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Pourquoi Tim Berners-Lee, l’inventeur du web, s’inquiète de la spirale négative dans laquelle s’enferme sa création
©The Internet Map

Vers un futur dysfonctionnel

Alors que le 12 mars 2019 correspond au 30e anniversaire de la création du World Wide Web, son fondateur, Tim Berners-Lee s'est déclaré inquiet par le développement ces dernières années de la désinformation et des "saletés" sur la Toile.

Bernard Benhamou

Bernard Benhamou

Bernard Benhamou est secrétaire général de l’Institut de la Souveraineté Numérique (ISN). Il est aussi enseignant sur la gouvernance de l’Internet à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne. Il a exercé les fonctions de délégué interministériel aux usages de l’Internet auprès du ministère de la Recherche et du ministère de l’Économie numérique (2007-2013). Il y a fondé le portail Proxima Mobile, premier portail européen de services mobiles pour les citoyens. Il a coordonné la première conférence ministérielle européenne sur l’Internet des objets lors de la Présidence Française de l’Union européenne de 2008. Il a été le conseiller de la Délégation Française au Sommet des Nations unies sur la Société de l’Information (2003-2006). Il a aussi créé les premières conférences sur l’impact des technologies sur les administrations à l’Ena en 1998. Enfin, il a été le concepteur de « Passeport pour le Cybermonde », la première exposition entièrement en réseau créée à la Cité des Sciences et de l’Industrie en 1997.

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Atlantico: Il faudrait selon lui une réaction mondiale pour s'attaquer à la pente glissante qui la menait à un "futur dysfonctionnel".  Jusqu'à quel point les inquiétudes du fondateur du Web vous semble-t-elle fondées ? 

Bernard Benhamou : Malheureusement, les évènements récents lui donnent raison, n'oublions pas que le Web est une création européenne qui avait pour but de décentraliser la capacité d'échange des contenus des utilisateurs. De ne plus dépendre de systèmes centralisés comme anciennement le Minitel, ça a globalement fonctionné jusqu’aux GAFAM qui ont recentralisé les informations, au point que les jeunes générations confondent souvent Facebook et le Web. Il faut se rappeler que le Web était conçu comme un outil de décentralisation des savoirs qui permettait à chacun de devenir éditeur de contenus. L'inquiétude de Berners-Lee est légitime, les abus des positions dominantes des GAFA mènent à un contrôle sur les contenus et à terme à une stagnation de l’innovation. Mais plus important encore, comme l’a montrée l’affaire Cambridge Analytica / Facebook et les ingérences dans les différentes élections occidentales, il y a maintenant une menace claire de ces plateformes sur le devenir de nos démocraties.

Tim Berners-Lee a appelé à ce qu'apparaissent des "champions du web au sein des gouvernements" capable d'agir "quand les intérêts du secteur privé menacent le bien public" et de "protéger le Web ouvert". Pour cela il a présenté son "Contract for the Web". En quoi consiste ses propositions ? Vous semblent-elles correspondre aux problèmes actuels ?

De nombreuses propositions institutionnelles ont été envisagéesavait pris plus tôt la mesure de l’affaire Snowden, les récents scandales auraient pu être limités. La France a ainsi été l’une des seules démocraties occidentales à ne pas déclencher d'enquête suite aux révélations d’Edward Snowden. À l’inverse, l'Allemagne a réagi de manière beaucoup plus forte. La loi sur les Fake News par exemple, correspond à une réaction par rapport aux scandales successifs d'intrusions dans les campagnes électorales (en France y compris). Il aurait fallu se structurer avant, car la nature de ces scandales menaçait depuis plusieurs années déjà l'équilibre des démocraties. Il nous faudra mieux prendre en compte ces problèmes, et surtout voter d'autres lois. Une des propositions de Berners-Lee est SOLID, pour une reprise en compte des valeurs fondamentale du Web décentralisé, c’est-à-dire une architecture décentralisée. Il faut établir un meilleur encadrement institutionnel et légal des technologies, mais aussi développer des technologies alternatives pour ne pas dépendre de sociétés monopolistiques. Récemment, la candidate démocrate à l’investiture démocrate Elisabeth Warren à ainsi proposé de démanteler les grands acteurs d'internet, pour éviter qu'ils ne puissent abuser de leurs positions dominantes sur les secteurs qu’ils contrôlent.

Selon son fondateur qui le compare à un "adolescent", le web pourrait être changé. Mais cela signifie-t-il qu'on ne retrouvera pas l'aspect utopiste de son "enfance" ?

Aujourd'hui nous sommes très loin de l'utopie, lors des Printemps Arabes Hillary Clinton pensait apporter la "démocratie" dans cette région du monde grâce à Facebook et Twitter. Les temps "héroïques" de l'internet sont terminés, faut-il refonder un internet différent ? C'est une vraie question, mais n'oublions pas que les différentes options prennent du temps, et que les crises que nous avons à affronter aujourd’hui relèvent de l’urgence démocratique ! Nous les avons vécus depuis 2016 à chaque élection des manipulations électorales liées aux données personnelles, et les prochaines élections européennes seront un bon test de la réactivité de nos démocraties vis-à-vis des risques d’ingérence étrangère. Ainsi, avant de penser régler les problèmes des décennies à venir, il nous faut gérer l'évolution de l'internet d'aujourd'hui. Il faut limiter le pouvoir des grandes plateformes, qui utilisent leurs positions pour leurs intérêts propres, aux détriments de l’ensemble des acteurs de l’Internet. À défaut de revenir à l'adolescence de l'internet, il nous faut acquérir collectivement une plus grande lucidité ! Le besoin de refonder le Web ne doit pas occulter le fait de régler les problèmes immédiats. C’est peut-être cette maturité technologique des démocraties qu’il nous faut acquérir pour sortir de l’adolescence technologique…

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