Pourquoi une démission de Jérôme Salomon devient une question majeure de salubrité publique. Et d’efficacité sanitaire <!-- --> | Atlantico.fr
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Jérôme Salomon coronavirus covid-19
Jérôme Salomon coronavirus covid-19
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Directeur Général de la Santé

Sans aller jusqu’au hara-kiri, il est inconcevable que Jérôme Salomon reste en poste après les révélations de la commission d’enquête du Sénat sur la question du Covid. Pas pour des raisons pénales. Mais parce qu’il n’y a pas d’efficacité sanitaire sans confiance.

Jean-Philippe Feldman

Jean-Philippe Feldman

Jean-Philippe Feldman est agrégé des facultés de droit, ancien Professeur des Universités et maître de conférences à SciencesPo, et avocat à la Cour de Paris. Il est vice-président de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (A.L.E.P.S.).

Dernier ouvrage publié : Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron (Odile Jacob, 2020).

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Atlantico.fr : Désormais largement mis en cause par la commission d’enquête du Sénat, Jérome Salomon n’est-il pas voué à démissionner si l’Etat veut espérer redonner de la crédibilité à la politique sanitaire française et de la confiance dans celle-ci ? 

Jean-Philippe Feldman : Je ne me prononcerai pas précisément sur la situation d’une personne mise en cause, d’autant plus que l’affaire est toujours en cours. L’important me paraît être ce que cet incident présente de révélateur. Ce n’est certainement pas la démission d’un individu qui redonnera (donnera plutôt) confiance envers une politique qui a été menée en dépit du bon sens. Certes, la situation était très délicate et il est toujours facile dans sa tour d‘ivoire de donner des leçons. Mais force est de constater que notre État providence, qui participe de l’exception française à laquelle je viens de consacrer mon dernier ouvrage, a été en-dessous de tout : imprévoyant, prétentieux et inefficace. En dépit du fait que nous soyons les champions du monde des prélèvements obligatoires et, au sein de ceux-là, des cotisations sociales, notre système public de santé a démontré toutes ses faiblesses, qu’il s’agisse de sa centralisation ou de sa bureaucratie.

A-t-on trop tendance à privilégier les hommes politiques comme fusibles plutôt que les hauts-fonctionnaires travaillant pour eux qui semblent bénéficier d’une certaine impunité ?

Je ne le crois pas. C’est même l’inverse qui me semble frappant et ce, depuis plusieurs décennies. Dans un régime parlementaire comme le nôtre, un régime unique au monde certes car il s’agit d’un régime parlementaire à présidence (très) forte, mais un régime parlementaire tout de même, c’est l’homme politique qui doit être responsable et qui doit  assumer les conséquence de ses actes comme de ceux de son administration. Les IIIème et IVème Républiques voyaient les ministres mis en cause démissionner à répétition. Aujourd’hui en revanche, les membres du Gouvernement, en réalité choisis pour l’essentiel par le chef de l’État et non pas par le Premier ministre, restent en place au bon vouloir de l’autorité qui les nomme, quitte à ce que des « sous-fifres » jouent parfois le rôle de lampistes. En l’espèce, la personne mise en cause, le Directeur général de la santé, est nommée par décret du Président de la République. Logiquement, c’est sur le numéro un du ministère que doit peser par priorité une éventuelle responsabilité, et non pas sur le numéro deux. Bien entendu, il peut exister des cas où toute une hiérarchie soit responsable si bien qu’une cascade de démissions serait concevable.

Pour rétablir un État sain, ne faudrait-il pas que les hauts-fonctionnaires soient tenus responsables de leurs actes ?

Il est exact que l’article 15 de notre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen énonce que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Mais il existe différents types de responsabilité des fonctionnaires : disciplinaire (qui fonctionne mal, notamment du fait du poids des syndicats), civile et pénale. En revanche, la responsabilité politique (de plus en plus confondue, de manière archaïque au regard de l’évolution de régimes parlementaires, avec la responsabilité pénale) est le domaine des hommes de l’État. C’est le chef du département ministériel qui est le responsable de son administration. Il est donc logique que ce soit le ministre qui soit le « fusible ». Soit parce qu’il a donné les ordres litigieux (auquel cas il ne saurait être qualifié de fusible, mais de responsable et de coupable). Soit parce qu’il a laissé faire et qu’il n’a pas « tenu » son administration (auquel cas il n’est pas responsable au sens strict, mais toujours coupable…). En dernier lieu, et conformément à l’article 20 de notre Constitution, le Gouvernement dispose de l’administration, selon une expression un peu étrange au demeurant mais peu importe. C’est donc le Gouvernement, avec à sa tête le Premier Ministre, qui est formellement responsable en dernier ressort, d’autant plus qu’un ministre a souvent peu de poids réel sur la politique menée. Un scandale ministériel peut donc remonter par capillarité jusqu’au plus haut niveau, donc jusqu’au Gouvernement lui-même. Je rappelle que le Président de la République est, lui, par principe irresponsable politiquement.

J’ajouterai trois choses. D’abord, la France ne connaît pas, du moins officiellement, le système des dépouilles à l’américaine, le « spoil system », sauf exception ; nos fonctionnaires font carrière en vertu d’un statut de la fonction publique et les postes à la discrétion du pouvoir , s’ils sont importants, n’en sont pas moins quantitativement limités au regard de la lourde machine gouvernementale et d’une fonction publique pléthorique. Les démissions ne peuvent être que moins fréquentes dans un système d’administration classique. Ensuite, la confusion actuelle vient du fait que, bien souvent, les membres du Gouvernement et les fonctionnaires ont la même formation. Sous les républiques précédentes (que je n’idéalise pas pour autant, loin de là !), il existait un véritable césure entre l’administration et la politique. Celle-là était d’ailleurs accusée de gouverner en réalité le pays compte tenu de l’instabilité gouvernementale. Aujourd’hui, la situation est très sensiblement différente : les hommes politiques sont fréquemment des fonctionnaires ou des anciens fonctionnaires, la plupart du temps passés par l’École nationale d’administration. Or, en dernier ressort, un énarque est fait pour obéir, et non pas pour commander. De plus, il y a une grande stabilité gouvernementale (et heureusement !), mais, suivant les départements, une plus ou moins forte instabilité ministérielle, ce qui accroît dangereusement la puissance de l’administration (on en revient par conséquent peu ou prou à la situation des républiques antérieures, mais par un autre chemin…). Enfin et surtout, il y aurait moins de polémique si notre État était moins tentaculaire. La question de la responsabilité des fonctionnaires perdrait alors beaucoup de son intérêt…

Jean-Philippe Feldman est agrégé des facultés de droit, ancien Professeur des Universités, Maître de conférences à SciencesPo et Avocat à la Cour de Paris (Cabinet Feldman).

Il vient de publier Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron (Odile Jacob, 2020).

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