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Pourquoi Marilyn Monroe ne peut avoir d'équivalent à l'ère d'Internet
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50 ans plus tard...

Elvis, Brigitte Bardot ou Marilyn Monroe avaient en commun d'éclore à la faveur de la libération des moeurs. Alors que déhanchés rock'n'roll et silhouettes féminines dénudées ont perdu de leur intérêt, de qui célèbrera-t-on l'anniversaire demain ?

 Jean-Michel  Espitallier

Jean-Michel Espitallier

Poète, l'écrivain Jean-Michel Espitallier est aussi un passionné de musique. Il est l'auteur de De la célébrité : théorie et pratique.

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Atlantico : Ce dimanche, nous fêterons les cinquante ans de la mort de Marilyn Monroe. Avec la « pipolisation » des mœurs et la production massive de stars par internet ou la téléréalité, une icône d’une telle envergure peut-elle exister encore aujourd’hui ?

Jean-Michel Espitallier : Je ne pense pas. Marilyn Monroe est liée à une époque : l’après-guerre, la reconstruction… Il y a une forte dimension contextuelle, historique. Ce n’est pas pour rien que le rock’n’roll apparaît à ce moment-là.

Depuis une vingtaine d’années, les stars qui émergent sont éphémères. Elles sont devenues des produits de grande consommation portés par des opérations marketing. Sauf pour quelques exceptions, leur ascension est très rapide.

Le culte voué à Marilyn et à d’autres célébrités cristallise une propension de la société contemporaine à commémorer les choses, comme si l’on regardait vers un paradis perdu. On pleure toujours sur le passé et ses grandes figures.

Marilyn a un parcours sans faute : la jeune américaine un peu éthérée, qui pourtant fréquente les plus grands – puisqu’elle a même entretenu une relation avec Kennedy, et surtout une mort tragique, énigmatique. Un vrai conte de fée, ou plutôt une tragédie grecque (le conte de fée finit très mal), qui plaît forcément.

Quel a été l’impact d’internet et des réseaux sociaux, qui rendent les stars plus accessibles ?

Il me semble que cette ambition de proximité ne fait que tuer les idoles. Car ce qui est important pour une idole, c’est qu’on ne peut pas l’atteindre. Dans les années 1930, Walter Benjamin parlait de la fin de l’« aura » au sujet de la photographie, estimant que la possibilité de tout reproduire favorisait une proximité et que cette proximité effritait la distance qui justement crée une sorte d’aura. Jadis, pour voir la Joconde, il fallait aller au Louvre. Aujourd’hui, elle est partout. Désormais, grâce à Facebook, on peut être ami avec Justin Bieber, Claude Debussy, John Lennon, Marilyn Monroe, etc. Même si cela n’est qu’une fiction, c’est une fiction qui donne l’illusion d’une proximité, et presque d’une intimité.

Vous estimez que, demain, c’est le titre d’« illustre inconnu » qui sera convoité. A-t-on tué notion même de « célébrité » ?

L’émergence de Marilyn Monroe, Elvis ou les Beatles correspond à l’émergence des médias de masse. Enfant, lorsque j’étais fan des Beatles, on avait beaucoup de mal à trouver des photos. Il y avait une pénurie d’images qui favorisait une espèce de manque. Alors qu’aujourd’hui, avec internet, les photographies et les vidéos les plus inédites sont accessibles en deux clics, ce qui amoindrit le désir. Car le désir est une tension qui n’existe que parce que l’objet du désir est ailleurs. La téléréalité a tué ce lieu de désir qu’étaient les médias, lieu magique parce qu’inaccessible. La prophétie warholienne du quart d’heure de célébrité pour chacun d’entre nous est devenu une réalité.

Quelles seraient les équivalents de Marilyn Monroe aujourd’hui ? De qui fêterons-nous l’anniversaire dans cinquante ans ?

On ne peut pas trouver un remplaçant. Ce sont des époques qu’on fête, pas des personnes. Il n’y a pas de qualité intrinsèque des vedettes. Nous sommes continuellement en demande de stars. Marx disait que ce ne sont pas les hommes qui font l’histoire mais l’histoire qui fait les hommes. L’idée est ici la même : c’est l’époque qui génère les idoles. Ressentira-t-on encore ce besoin, dans cinquante ans, de commémorer ? Je n’en suis pas sûr. En tout cas, pas de cette façon…

J’ai l’impression que les grands héros de la culture populaire - de la culture pop, en fait – ont existé dans les années 1950, 60, 70. C’est Elvis, John Lennon, Marilyn, à la limite les Sex Pistols, Marlon Brando, les grands réalisateurs ou acteurs hollywoodiens… Bizarrement, ils ont tous émergé au même moment. De même pour le rock’n’roll : pour moi, l’histoire du rock s’arrête avec les punks, et si on veut aller plus loin, on peut dire qu’elle s’arrête en 1994 à la mort de Kurt Cobain. Je m’intéresse particulièrement à la musique, et s’il existe aujourd’hui beaucoup de groupes intéressants, il s’agit surtout de redite, de réchauffé. C’est quasiment de la parodie : sur scène, on adopte des postures, on veut ressemble aux Who, aux Beatles, aux Stones ou aux Clash. On dirait qu’il y a eu un âge d’or et que la société contemporaine n’est plus capable que de le célébrer. On adopte des postures qui ne font plus sens aujourd’hui.

En juillet 2011 dernier, j’étais interviewé par un journaliste sur une chaîne en ligne qui me disait que ces gens qui pleurent à la mort de leurs idoles sont ridicules. A ce moment-là, une dépêche d’agence nous informa de la mort d’Amy Winehouse. Le journaliste nous a alors proposé de faire une minute de silence, se contredisant totalement. Cela montre bien qu’on est tous concernés, qu’on ne peut y échapper.

Alors, en 2061, on ne fêtera pas l’anniversaire de la mort d’Amy Winehouse ?

En tout cas, je peux vous dire qu’Amy Winehouse ne s’inscrit pas comme Marilyn Monroe dans une mythologie historique aussi forte. Marilyn c’est la Guerre froide, les Trente glorieuses, Kennedy, l’âge d’or d’Hollywood… Elle représente la libération des mœurs.

Ce qui a marqué les gens avec Elvis Presley, au-delà de sa musique, c’est qu’il se déhanchait sur scène. A l’époque, c’était carrément pornographique.

On a connu une révolution de l’image qui est liée à l’après-guerre, quand le monde se colorise, à partir des années 1950, pour simplifier. La télévision a rendu les artistes plus visibles : on ne les voit plus seulement sur scène, mais aussi à la télévision.

Au contraire, aujourd’hui, la libération des mœurs, c’est fini. Même si, bien sûr, il y a toujours des choses à gagner.

C’est un peu comme pour Brigitte Bardot : la femme libre, libérée, un peu iconoclaste, qui ne pouvait exister que dans les années 1960. Une fille qui revendiquerait le droit de montrer ses fesses à la télévision aujourd’hui, ça endormirait tout le monde

Propos recueillis par Ania Nussbaum

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