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Pourquoi le sectarisme flambe
©BORIS HORVAT / AFP

Etat des lieux

A l'heure des polémiques avec le communiqué de SOS Racisme sur la participation de Raphaël Enthoven et d'Aurélien Taché à la "convention de la droite" avec Marion Maréchal, la polarisation politique excessive tend à creuser les écarts entre les postures partisanes et à transformer le dialogue en échange d'insultes.

Brice Couturier

Brice Couturier

Brice Couturier est journaliste. Il a été rédacteur en chef du Monde des débats et collabore au Point. Il est l'une des voix de France Culture, où il présente chaque jour "Le tour du monde des idées". Il est notamment l'auteur du très remarqué Macron, un président philosophe (Éditions de l'Observatoire, 2017).

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Atlantico.fr : Peut-on dialoguer avec tout le monde en démocratie, ou y a-t-il des formations avec lesquelles il faut éviter de discuter ? Raphaël Enthoven et Aurélien Taché ont-ils fait erreur en allant débattre avec des figures controversées de la droite ?

Brice Couturier : On devrait pouvoir discuter avec tout le monde dans une démocratie normale, j'entends apaisée. Mais l'état du débat public, hystérisé par les réseaux sociaux qui nous isolent dans des silos, favorables à l'extrémisation, rend le dialogue honnête et de bonne foi de plus en plus difficile. L'insulte, voire la menace physique ne sont jamais loin, de nos jours et c'est sur ce terreau que prospèrent les populismes. La France renoue, hélas, avec l'atmosphère de guerre civile froide que notre pays a connue tant de fois dans son histoire. La preuve : les oppositions modérées au pouvoir actuel sont très faibles. On n'entend que des extrémistes, tant à gauche qu'à droite. Et c'est, du reste, le risque de guerre civile, bien perçu par les Français, qui a donné la victoire à Emmanuel Macron. On n'imagine pas la majorité du pays concéder l'obéissance ni le paiement des impôts à une Marine Le Pen, ni à un Jean-Luc Mélenchon...

Par ailleurs, la stratégie du "cordon sanitaire", longtemps appliquée envers la seule extrême-droite (jamais envers l'extrême-gauche, même face à ses tendances les plus délirantes), avait pour fonction de "marquer" les personnalités qui ne méritaient pas de bénéficier de ce droit au dialogue. Il y a eu, un moment, le risque que le Parti des Médias utilise pour discréditer tout ce qu'il n'aime pas la classique "stratégie du saucisson" communiste : après avoir réussi à interdire de parole publique légitime l'extrême-droite, étendre progressivement cet interdit à une partie de la droite classique, puis à toute la droite, enfin, à gauche et au centre, à tous ceux qu'il n'aime pas...

Mais cela fait un certain temps que cet interdit a sauté. Pour une raison assez simple : le Front national a beaucoup bénéficié de cette stratégie de diabolisation : elle tendait à le faire apparaître comme le seul véritable opposant au "complot des élites". Elle faisait de lui l'unique bénéficiaire des rancoeurs populistes. Le changement de ton des journalistes lorsqu'ils interviewent Marine Le Pen est devenu évident. L'opération banalisation est réussie. Il faut aussi admettre que le positionnement politique adopté par Marine Le Pen, quoiqu'on en pense, n'est pas celui qu'avait choisi son père. D'où leur brouille publique. Et les succès du RN sur les anciennes terres électorales communistes...

Mais dialoguer est une chose, accepter une invitation à se rendre à une assemblée militante qui ressemble fort au lancement d'un nouveau courant politique en est une autre. Or, c'est bien ce qui semble se jouer autour de Marion Maréchal. Il y a un nouveau courant intellectuel conservateur, assez jeune, très original, mal perçu par les médias traditionnels, qui se cherche une traduction  politique. Cette jeune femme, qui en est proche intellectuellement, l'a compris et se pose en possible incarnation. Vu l'état de sidération dans laquelle Emmanuel Macron a plongé la classe politique - qui n'a toujours rien compris - cela peut être intéressant à suivre. On aurait besoin, dans ce pays, d'une droite et d'une gauche nouvelles, en phase avec l'époque.   

Que pensez-vous des dénonciations publiques d'une part de la gauche, à l'image de celle de SOS Racisme, dès lors qu'un intellectuel intervient dans une rencontre organisée par la droite ? 

Raphaël Enthoven est un ami et j'éprouve pour son intelligence et sa culture une vive admiration. Je me souviens comment il a sauvé une émission que j'animais, sur France Culture, avec Julie Clarini, en remplaçant, au pied levé, un invité, un philosophe qui avait oublié notre invitation... Sans notes et face à un interlocuteur qui se noyait dans ses fiches, il a dominé le débat. Il adore relever ce genre de défi, se mettre en danger.

Son positionnement intellectuel, que je qualifierais d'universaliste, lui vaut des haines tenaces. En particulier du côté des communautaristes, indigénistes, et autres antiracistes dévoyés en haine des "blancs", comme de l'extrême-droite identitaire. Et, bien sûr, celle des antisémites. Son brio agace et il déclenche automatiquement la jalousie des petits esprits et des demi-savants.Toute sorte de gens, qu'il énerve, le guettaient. Le fait d'avoir accepté le rôle de contradicteur à ce meeting tombait à pic. Le voilà avec une cible dans le dos. Il est devenu l'homme à abattre. 

Pour n'importe qui d'autre, je me ferais du souci. Mais je le sais suffisamment habile pour être capable de tenir, face à toute une assemblée, un discours contredisant l'essentiel de ce qu'elle croit savoir sans se faire huer. Le fait qu'ils aient choisi pour opposant un esprit aussi agile et un orateur aussi convaincant plaiderait plutôt en faveur des organisateurs. A leur place, je redouterais qu'il ne parvienne à "retourner" une partie de l'auditoire...

De nombreux travaux se sont récemment inquiétés d'une polarisation politique excessive, qui tend à creuser les écarts entre les postures partisanes et à transformer le dialogue en échange d'insultes. Est-ce que ce type d'anathèmes lancés dans l'espace public ne risque pas de creuser plus encore l'incompréhension entre les différentes postures partisanes ?

Oui, c'est précisément cette polarisation qui a porté au pouvoir des politiciens aussi improbables que Donald Trump, Matteo Salvini, Jair Bolsonaro et consort. Les fameux "populistes". Autrefois, on gagnait les élections au centre, sur des programmes de compromis, des plus petits dénominateurs communs, voire grâce à des "triangulations", qui empruntaient à l'arsenal idéologique des adversaires. Le vent a tourné. A présent, on les gagne en provoquant, en éructant, en menaçant et en rassemblant les siens. Sans un compromis minimal, un consensus sur l'essentiel, le débat démocratique est impossible. C'est pourquoi il faut accepter de dialoguer avec... presque tout le monde. Pas avec les racistes, les antisémites, les complotistes mabouls, ni avec ceux qui qui tentent d'extorquer, par la menace, des signes d'approbation. Dialoguer avec de tels personnages, c'est les reconnaître en tant qu'interlocuteurs légitimes. Mieux vaut passer son chemin. 

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