Pourquoi organiser une émission de télé-réalité pour confronter les politiques au quotidien des Français a malheureusement du sens<!-- --> | Atlantico.fr
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D8 va faire une émission de télé-réalité dont les participants sont des personnalités politiques.
D8 va faire une émission de télé-réalité dont les participants sont des personnalités politiques.
©Freepik

Mise en scène de l'échec

Alors que l'annonce par D8 d'une émission de télé-réalité dont les participants sont des personnalités politiques provoque un tollé à droite comme à gauche, la confrontation de ces derniers avec les problématiques qu'ils pensent avoir réglées ne peut malheureusement qu'être porteuse de sens.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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La question de la rupture entre les politiques et le peuple constitue probablement le point central de la gouvernance en France, et l’un des symptômes les plus évidents de la crise qui frappe la cinquième République. En annonçant le lancement d’une série de téléréalité avec des personnalités comme Bernard Accoyer, D8 vient probablement de dire le "roi est nu".

Le propos de l’émission est simple : des élus se transforment en Français de tous les jours et refont un "vis ma vie" qui ressemble furieusement à une Saint-Eloi ou une Sainte-Barbe où le troufion devient général. Thierry Mariani a par exemple joué le rôle d’un handicapé en fauteuil roulant. Cette expérience vivifiante lui a permis de découvrir qu’un fauteuil roulant pour prendre le métro n’avait rien à envier au parcours du légionnaire dans la forêt guyannaise.

Ce nouveau concept a immédiatement soulevé des polémiques sur la mise en scène du politique.

De fait, lorsque le débat public, lorsque l’autorité, a besoin de se projeter dans une émission, dans ce grand théâtre moderne qu’est la téléréalité, on ne peut qu’y voir un signe de décomposition. Les amateurs de philosophie se rappelleront ici les propos de Platon sur le théâtre, qui rend étranger à la conscience tout objet qu’il met sur scène. L’émission de D8 procède de la même logique : je regarde à la télévision, comme spectateur passif, ce que je ne peux voir dans la vraie vie, comme citoyen en relation avec ses élus.

Au fond, l’émission de D8 montre que la relation du politique au citoyen n’est plus une affaire de démocratie vivante, mais une mise en scène symbolique, un objet de curiosité et de contemplation. On regarde Mariani sur son fauteuil roulant, on regarde Accoyer jouer au brancardier, comme on regarde Hamlet s’insurger contre un imposteur, comme on regarde Néron tuer Britannicus. La démocratie dans la cinquième république est une affaire de représentation. Il faut se l’imaginer, se mettre sur des gradins pour en voir le jeu tragique. Mais jamais, le citoyen ne peut y participer.

Rien de plus utile pourtant, pour nos élus, que de se livrer à cet exercice. Tout à coup, ils découvrent que les mots qu’ils prononcent sous les lambris de la Cour ne désignent pas la réalité à laquelle ils pensent. On peut faire une loi sur l’accessibilité des lieux publics aux handicapés sans avoir atteint, ni même approché, la vie quotidienne des handicapés franciliens. Il fallait bien cette épreuve pour que Thierry Mariani mesure la fragilité du pouvoir face à une réalité qui est têtue et qui s’obstine à ne pas changer.

Telle est probablement la leçon que les téléspectateurs retireront de l’émission. On peut être ministre et préparer une loi sur un sujet dont on ignore tout. On peut pérorer dans les salons avec force discours qui parlent d’un autre monde que le nôtre. Pendant ce monde, les citoyens se débattent avec leurs problèmes, et leurs représentants se maintiennent dans l’illusion qu’ils les ont réglés.

D8 fera sans doute plus pour la chute du régime que des milliers de discours révolutionnaires. La chaîne donnera à voir, aux Français, que leurs élus ne savent rien de leur vie quotidienne, et que le pouvoir n’est qu’une comédie pathétique. 

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