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Les dépenses de santé augmentent en France.
Les dépenses de santé augmentent en France.
©MARTIN BUREAU / AFP

Bonnes feuilles

Nicolas Bouzou publie "Homo Sanitas - Histoire et avenir de la santé" chez XO Editions. Nicolas Bouzou montre que, chez les humains, la santé n'est pas seulement guérison des maux du corps. Depuis la nuit des temps, elle est "capacité de faire" et de gagner en liberté. Plonger dans cette histoire méconnue, c'est aussi s'interroger sur la meilleure façon de continuer sur la voie de progrès extraordinaires réalisés ces dernières décennies. Extrait 1/2.

Nicolas Bouzou

Nicolas Bouzou

Nicolas Bouzou est économiste et essayiste, fondateur du cabinet de conseil Asterès. Il a publié en septembre 2015 Le Grand Refoulement : stop à la démission démocratique, chez Plon. Il enseigne à l'Université de Paris II Assas et est le fondateur du Cercle de Bélem qui regroupe des intellectuels progressistes et libéraux européens

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Comme je viens de le présenter, dans quasiment tous les pays développés, y compris la France, les dépenses de santé augmentent plus vite que le PIB : chaque année, nos pays consacrent une part croissante de leurs ressources aux soins. En 2018, les dépenses de santé s’élevaient à 9 % du PIB des membres de l’OCDE. Ce chiffre montait à 11 % en France (pratiquement à égalité avec l’Allemagne, le Japon et la Suède) et 17 % aux États-Unis, un pays particulièrement mal organisé dans ce domaine. Globalement, les écarts ont tendance à se réduire, à l’exception des États-Unis, qui déboursent beaucoup plus que les autres au regard de leur niveau de développement économique. Les secteurs de la santé et des services sociaux représentent désormais 10 % des emplois dans les pays de l’OCDE. Évidemment, les comparaisons sont délicates à manier. Chaque État, en fonction de son histoire, de sa culture, de ses priorités, peut décider de dépenser plus ou moins de ressources dans ce domaine.

La France y consacre donc 11 % de ses revenus. Ce chiffre était inférieur à 3 % après la Seconde Guerre mondiale. Les médias et les syndicats laissent penser que notre système de santé s’appauvrit. La réalité est plus complexe. Parmi ceux qui pâtiraient de cette austérité, les hôpitaux seraient en première ligne. En fait, les soins hospitaliers représentent près de 50 % de la dépense de santé totale, soit environ 95  milliards d’euros, une somme justifiée et colossale. C’est le premier poste, et sa part a gagné environ 10 points depuis les années 1950. À  en croire la représentation du café du commerce, si les hôpitaux s’appauvrissent, c’est sans doute au profit des actionnaires des laboratoires pharmaceutiques (les « Big Pharma »). Là encore, un peu de précision ne nuit pas. Les laboratoires vivent bien, mais les dépenses de médicaments sont passées de 28 % de la dépense totale en 1958 à moins de 20 %, c’est-à-dire moins de la moitié de la dépense hospitalière, et cette proportion recule, car l’assurance-maladie conduit une stratégie de déflation des prix pour tenter de faire des économies. Cela passe aussi par la mise sur le marché de génériques. Il s’agit de molécules similaires à des médicaments qui, jusqu’alors, étaient protégées par la législation sur la propriété intellectuelle.

La hausse macroéconomique des dépenses de santé prend en France comme ailleurs sa source dans des facteurs économiques, démographiques et technologiques universels. Le premier est donc l’augmentation des revenus. Comme nous venons de le voir, plus on est riche, plus on accorde un budget important à sa santé. Ces dépenses peuvent être socialisées, via des cotisations sociales, ou individuelles, via une meilleure alimentation, des vitamines, des cures thermales…

Le deuxième facteur est d’ordre démographique. Le vieillissement de la population en Occident s’explique lui-même par deux phénomènes : l’arrivée des générations du baby-boom à un âge supérieur à 70  ans, et l’allongement de la durée de la vie grâce aux progrès de la médecine. Or, les études montrent unanimement que les dépenses de santé augmentent avec l’âge, à l’exclusion de celles, faibles, liées à la psychiatrie, qui restent concentrées sur les jeunes. Ce point est parfaitement intuitif. Tous les efforts de prévention ne brisent pas ce rapport, ni au niveau individuel, ni, par conséquent, au niveau collectif. Le profil des dépenses de santé au cours de la vie suit même une dynamique exponentielle. Pour une personne de 80 ans, elles sont en moyenne deux fois supérieures à celles d’une personne de 60 ans et quatre fois à celles d’une autre de 40  ans. Le taux de prévalence des maladies chroniques affiche également un tel profil. Inférieur à 10 % jusqu’à 50 ans, il est supérieur à 20 % dès 60 ans, 40 % à partir de 70 ans, 50 % à partir de 80 ans. Il dépasse 80 % après 95 ans (ce qui signifie à l’inverse que 20 % des plus de 95 ans sont en bonne santé). Il faut noter que les écarts de dépenses entre les catégories d’âge se sont accrus. Contrairement, peut-être, à une idée reçue, la société française prend toujours plus soin de ses aînés.

Le troisième facteur est l’innovation. Les coûts de santé ont tendance à augmenter à tous les âges, preuve que le vieillissement de la population n’est pas la seule donnée à prendre en considération dans cette inflation. Il faut à ce titre distinguer les médicaments qui guérissent de ceux qui soignent. Parmi les traitements innovants, ceux qui « chronicisent » les maladies sont les plus coûteux. Un médicament qui guérit, à l’exemple des traitements récents contre l’hépatite C, peut valoir cher lors de son administration aux patients, mais ce coût est limité dans le temps. Dès la fin du traitement, les dépenses afférentes à la maladie disparaissent, si ce n’est celles qu’entraînent les éventuels effets secondaires et la surveillance. Mais un médicament qui soigne sans guérir, c’est-à-dire qui permet « uniquement » de survivre, revient beaucoup plus cher à la collectivité, car il doit être administré pendant plusieurs années, voire plusieurs décennies. C’est l’un des grands défis concernant le traitement innovant des cancers aujourd’hui. Certains nouveaux médicaments dans le domaine de l’oncologie améliorent la survie de façon notable mais ne soignent pas. Ils stoppent la progression ou font régresser un cancer, mais ne le font pas (encore) disparaître totalement. En conséquence, les coûts de traitement durent jusqu’au décès du patient. La grandeur de nos sociétés consiste, dans ce cas, à mettre l’économie au service de la santé et de la vie. Le système de soins et les laboratoires pharmaceutiques doivent organiser une régulation des prix pour mutualiser ces dépenses sans menacer financièrement nos États-providence, et  sans  compromettre la capacité de recherche et d’investissement des entreprises.

Extrait du livre de Nicolas Bouzou, "Homo Sanitas, Histoire et avenir de la santé", publié chez XO Editions

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