas". Comme s’il y avait une définition parfaite de la victoire. Mais Daech pourrait bien avoir une autre idée en tête : la tactique djihadiste de la hijra. Le mot veut dire migration, mais pour un djihadiste cela est assimilé à une retraite stratégique réussie et à une phase de regroupement sur le chemin de l’édification du califat.

Il y a une décennie, Mark Habeck, un professeur associé d’études stratégiques à l’université John Hopkins, expliquait que le plan de guerre djihadiste reflétait la vie du prophète Mahomet : "D’abord, il y a la Mecque : la création d’une avant-garde de vrais croyants. Deuxièmement la Hijra : la migration vers la sécurité et la sécurisation d’un territoire. Troisièmement c’est Médine : la création d’un Etat islamique, où le jihad est à la fois offensif et défensif, de conquêtes et d’alliances." L’ex Etat Islamique d’Irak, l'organisation qui est devenue Daech, a utilisé la hijra avec beaucoup de succès.

En 2007, les Etats-Unis ont mis en place un soulèvement de troupes et une campagne de réveil pour gagner le cœur des Irakiens locaux. Les djihadistes y ont répondu en allant sur le champ de bataille, y compris en Syrie, pour revenir en 2014 et conquérir de vastes territoire en les déclarant "califat". C’est la partie Médine de l’histoire. Donc, pendant ou après la bataille pour Mossoul, Daech pourrait très bien reproduire ce schéma de nouveau. Mi-août dernier, le lieutenant général américain Sean MacFarland disait, "l’ennemi bat en retraite sur tous les fronts." Mais ensuite il a clarifié à quoi ressemblait cette retraite en disant, "Ce que je sais, c’est que lorsqu’on va à un endroit, il est désormais plus facile d’y accéder qu’avant et l’ennemi ne se bat pas autant qu’avant".

Quelques semaines plus tôt, le ministre irakien de la Défense, Khaled al-Obeidi, a également indiqué que les leaders de Daech évacuaient la ville avant l’attaque de Mossoul. "Beaucoup de leaders et de familles à Mossoul ont vendu leurs propriétés et sont sortis de la ville, vers la Syrie. Une partie a même tenté de fuir vers la région du Kurdistan irakien" a-t-il dit dans une interview sur une télévision d’état. Si l’on doit croire les théories du complot des médias russes, il y aura encore plus de soldats de Daech qui seront autorisés à fuir via la frontière syrienne pendant la prochaine bataille. Cela, en vertu d’un supposé accord sous la table passé avec les Etats-Unis afin qu'ils se battent contre l’armée de Poutine. 

La vérité a probablement un rapport avec le rôle de la frontière dans ce conflit. En ce moment, Daech contrôle une large partie de la frontière syrienne, qui d’ailleurs d’après lui, n’existe plus. Mais aux yeux des Irakiens et de leurs alliés militaires, la frontière existe toujours comme avant. Dans son livre L'Etat Islamique : le califat digital, Abdel Bari Atwan explique que face aux bombardements américains en Irak dans les années 2000, Daech a redéployé ses forces vers la Syrie. Les soldats en Irak se sont cachés dans les villes alors que les bataillons et les cellules dormantes étaient réactivés en Syrie. Cette tactique était d’une efficacité redoutable.

"Le résultat est que le groupe a doublé la taille de son territoire syrien entre août 2014 et janvier 2015", dit Atwan. C’est pour cela que Daech (acronyme arabe de Etat Islamique en Irak et au Levant) veut qu’on les appelle seulement Etat Islamique : ils ignorent les frontières et existent au-delà de l’Irak et de la Syrie. Atwan signale que dans le passé, les djihadistes de Daech ont participé à des batailles dans divers endroits, comme l’Afghanistan, la Tchétchénie, la Bosnie et la Libye. Leur djihad est global et ils feront la hijra là où il y a des combats.

Leur tactique militaire est visible même à petite échelle, dit Atwan : "Au lieu de se battre jusqu’à la mort, les brigades [de Daech] vont se glisser hors de batailles qu’ils sont incapables de gagner, en se regroupant dans des endroits plus avantageux. Une tactique utilisée pendant des années par le réseau d’Al Qaïda". La tactique de la retraite ne permet pas seulement à Daech de se regrouper ailleurs, mais elle fait également payer un lourd tribut à leurs ennemis. Le capitaine et porte-parole du Pentagone Jeff Davis dit que dans la bataille actuelle, Daech utilise les civils comme boucliers humains. "Ils sont retenus contre leurs grès" a-t-il dit à des journalistes à Washington mardi dernier. "Nous n’avons vu aucun changement concernant le départ de personnes durant les derniers jours." Daech se retire cependant des villages aux alentours de Mossoul. Il laisse derrière lui des maisons saccagées et un système complexe de tunnels.

Les villageois essaient de sauver leurs maisons, ce qui laisse entrevoir des dégâts encore plus forts à venir. Quant aux tunnels, ils montrent à quel point Daech a travaillé pour construire un système de ravitaillement efficace. Les dégâts dans les autres villes reconquises laissaient entrevoir ce qui allait se passer à Mossoul. Une grande partie de Ramadi est totalement réduite en ruines, et le Premier ministre irakien estime que 90% de la ville a été piégé par des explosifs durant la bataille. Cela inclut des munitions non encore utilisées ainsi que des explosifs intentionnellement placés par Daech dans les écoles, les maisons et les hôpitaux. On observe un schéma similaire à chaque fois qu’une ville est reprise à Daech, ce qui fait que les retraites de Daech sont très destructrices. Grâce aux sabotages et à l’utilisation de civils comme boucliers humains, Daech est quasiment certain de créer une catastrophe humanitaire lors de la bataille de Mossoul.

Le gouvernement irakien et ses alliés américains auront leur victoire (même à la Pyrrhus) à cause de ce que Mossoul représente : c’est la deuxième ville d’Irak et, après tout, c’était de là-bas que le leader de Daech Abou Bakr Al Baghdadi a déclaré le califat. Ce n’est pas comme si l’armée américaine ne comprenait pas le problème. Le lieutenant général Sean MacFarland déclarait en août que "le succès militaire en Irak et en Syrie ne voudra pas forcément dire la fin de Daech. On peut s’attendre à ce que l’ennemi s’adapte, se transforme en une vraie insurrection et une organisation terroriste capable de terribles attaques comme celle du 3 juillet à Bagdad et les autres que nous avons vues à travers le monde".

En d’autres termes, les djihadistes vont simplement répéter le cycle comme ils l’ont fait dans le passé. La hijra en tant qu’appel pour les djihadistes à migrer de nouveau vers un Etat islamique se reproduira. Si on empêche réellement Daech d’entrer en Irak, ses combattants iront se battre comme ils l’ont fait auparavant en Afrique du Nord, dans les Balkans et en Asie Centrale. La bataille n’est pas contre des extrémistes qui se terrent à Mossoul. C’est une guerre sans frontières.

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