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Pourquoi les Français ont une vision déformée des gagnants et des perdants du macronisme
©LUDOVIC MARIN / AFP

Bilan

Selon un sondage IFOP pour CNews et Sud Radio, 71% des Français considèrent que les politiques d'Emmanuel Macron ont favorisé les dirigeants d'entreprises. Cette étude permet de mesurer la perception des gagnants et des perdants des politiques économiques d'Emmanuel Macron.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico.fr : Un sondage IFOP pour CNews et Sud Radio mesure la perception des gagnants et des perdants des politiques économiques d’Emmanuel Macron à mi-mandat notamment par proximité politique. Il permet d’évaluer les erreurs des Français et comment elles structurent le champ politique.  

Les Français sont 71% à penser que les politiques d’Emmanuel Macron ont favorisé les dirigeants d’entreprise, c’est encore plus vrai pour ceux qui se sentent proches des partis de gauche. Est-ce selon vous une erreur ? Y a-t-il des distinctions qu'il faudrait apporter ?

Michel Ruimy : Emmanuel Macron a toujours défendu une politique favorable à l’entreprise. Mais, il attend aussi des patrons, empressés à demander une assistance lorsque leurs entreprises sont attaquées, qu’ils prennent leur part de responsabilités.

En fait, depuis le début de la mandature, il y a eu deux temps dans leur relation. La crise des « Gilets Jaunes » est passé par là et a consacré une nouvelle dynamique entre le patronat et Emmanuel Macron.

Dans une première phase, les chefs d’entreprise ont applaudi à la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, la mise en place de la « flat tax » ou encore les ordonnances pour assouplir le code du Travail qu’ils appelaient de leurs vœux depuis tant d’années. Le mariage était d’amour. Mais très vite, ils se sont sentis délaissés. Fin 2017, ils se sont émus de l’instauration en catastrophe d’une surtaxe d’impôt sur les sociétés. En 2018, ils se sont inquiétés lorsque le président de la République a souhaité repenser la place de l’entreprise dans la société ou a annoncé le report d’une baisse de cotisations patronales.

La seconde débute au moment du mouvement des « Gilets Jaunes ». Geoffroy Roux de Bézieux, président du MEDEF, a critiqué la gestion de la crise par le gouvernement.Toutefois, la rupture n’était pas consommée. Bien, au contraire, la crise a resserré les rangs entre le pouvoir et les patrons. Le mariage est devenu de raison.

En effet, à la même époque, Emmanuel Macron appelle chacun à ses responsabilités : « J’ai besoin de vous. Demandez-vous chaque matin ce que vous pouvez faire pour votre pays » leur intime-t-il, après les avoir encouragés à verser des primes de fin d’année. Certains d’entre eux publient même une tribune dans Le Monde pour « une économie plus inclusive ». 

Pour l’heure,Emmanuel Macron est,dans sa relation avec les patrons, protégé par l’absence actuelle d’alternative politique « probusiness ». Il n’y a pas d’autre choix alors que le Rassemblement national reste fort et que le Parti socialiste comme le parti Les Républicains sont très affaiblis. Il n’en demeure pas moins que, si un recours émerge, les patrons n’hésiteront pas à lâcher Emmanuel Macron.

Christophe Boutin : Il est toujours intéressant d’analyser un tel sondage. On y demande rappelons-le aux Français à quelles catégories ont le plus profité la politique économique d’Emmanuel Macron, et ils classent dans l’ordre les dirigeants d’entreprise (71%), les habitants des grandes villes et métropoles (55%), les salariés du secteur privé (39%), les jeunes âgés de 18 à 24 ans (37%), les habitants des banlieues et quartiers difficiles (31%), à égalité avec les fonctionnaires (31%), les habitants des communes rurales (19%) et enfin les retraités (13%).

Le premier enseignement concerne l’ambiance générale d’amélioration de la situation économique. Il s’agissait en effet de questions ouvertes, les sondés pouvant choisir plusieurs catégories, et peut déterminer un indice moyen d’amélioration des conditions économiques de 37%. Mais si l’on affine par tendances politiques, on trouve bien évidemment d’énormes disparités : ce même indice global est de 60% pour les sondés proches de LaREM, de 40% pour les proches de LR, de 33,5% pour ceux du PS, de 31 % pour ceux du FN et de moins de 28% pour ceux de LFI. En dehors donc des divergences qui peuvent porter sur les bénéficiaires principaux de ces évolutions économiques, il en est une qui porte sur l’étendue des améliorations économiques : si pour les sondés proches de LaREM le « ruissellement » a visiblement profité à tout le monde, LR se trouve dans une situation intermédiaire, considérant nettement plus qu’y a eu amélioration que le RN et que l’opposition de gauche (LFI et PS). Cet électorat LR ressent sans doute moins directement les variations économiques.

Il est intéressant aussi de vérifier l’ordre des « gagnants » - et donc celui des « perdants » - au regard des affinités politiques. Pour les proches de LFI par exemple, les habitants des banlieues et quartiers difficiles, au 5e rang pour l’ensemble des Français, ne sont plus que 7e, à 12%, juste devant les retraités. C’est le tropisme « indigéniste » et communautariste de cette gauche de la gauche qui est ici manifeste.

Pour les proches de LaREM ensuite, les dirigeants d’entreprises n’arrivent qu’en 5e position des bénéficiaires, à 57%, après les habitants des quartiers difficiles (60%). On voit là leur refus de croire dans les attaques qui font d’Emmanuel Macron le président des « super-riches » - auxquels sont assimilés de manière abusive les « dirigeants d’entreprise », une catégorie qui ne comporte pas que des Arnault ou autres Lagardère. On notera aussi, toujours pour les sondés proches de LaREM, que les fonctionnaires (42%) seraient moins bien traités que les habitants des communes rurales (48%). Soit des fonctionnaires votant LaREM se sentent ici lésés, soit il s’agit, ici encore, de nier l’image présentée par l’opposition du délaissement de la France périphérique par la politique économique jupitérienne. 

Chez les proches de LR, ce sont cette fois les salariés du privé (45%) qui passent derrière les jeunes (51%), conséquence sans doute du nombre de retraités dans cet électorat, comme de sa défense de la libre entreprise.

Chez les proches du RN enfin, on trouve remontés à la troisième place des gagnants les habitants des banlieues et quartiers difficiles (35%), et en 4e les fonctionnaires (34%), ce qui ne surprendra pas chez un électorat hostile à l’immigration – à laquelle il assimile les « quartiers difficiles » - et à une trop grande fonction publique.

Si maintenant on examine les écarts entre les principaux partis, on se rend compte que le désaccord est le plus important, dans l’ordre, sur les jeunes âgés de 18 à 24 ans (59 points), les salariés du secteur privé (58), les habitants des banlieues et quartiers difficiles (48) les habitants des grandes villes et métropoles (43), les habitants des communes rurales (35), les dirigeants d’entreprise (29), les fonctionnaires (27), et les retraités (21). On voit bien ainsi sur quels points il y a non pas consensus mais une appréciation assez proche sur l’impact économique du macronisme, et ceux, au contraire, sur lesquels de très importante divergences demeurent, pour des raisons qui peuvent relever de divergences idéologiques ou d’un ressenti spécifique à un électorat lié à telle ou telle des huit catégories.

Sur la question des territoires plus ou moins favorisés, les Français, surtout les macronistes et ceux qui se sentent proches de la droite, considèrent que les habitants des grandes villes et des métropoles ont été avantagés par les réformes d’Emmanuel Macron. Dans quelle mesure est-ce le cas ? Qui est dans l'erreur sur la perception du "favoritisme" territorial ?

Michel Ruimy : Le président de la République s’est trouvé empêtré en se tenant aux principes de sa politique : alléger la fiscalité sur le travail et renchérir celle sur le carbone. C’est pourquoi, depuis le début de son mandat, Emmanuel Macron souffre d’un procès difficilement récusable : il est avant tout le « président des urbains » et de « la France qui va bien », celle qui aujourd’hui place au rang de ses priorités la bataille écologique avec d’autant plus d’allant qu’elle bénéficie, en général, d’une substantielle offre de transports en commun.

Avec la « crise des Gilets Jaunes », il a réalisé qu’il lui fallait impérativement modifier son comportement pour empêcher le blocage du pays et la césure entre le gouvernement et les milieux populaires. Car les principales victimes de la hausse du diesel (+ 23% en 2018 avec une nouvelle hausse possible des taxes de 6,5 centimes par litre) sont des ruraux à faible pouvoir d’achat à qui l’Etat a fait croire pendant des années qu’en achetant un véhicule diesel, ils feraient un bon investissement. La duperie est donc lourde !

La bévue est d’autant plus difficile à rattraper que c’est, d’abord, à cette « France des oubliés » que veut parler Emmanuel Macron, ces classes moyennes et populaires qui sont travaillées, comme partout en Europe, par les tentations populistes parce qu’elles s’estiment laissées pour compte.

Même s’il leur a tendu la main en disant comprendre la colère de deux catégories de Français : les gens modestes qui éprouvent des difficultés à se chauffer, et les automobilistes qui n’ont pas d’autre choix que de prendre leur voiture pour aller travailler, il n’empêche qu’il a été pris de court sur la colère liée à l’augmentation des taxes sur les prix des carburants.Le prix de l’essence a, quelque sorte, joué comme un cruel révélateur d’une France divisée économiquement.

Christophe Boutin : Attention, s’il y a un différentiel, et si les sondés proches de LaREM font de ces habitants des métropoles les premiers « gagnants » de la politique macronienne, tous les autres les placent en seconde position, aussi bien à gauche qu’à droite, et ce n’est pas pour cette catégorie que les divergences entre les courants sont les plus importantes (elle n’est que 4e sur huit).

Ces éléments de relative proximité viennent peut-être d’ailleurs de ce que la formule peut recouvrir plusieurs types d’habitants, plus ou moins fortunés – à l’exception des habitants des banlieues, prévus dans une autre question. Ils viennent aussi, bien sûr, du surgissement de la révolte de la France périphérique dans le mouvement des Gilets jaunes – et ce même si le dit mouvement a totalement changé de figure depuis cette apparition il y a maintenant presque un an.

Dans un contexte de réforme des retraites, les Français estiment, mais de moins en moins, que les salariés du privé ont été avantagés par rapport aux fonctionnaires. Est-ce vrai ? Ce sondage montre-t-il selon vous une nouvelle structuration politique de la perception des "favorisés" et des "défavorisés" ? En quoi ?

Michel Ruimy : La problématique « privé – fonction publique » touche au taux de liquidation (ratio par lequel on multiplie le salaire de référence pour fixer le montant de la pension) qui est de 50% dans le privé et 75% dans le public pour ceux qui peuvent prétendre à une retraite à taux plein. Mais cette comparaison fait abstraction des pensions versées par les régimes complémentaires qui représentent une part non négligeable de la retraite des salariés du privé, surtout pour les hauts salaire (60% de leur retraite totale).

Les statisticiens de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) ont calculé que les assurés ayant eu une carrière complète et ayant cotisé uniquement à la fonction publique d’Etat percevaient, en 2016, en moyenne une pension de plus de 2 500 euros contre près de 1 800 euros pour les salariés du régime général. Un écart d’environ 40% !

C’est pourquoi, la création d’un régime universel de retraite était l’une des propositions du programme d’Emmanuel Macron. S’il était élu, il avait promis d’unifier tous les régimes des retraites, publics et privés, avec une seule et même règle pour tous - celle de la fonction publique est plus généreuse que celle du privé-. « Ce sera la vraie fin des inégalités entre fonctionnaires et salariés du privé » avait-il affirmé. En échange, il ne souhaitait pas modifier l’âge de départ à la retraite, ni le montant des pensions pendant son quinquennat.

L’objectif était de remettre de la lisibilité dans le maquis des 37 régimes actuels, de se débarrasser du « serpent de mer » de la réforme des régimes spéciaux de la fonction publique et d'alléger les comptes de l’Etat. Sauf, qu’il n’en faut pas attendre un gain immédiat. Il faudrait patienter 2 ou 3 décennies pour que l’effet se fasse sentir. 

En fait, à ce stade de la réforme où rien n’a encore été décidé définitivement, il faut gérer l’inquiétude des personnes qui veulent comprendre quel sera leur avenir alors qu’elles ont déjà travaillé parfois 15 ans, 20 ans voire plus. L’incertitude laisse parfois la place aux fantasmes. Mais il est certain que, comme dans toute réforme, il y aura des gagnants et des perdants et cela ne touchera pas uniquement la segmentation « employés du secteur privé » et « agents de l’Etat ».

Christophe Boutin : Il y a peu de grands changements depuis deux ans que ce sondage a été établi : les dirigeants d’entreprise caracolent en tête des « gagnants », et les retraités semblent toujours être les grands perdants. Mais l’écart entre les deux se resserre : il était de 74 points en novembre 2017, il n’est plus que de 58 points en novembre 2019. Mais ce resserrement va de pair avec une image plus morose : nous avons dit que la moyenne inter-catégorielle est en 2019 de 37 points, elle était de 39 points en 2017…

Quant écarts au sein d’une même catégorie entre ces deux dates de novembre 2017 et novembre 2019, ont vu leur statut s’effriter les dirigeants d’entreprise (moins 10 points), les habitants des banlieues (-8), les jeunes (-5) et les salariés du privé (-2), quand les habitants des communes rurales et les fonctionnaires restent stables, et que les retraités progressent (+6) comme les habitants des grandes villes (+3).

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