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Pourquoi penser que les catholiques sont les plus susceptibles de basculer dans la radicalité vis-à-vis de l’islam ne repose sur aucun fondement
Contrairement à ce qu'avance Odon Vallet, qui parle de "risque de radicalisation chez certains catholiques", ces derniers, qui portent le deuil de Jacques Hamel, le prêtre tué le 26 juillet par des islamistes, ne sont pas les plus concernés par la tentation pour l'extrême-droite.
Philippe Bilger
Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.
Dans un article paru dans Le Point (lire ici), l'historien des religions Odon Vallet déclare qu'il y a un risque de radicalisation chez les catholiques, réagissant à la mort du prêtre de Saint-Etienne-du-Rouvray :
"Le vrai risque, c'est une radicalisation d'une partie de l'opinion catholique, dont une part non négligeable déjà vote Front national. Désormais, il pourrait y avoir une opinion catholique, non pas unanime, mais assez importante, qui demande des actes plus forts à l'égard de l'islamisme violent, avec le risque de s'en prendre à la communauté musulmane. Et c'est ce que cherche Daesh : diviser et dresser musulmans contre catholiques, sachant que la France est la patrie des croisades".
Pourtant, loin des clichés historiques sur les croisades, les réactions du clergé catholique sembleraient indiquer tout autre chose. Et le résultat du premier tour des élections départementales de 2015 montraient un tout autre visage que celui de "la patrie des croisades" prouvant que le catholicisme est bien loin de fournir les rangs du Front national, comme l'estime Odon Vallet.
L'analyse de Jérôme Fourquet à l'époque confirme cette idée.
Atlantico : Le premier résultat sur la participation montre que plus la pratique religieuse est assidue, plus la présence au scrutin est importante. Comment expliquer ce lien entre deux pratique, le vote et la religion, qui n'ont, en principe, pas de rapport direct ?
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Jérôme Fourquet : Ce n'est effectivement pas une tendance occasionnelle, on constate scrutin après scrutin que les catholiques pratiquants sont parmi ceux qui ont la pratique politique la plus dévelopée. De nombreuses études se sont intéressées à cette question et il apparaît que le catholicisme correspond souvent à une adhésion à un système de valeurs qui intègre dans la société. Le vote en devient sacralisé et le civisme développé. D'autres éléments explicatifs sont plutôt des "variables cachées" : les catholiques pratiquants sont en effet plus âgés que la moyenne, se retrouvernt plus chez les CSP+ et une représentation importante de personnes vivant en province. Toutes ces caractéristiques sont des paramètres qui contribuent à une abstention moindre aux élections. Et on constate d'ailleurs que au sein des catholiques pratiquants, il y a même un écart important enle non-pratiquant, et le pratiquant régulier qui participe à 80%.
41% des catholiques ont voté pour des candidats de droite, et 26% pour le FN, soit largement plus que la moyenne nationale, soit une sur-repérsentation par rapport à la gauche sous-représentée. Comment expliquer cette importance de la droite ? Est-elle nouvelle ?
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C'est effectivement une tendance très lourde. On voit que les régions qui ont connu très tôt un déclin de la pratique religieuse votent plus à gauche, alors que les zones où, à l'époque de la Révolution française, avaient un rapport conflictuel à la République (notamment avec l'obligation des prêtres de jurer fidélité à la Constitution et ne plus reconnaître l'autorité du pape) sont celles qui votent le plus à droite. On voit également des clivages important, que ce soit sur la loi de 1905 de séparation de l'Eglise et de l'Etat, ou la loi sur l'école libre en 1984 qui sont des moments importants et très clivants. ll y a bien sûr également une proximité au niveau des valeurs comme la famille traditionnelle, le respect de la hiérarchie, l'importance de l'autorité, la défiance face à la philosophie des Lumières qui poussent les catholiques vers la droite. On notera d'ailleurs que ce positionnement n'est pas une tendance universelle, aux Etats-Unis par exemple, les catholiques sont plutôt marqués à gauche et proche du parti démocrate. Mais bien sûr, là-bas les catholiques sont minoritaires face aux protestants.
Le FN avait souvent jusque-là un score plutôt modéré chez les catholiques. Pourquoi ?
Plus on s'éloigne d'une pratique active du catholiscisme, plus le score du Front national progresse. Ce sont les non-pratiquants qui font l'importance du score. Chez les pratiquants on est 10 points en-dessous de la moyenne pour le vote en faveur du FN. Les pratiquants sont même, avec les cadres, la population la plus réfractaire au parti de Marine Le Pen. Plus on baisse dans la pratique religieuse, plus le FN augmente, et cela au détrimant de la droite.
Globalement, les valeurs catholiques, pour ceux qui y adhèrent, font partie de ce qui est le plus éloigné de ce qui est aujourd'hui le discours du FN. Logiquement, plus vous êtes éloigné de cette fois catholique, moins vous partagez son corpus de valeurs, et plus vous pouvez vous laisser tenter par le FN. On l'a vu en marge de la manuf pour tous : il existe des courants catholiques très conbservateurs, qui intéressent les médias, mais en volume ils sont très minoritaires. Chez les catholiques pratiquants, le FN est à 9%, la gauche est à 20%... Même si cela existe, il y a dans les faits très peu de catholiques d'extrême droite.
Dans certaines régions de France assez catholiques (Centre, Bretagne), la gauche réalisait de bons scores chez cet électorat. A-t-on des éléments laissant entendre que même dans les fiefs "cathos de gauche", un reflux est marqué ?
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Le catholiscime de gauche n'a pas disparu. Parmi les catholiques pratiquants, vous avez entre un quart et un tiers qui ont voté pour des candidats de gauche ce qui n'est pas négligeable. Il y a également un vote important pour des "divers gauche" sans doute pour des considérations locales. Pèsent-ils encore beaucoup ? La diffusion des idées semble confidentielle mais il existe encore une influence intellectuelle forte avec des grandes voies morales.Et comme le monde catholique a tendance à se restreindre aujourd'hui, l'avenir s'annonce inquiétant. Mais pour le dire en une phrase : même si le monde catholique est largement à droite, il ne l'est pas à 100%.
Dans le cadre d'un duel FN/PS, l'électorat catholique dans son ensemble pencherait plutôt pour le FN. Pourquoi ?
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On constate ce que je vous expliquai : le FN ne l'emporte pas si l'on se focalise seulement sur les pratiquants réguliers. Plus on s'éloigne de la pratique, plus il y a tendance à voter FN, sur un écart qui n'est pas énorme, mais là où se joiue la victoire pour la barre des 50%. Et il ne faut pas oublier que l'on parle là des électeurs qui se sont exprimés, sans voter blanc... Mais clairement, on voit là encore que les catholiques représentent cette frange plus modérée de la droite, ce n'est donc pas là que l'on va trouver ceux qui seront des réserves de voix possibles pour le FN, qui lui plaît plus à ceux qui se sont éloignés de la pratique.
Que représente réellement le "vote catholique" en France ? Peut-il faire pencher la balance ?
Les catholiques pratiquants représentent 10 à 12% de la population française. Et comme ils votent plus que la moyenne, leurs poids électoral réel doit être autour de 15%. Cela peut jouer sur les scrutins nationaux. Nicolas Sarkozy a le plkus reculé entre 2012 et 2007 sur cette population des catholiques pratiquants malgré les nombreux gages qu'il avait donné (discours du "curé et de l'instituteur", visite au Vatican...), mais qui n'ont pas tenu face à son comportement au Vatican (pianotant sur son portable, emmenant avec lui Jean-Marie Bigard) ou son rapport à l'argent très éloigné des valeurs catholiques.
Méthodologie
Ce document présente les résultats d’une étude réalisée par l’Ifop. Elle respecte fidèlement les principes scientifiques et déontologiques de l’enquête par sondage. Les enseignements qu’elle indique reflètent un état de l’opinion à l’instant de sa réalisation et non pas une prédiction.
Aucune publication totale ou partielle ne peut être faite sans l’accord exprès de l’Ifop.
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Précision relative aux marges d'erreur
La théorie statistique permet de mesurer l’incertitude à attacher à chaque résultat d’une enquête. Cette incertitude s’exprime par un intervalle de confiance situé de part et d’autre de la valeur observée et dans lequel la vraie valeur a une probabilité déterminée de se trouver. Cette incertitude, communément appelée « marge d’erreur », varie en fonction de la taille de l’échantillon et du pourcentage observé comme le montre le tableau ci-dessous :
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Exemple de lecture du tableau : dans le cas d’un échantillon de 5 000 personnes, si le pourcentage mesuré est de 10%, la marge d’erreur est égale à 0,8. Le vrai pourcentage est donc compris entre 9,2% et 10,8%.
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