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Pourquoi les tensions sur l’immobilier et le logement restent fortes alors que les conditions de crédit n’ont jamais été aussi favorables
©Flickr

Taux moyen des crédits immobiliers

Le baromètre de l'Observatoire Crédit Logement et l'Institut CSA révèle que le taux moyen des crédits immobiliers a atteint un record historiquement bas de 1,29%, le taux d'intérêt réel corrigé de l'inflation étant par conséquent négatif.

Michel Mouillart

Michel Mouillart

Michel Mouillart est professeur d'économie à l'Université Paris X, spécialiste de l'immobilier et du logement.

Il est le co-auteur de La modernité des HLM : Quatre-vingt-dix ans de construction et d'innovations (La Découverte, 2003).

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Atlantico :  Vous avez publié comme chaque mois, avec l'Observatoire Crédit Logement et l'Institut CSA, le taux moyen des crédits immobiliers en France qui s'établit à 1,29%, un record historiquement bas. Cette baisse des taux de crédit amorcée notamment par la politique monétaire de la BCE est-elle en capacité de contrecarrer la dégradation du marché de l'immobilier ?

Michel Mouillart : Avant toute chose, il faut rappeler que les taux des crédits immobiliers sont descendus en mai dernier à un niveau que l’on n’avait encore jamais vu. Le dernier "record" était en novembre 2016 puisqu’on était alors à 1,33% Et le taux d'intérêt réel (corrigé de l'inflation) est négatif depuis une année maintenant. Il faut revenir loin en arrière en 1951, 1958 ou plus près de nous en 1974 pour trouver des taux d'intérêt réel sur les crédits immobiliers qui soient négatifs. Ils étaient alors négatifs car l'inflation était à deux chiffres. C'est un élément qu'il convient de mettre en avant. En outre, le taux qui est publié est un taux moyen. Mais quand on regarde dans le détail, le taux est encore plus bas pour beaucoup de produits de financement. Sur les prêts à 15 ans il est inférieur à 1%. Sur des prêts à 20 ans, on se rapproche aussi de 1% pour une grande partie des emprunteurs, ceux qui peuvent bénéficier de conditions plus favorables en raison de leur patrimoine ou de l’opération financée.

Dans le même temps ces taux d'intérêt très bas sont associés à des durées des prêts qui n'ont jamais été aussi élevées.

Si on prend l'accession a la propriété en moyenne on est sur des durées de 20 ans et plus. On n'avait jamais vu ça par le passé. Est-ce que ces conditions de crédit sont suffisantes pour permettre au marché immobilier de résister et d'afficher un niveau d'activité élevé? La réponse est positive. Sur le marché de l'ancien on n'a jamais vu un tel nombre de logements achetés par les ménages. Sur le marché du neuf les conditions de crédit ont permis a l'activité de pas s'effondrer en réponse aux décisions du gouvernement prises dès le début de 2018 : la dégradation du prêt à taux zéro, la restriction de l'investissement locatif privé, la surpression des aides personnelles à l'accession à la propriété. Il est clair que ces dispositions en d'autres circonstances auraient provoqué un effondrement du niveau de la construction. Elles ont eu des conséquences bien sûr, mais elles ont été très largement amorties. Par exemple sur les ventes de maisons individuelles : en 2018 les ventes n'ont reculé que de 10 000 unités sur un marché qui a représenté au total 138 000 ventes. S'il n'y avait pas eu l'évolution des conditions de crédit, on estime que la baisse aurait été de l'ordre de 25000 unités.

Au contraire, ces taux bas ne favorisent-ils pas déjà ceux qui ont de l'argent ? Est-ce qu'à la fin ça ne finit pas par accentuer les inégalités ?

Tout dépend de l'échelle à laquelle on observe le problème et du type de marché que l'on analyse. Jusqu'alors nous avons parlé uniquement des conditions de crédit. Si l'on prend les prêts à 15 ans ou les meilleurs des prêts à 20 ans on est sur des taux à 1%. Mais cela n’est pas suffisant pour comprendre ce qui s’est passé.

Pour que le ménage puisse réaliser son projet il faut qu'il puisse disposer d'un apport personnel et c'est bien souvent ce qui fait défaut. On sait que les inégalités d'accès a la propriété sont largement déterminées par les inégalités de revenus et de richesse. Il est clair que l'amélioration des conditions de crédit n'aurait jamais été suffisante si dans le même temps les banques n'avaient pas baissé de manière très rapide les exigences quant aux apports personnels exigés.

Au début de l'année 2015 dans le marché du neuf, en moyenne, les taux d'apport personnel demandés par les banques étaient d'au moins 21%. Au début de 2019 les taux d'apport personnels demandés par les banques sont de l'ordre de 15%. En baissant les taux d'apport personnels qu'elles demandent, les banques ont permis à des ménages jeunes, modestes, de réaliser un projet immobilier. C'est bien pour cela que l'activité tient bien aujourd'hui (et a même progressé dans l'ancien). Au mois de mai, le taux d'apport personnel moyen exigé était de 14,1%. On n'a jamais vu des taux aussi bas. Pour comprendre, à la fin de l'année 2004, les taux d'apport personnels étaient deux fois plus élevés (28%).

On aura toujours la réflexion selon laquelle ces très bonnes conditions de crédit bénéficient peu aux ménages qui n'ont pas ou que peu d'apport personnel mais l'évolution dans l'offre des banques a largement permis de corriger cela.

Maintenant les marchés sont très différents selon les villes.

Si on prend ces marchés, très convoités ou des marchés de pénurie, il est clair que de toute façon ce que l'on vient de dire sur les taux de crédit ou les apports personnels ne tiendra pas la route. Quand à Paris on est depuis l'été 2018 à plus de 10 000 euros du m², il est évident que ce n'est pas là qu'un couple d'instituteurs va réaliser un projet d’accession à la propriété. A Bordeaux, à 4700 euros le m² il est clair qu'il sera difficile de faire venir autre chose que des parisiens qui veulent descendre vers le Sud ou les catégories les plus aisées qui ont été prospectées pour remplir les programmes immobiliers de la métropole bordelaise.

Même si des villes comme Paris ou Bordeaux sont emblématiques d'une situation particulière, ce n'est pas la situation que l'on observe dans toutes les métropoles. Si on observe la métropole de Grenoble, on tombe à  2500 euros le m², celle du Grand Nancy 2000 euros du m², Rouen : 2300 euros m², Brest 2000... Sur ces territoires, l'amélioration du crédit et la baisse des apports personnels ont permis au marché de tenir et de se développer. Quand on regarde plus en détail, on voit bien que ceux qui accèdent à la propriété sur ces territoires sont des ménages  de plus en plus jeunes et pour une large partie d'entre eux, modestes. On est bien là dans une situation inédite car on a un dynamisme de l'offre bancaire qui est sans précédent à la fois en termes de volumes de prêt accordés et de conditions qui sont faites à la clientèle.

La dégradation du marché n'est-elle pas plutôt le fait des contraintes réglementaires (par exemple foncières) qui pèsent sur l'offre immobilière, à l'achat ou à la location ?

Ces contraintes, on sait qu'elles existent et qu'elles se sont renforcées au fil des années. Que les différentes lois qui se sont succédées, les évolutions de la fiscalité, de la parafiscalité ou encore la dégradation des aides publiques ont rajouté aux déséquilibres. S'il n'y avait pas eu ce dynamisme bancaire et derrière la stratégie de la BCE nous serions sur un champ de ruine. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce ne sont pas ces mesures contraignantes qui facilitent l'accès au logement ou redonne du pouvoir d'achat aux Français. Au contraire, quand les banques baissent les taux d'intérêt, elles redistribuent du pouvoir d'achat. Cela a donné un regain de pouvoir d'achat qu'aucun allègement des dispositifs réglementaire aurait permis d'obtenir.

C'est pour cela que ce qu'on a publié mérite une réflexion de la part des uns et des autres. Cela montre qu'il y a une capacité de réponse qui peut se faire en dehors de l'intervention publique. Evidemment cela peut présenter des inconvénients. Quand on voit que le dynamisme de l'offre bancaire a permis de compenser, voire de surcompenser la dégradation du prêt à taux zéro, un esprit malicieux pourrait voir là une magnifique opportunité de réduire encore plus les aides publiques pour l'accès à la propriété.

Ce qui est sûr aussi, c'est que les dispositifs publics mis en place ne permettent pas de desserrer la contrainte quantitative sur le marché parisien. Je trouve extraordinaire de lire les déclarations qui ont pu être faites non seulement par des politiques parisiens ou des milieux associatifs. Laisser penser qu'un dispositif comme l'encadrement des loyers permet de faciliter l'accès au logement est inexact. La conséquence, on l'a bien vu, c'est la mise en vente des biens immobiliers ou leur transfert sur des plateformes telle AirBNB.

Un assouplissement des contraintes réglementaires au contraire pourrait permettre de desserrer l’étau qui pèse sur le marché de l'immobilier.

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