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Pourquoi une série de reculs sur le libre-échange priverait le monde d'une puissante manière d'éviter la guerre
©Reuters

La solution est dans le commerce

Depuis Montesquieu réside l'idée, dans les sciences sociales, selon laquelle le commerce entre deux nations participe à la réduction des tensions et de la potentialité d'un conflit armé entre elles. Cette vision a récemment été corroborée par des tests statistiques réalisés par des politologues et des économistes.

Thierry Mayer

Thierry Mayer

Thierry Mayer est actuellement Professeur d’économie à Sciences-Po, conseiller scientifique au CEPII et fellow au CEPR. Ses travaux de recherche portent sur les nouvelles théories du commerce international, la localisation des firmes multinationales, la nouvelle économie géographique et les effets frontières.Il a également publié deux manuels, Economie Internationale chez Dalloz en 2005 et Economie Géographique chez Economica en 2006.

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Atlantico : Dans quelle mesure les traités de libre-échange peuvent-ils être perçus comme des outils diplomatiques ? 

Thierry MayerIl s'agit là d'une très vieille idée dans les sciences sociales, qui remonte à Montesquieu. Selon celle-ci, le libre-échange a un effet causal, direct sur le commerce. Le fait qu'il y ait plus de commerce entre deux nations va participer à la réduction des tensions et à la potentialité d'un conflit armé entre deux nations, tout simplement parce que celles-ci auraient plus à perdre. Si l'on créé du commerce, on créé du bien-être pour les deux pays, et on réduit ainsi les incitations à mettre à mal ce bien-être. Plus il y a de commerce entre deux pays, plus vous avez tendance à favoriser la paix entre les deux, ou plutôt à transiger, à négocier sur les potentielles sources de conflits armés ou diplomatiques. Cette vision a été mise en tests statistiques récemment, aussi bien par des politologues que par des économistes : on s'est aperçu que cette idée marche plutôt bien dans les données, à condition de faire quelques ajustements. Toutefois, une nuance est à noter, quant à l'idée selon laquelle le conflit armé détruit le commerce. En réalité, le conflit armé bilatéral réduit le commerce d'environ 50% entre les deux belligérants.

Une chose est importante : lorsque vous réduisez le commerce avec le pays contre lequel vous êtes en guerre, il convient de se demander s'il est possible de reporter ces parts commerciales perdues vers d'autres partenaires. Imaginez que vous êtes un État très ouvert avec plein de pays du monde : le fait de rentrer en conflit avec l'un deux réduit la gravité de la situation, compte tenu du fait qu'il vous reste un nombre important d'autres pays avec qui commercer. 

Quel danger représente certaines personnalités politiques, parmi lesquelles Donald Trump, à constamment souligner les effets négatifs du libre-échange en dépit de ses effets positifs, parmi lesquels donc la prévention des conflits armés ? 

Donald Trump n'est pas le seul à fustiger le libre-échange : on retrouve un tel discours également au Royaume-Uni dans le cadre du Brexit, mais aussi chez Marine Le Pen et d'autres acteurs de la scène politique française. Pour eux, d'un point de vue purement économique, le libre-échange est néfaste pour la nation. Les économistes ont une vision beaucoup moins univoque qu'on ne le penserait. Ils pensent qu'effectivement, le libre-échange est une bonne chose parce qu'il favorise la concurrence, l'efficacité de l'économie, etc. Bien évidemment, il y a toute une partie de la population qui ne gagne pas au libre-échange, ce que les économistes n'ont jamais nié. Si l'on pense qu'il y a un gain au total, la question qui se pose donc est celle de la redistribution à l'intérieur du pays. Quand un pays comme les États-Unis, l'Angleterre, ou peut-être un jour la France, n'arrive pas bien à redistribuer des gagnants vers les perdants, la solution qui paraît dès lors la plus naturelle consiste à dire qu'il faut fermer les frontières. Il n'est pas facile de traiter les poches de chômage liées à la mondialisation ; cela réclame une sorte d'ingénierie politique assez compliquée. Pour les économistes, la fermeture des frontières n'est pas une bonne idée ; il serait préférable de traiter le problème à la source.

Ce que Donald Trump n'a pas du tout en tête, je pense, réside dans une forme de double punition. Imaginons que l'Alena soit rompue : il y aura nécessairement un coût économique, mais aussi un coût de la conflictualité non négligeable avec les voisins nord-Américains des États-Unis. Ainsi, tout deviendra plus difficile à négocier, compte tenu du fait les entreprises seront ainsi moins dépendantes les unes des autres. C'est un peu jouer avec le feu même si la zone nord-américaine n'a pas eu de conflits récemment. Toutefois, il n'est pas exclu que nous puissions arriver à des niveaux de conflictualité élevés. 

Si l'on considère la dimension diplomatique non négligeable de certains accords de libre-échange favorisés directement ou indirectement par les États-Unis – le GATT, l'Union européenne, le TPP, etc. – que reste-t-il de leur dimension purement économique et commerciale ? 

Le principal objet de ces accords reste l'économie. À l'heure actuelle, le scénario le plus probable du Brexit, c'est qu'il n'y ait pas de marché unique accordé aux Britanniques, mais une sortie de l'Union où il n'y aurait même plus d'accès préférentiel. Ainsi, sur toutes les voitures qu'ils pourraient consommer, un tarif douanier de 10% serait appliqué - celui pratiqué à l'heure actuelle par l'OMC. 

La dimension politique, bien-sûr, ne peut pas être négligée. Un accord de libre-échange, c'est un peu comme un forum : il s'agit d'un bien commun que l'on possède et qui offre de nombreuses possibilités de discussion. On voit donc le risque qu'il pourrait y avoir à voir ce bien commun disparaître. 

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