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Pourquoi les images porno vues sur leurs smartphones pourront briser la future carrière de vos enfants
©PEDRO PARDO / AFP

Danger classé X

Durant le confinement, le portable et les réseaux sociaux ont été des espaces d’expressions sexuelles pour de nombreux adolescents. Cette explosion du "sexe virtuelle" est une véritable bombe à retardement.

André  Corman

André Corman

Le Docteur André CORMAN est médecin sexologue et andrologue et directeur d'enseignement à la Faculté de Médecine Toulouse III

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Atlantico :  Durant le confinement, le portable et les réseaux sociaux ont été des espaces d’expressions sexuelles pour de nombreux adolescents. Une situation qui existait avant le confinement mais qui a été catalysé par celui-ci. Quels sont les risques que cette situation a exacerbés ? 

André Corman : « Faute de grives, on mange des merles », une vieille métaphore pour illustrer une des conséquences de l’extrême modernité numérique. C’est pourtant ce qui s’est passé pendant le confinement : l’impossibilité de la relation réelle, concrète, celle de la découverte et de l’échange avec l’autre, mobilisant les sens et la parole, devenant impossible, la voilà remplacée par une relation, elle possible, virtuelle et numérique. Ce qui n’était qu’un plus devient l’unique. « Sexe virtuel ou pas de sexe du tout » fut l’équation du confinement pour la plupart des ados d’où l’explosive consommation de ces pratiques. Certes, nous savions déjà  qu’à côté de l’usage passif de la pornographie, nous avions  un certain nombre de jeunes qui en étaient aussi devenus acteurs avec l’usage des Sexting (échanger des messages, photos et vidéo à caractère sexuel), les After Sex Selfies (Selfies après l’amour), le Live show sexuel (faire un striptease ou un spectacle érotique devant sa webcam), la Sextape (tourner une vidéo porno maison) et, le pire, le Revenge porn (se venger de l’autre en postant des photos porno d’elle (lui) sur les réseaux sociaux. Mais, ce qui n’était que l’apanage de quelques délinquants (cette dernière pratique relève de la loi) s’est répandu dans la vie sexuelle de presque toutes et tous. C’est l’ignorance qui fait le lit des victimes et c’est à mes yeux le principal risque de ce remplacement (virtuel versus réel) qui s’est opéré pendant le confinement.

L’échange de photos à caractère sexuel est l’un des soucis majeurs de cette situation. Qu’est-ce qui pousse les adolescents à faire cela ? Pourquoi est-ce un problème ?

Le danger réside dans la confusion entre ce qui nous semble intime, donc secret et qui en fait devient public. Quand les ados s’échangent des photos « intimes » entre eux, ils sont persuadés que ça restera entre eux et, du reste, c’est ce partage du secret qui est le principal moteur de l’excitation (Il/elle se donne à moi) et de ce fait la raison de ce partage. Mais, ils ignorent alors les complexités et les contradictions des logiques qui gouvernent notre monde. Par exemple, l’idéal, pourtant positif, de transparence fait du rejet du secret sa règle et étale en son nom des intimités sur les réseaux sociaux. Or, c’est le secret qui délimite nos espaces de vie : le public, l’intime et le privé. L'intime désigne ce que j’offre à autrui de mon propre gré, donc ce que je peux garder secret et dissimuler – mes pensées secrètes et ma nudité –, tout ce qui, aujourd’hui, est considéré comme inviolable et donc à l’abri du regard extérieur de la société. Ce qu’ignore l’ado, c’est qu’en s’exposant, l’intime perd ainsi son pouvoir protecteur.

En somme, si les adolescents ont toujours exploré leur sexualité et utilisé l’ensemble des outils dont ils disposent pour ce faire, aujourd’hui, ils passent une grande partie de leur vie en ligne et cette découverte l’a rendu plus publique. Si la plupart des messages resteront privés, les recherches montrent que 10% seront partagés ou transférés.

Une telle situation peut-elle influencer l’adolescent dans ses relations humaines futures ? Est-ce un problème que l’on retrouvera dans sa vie professionnelle ? 

Oui, avec deux situations différentes :

L’échange de contenus sexuels s’est bien passé, l’ado en a retiré du plaisir et pas de conséquence immédiate. Il a alors le sentiment d’une normalité. Il (elle)ne se dénude plus par contrainte extérieure, mais par besoin auto-généré (Seul compte ce qui s’affiche sur l’écran et capte l’attention. « Je suis vu, donc je suis ») Et c’est ainsi que « le besoin de s'exposer sans honte dépasse la peur de devoir abandonner sa sphère privée et intime ». Le risque est alors de basculer à un autre moment dans la deuxième situation :

L’échange se passe mal, les images sortent du privé et sont diffusés sur les réseaux sociaux et on imagine bien les risques de harcèlement voire de chantage. C’est ainsi que les ados vont vivre un véritable abus et basculer dans des souffrances jusqu’à l’extrême.

Voilà pour le présent mais ces échanges peuvent laisser des traces dans le temps et le problème réapparaître chez l’homme ou la femme dans son existence d’adulte. Ces images d’intimité peuvent réapparaître et être utilisées pour jeter l'opprobre sur cet adulte dont le nom sera mis en pâture dans le tribunal du buzz bien qu’il n’ait commis aucun délit et entacher sa réputation toute sa vie, puisqu'il n'y a pas de droit à l'oubli. C’est une menace pour chacun(e). « A bon entendeur, salut ! »

 Selon un sondage réalisé par BVA pour Wiko en 2019, chez les 15-17 ans, ils sont 18% à avoir déjà reçu ou envoyé des sextos, et 39% des 12-14 ans reconnaissent que les messages ayant une connotation sexuelle constituent une pratique répandue chez les adolescents. Pensez-vous que ces chiffres seront en augmentation ces prochaines années ?

Il est difficile pour le scientifique face à des moments aussi inédits que ce qui est vécu dans cette période de Covid 19 de regarder l’avenir avec expertise. Comme le disait il y a plus de 30 ans le grand biologiste Jean Bernard, « vous allez vivre le déséquilibre entre la rapidité de la technologie et la lenteur de la sagesse ». Nous y sommes. L’intervention du numérique dans les relations humaines ne va cesser d’augmenter comme c’est le cas du télétravail, des réunions en visio et, pour mon propre compte, la fulgurante explosion des téléconsultations. Si rien n’est fait, la sexualité évoluera au gré des trouvailles de la technologie. C’est ainsi par exemple que se vivra l’arrivée des robots sexuels. Cette diminution du contact présentiel ne peut pas ne pas retentir sur la vie sexuelle. Ma conclusion par rapport à ce phénomène est pour les parents et plus généralement tous ceux qui éduquent : « ne fermez plus les yeux ». Ce n’est pas l’outil qui est dangereux, c’est l’usage qu’on en fait et cet apprentissage s’appelle l’éducation. Elle doit d’abord concerner l’usage de l’outil lui-même et son application dans la construction de la sexualité de chacune et chacun de nos ados et, pour cela, il faut qu’il dispose d’une vraie éducation à la sexualité, au désir, au plaisir, à l’émotion du partage et à l’amour.

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