Pourquoi la nouvelle allocation de 483 euros n'est pas la bonne arme pour réduire la pauvreté chez les 100 000 jeunes français en situation de grande précarité<!-- --> | Atlantico.fr
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La "garantie jeunes" : une goutte d'eau dans l'océan.
La "garantie jeunes" : une goutte d'eau dans l'océan.
©Piscine-clic.com

Une goutte dans l'océan

La "garantie jeunes" lancée mardi 1 octobre par le gouvernement prévoit de verser 483 euros mensuels à chaque chômeur de moins de 25 ans en grande précarité. Une initiative qui apparaît comme un pansement sur une jambe de bois.

Maryse Bresson

Maryse Bresson

Maryse Bresson est enseignant-chercheur en sociologie à l'UFR des sciences sociales et au laboratoire Printemps, UVSQ. Elle est notamment l'auteur de la Sociologie de la précarité, aux Editions Armand Colin. 

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Atlantico : Le gouvernement lance un dispositif nommé « garanties jeunes » qui consiste au versement de 483 euros à environ 100 000 jeunes de moins de 25 ans en situation de « grande précarité ». Le versement de cette somme, et plus généralement de petites allocations comme celle-ci à des populations ultra-ciblées, a-t-elle du sens ? Cela lutte-t-il réellement contre la grande précarité ?

Maryse Bresson : Le versement d’une allocation donc, d’une somme d’argent couplée à des activités d’insertion (sous la forme ici, d’un engagement du jeune dans un suivi personnalisé) se situe dans une tradition qui remonte en France au revenu minimum d’insertion créé en 1988, auquel a succédé plus récemment le RSA. Ces dispositifs sont à la fois le signe d’un échec des dispositifs d’assurance sociale traditionnels, qui ne suffisent plus à assurer une couverture à toute la population ; et ils sont aussi des compléments de cette couverture qui permettent au modèle social français de réaffirmer l’engagement inscrit dans la constitution de 1958 : si la société n’a pas les moyens de fournir des emplois à tous, elle doit offrir une compensation et donner à chacun des moyens pour s’insérer.

Ce nouveau dispositif a donc du sens comme réaffirmation d’un engagement de solidarité nationale dans un contexte de chômage massif et en dépit des restrictions budgétaires : il est destiné à des exclus des précédents dispositifs puisqu’il s’agit de jeunes de moins de 25 ans qui n’ont précisément pas accès au RSA. Un autre élément de continuité est l’ambiguïté maintenue entre l’insertion vue comme chance supplémentaire donnée à l’allocataire de se réinsérer ; ou comme contrepartie (interprétation qui a eu tendance à s’imposer en particulier, avec l’évolution vers le RSA). Comme pour le RSA enfin, on retrouve ici l’idée d’un revenu “de base” qui peut être cumulé avec l’activité.

Il y a toutefois des différences intéressantes à souligner. La première, très importante, est aussi la fin d’un tabou puisque le public visé est constitué par les jeunes de moins de 25 ans qui avaient été écartés du RMI comme du RSA au motif de ne pas donner une prime à l’assistanat et de ne pas apprendre trop vite à des jeunes à vivre de l’assistance. Toutefois un soutien en leur direction s’explique par le maintien et même l’aggravation d’un fort taux de chômage dans cette catégorie d’âge. En ce sens, ce dispositif fait évoluer le modèle social français de solidarité, il est étendu à un nouveau public affirmé comme légitime pour recevoir une aide, alors qu’il ne l’était pas jusqu’alors.

La deuxième différence, moins visible, est la place donnée implicitement aux actions de formation, dont ces jeunes doivent aussi être exclus pour pouvoir bénéficier du dispositif. Cette condition s’explique parce que les jeunes en formation sont implicitement vus comme déjà intégrés d’une certaine manière ou pas suffisamment exclus. A contrario et implicitement, on peut lire en creux du dispositif la réaffirmation que les jeunes en étude ou en formation n’ont pas vocation à toucher une rémunération – même quand ils sont précaires. La troisième différence, la plus importante peut-être, du nouveau dispositif avec le RMI ou le RSA est son caractère ciblé non seulement vers les jeunes mais vers un certain nombre prédéfini de jeunes exclus, 100 000 jeunes “des quartiers” en “grande précarité”, qui doivent être sélectionnés par les travailleurs sociaux.

C’est surtout ce dernier trait qui interroge. Comment seront-ils sélectionnés ? Comme les plus exclus ? ou plus probablement, comme les plus employables, qui pourront le mieux bénéficier du “suivi personnalisé” pour trouver un emploi ? De ce point de vue, ce ne seront donc pas les plus précaires sans doute et le dispositif se présente plutôt comme un nouveau coup de pouce pour des jeunes publics éloignés, mais pas trop quand même, de l’emploi. Pour ces publics, de petites sommes et un suivi personnalisé peuvent en effet donner une soupape et permettre de rebondir –c’est en tout cas le pari visiblement ici.

Quels sont les principaux axes de lutte contre la précarité qui sont actuellement trop peu, ou pas, exploités ? Comment peut-on imaginer y remédier ?

La question de la précarité est complexe puisqu’elle recouvre la pauvreté mais aussi les inégalités et les difficultés d’accès à l’emploi, la dégradation des statuts de l’emploi et de la protection sociale, les difficultés d’accès au logement... Donc bien sûr, ce type de dispositif ne résoudra pas globalement le problème de la précarité ni même la précarité pour les jeunes, qui touche aussi des jeunes salariés en emploi précaire et des étudiants, des jeunes en formation... Mais pour repenser quelque chose de plus global il ne faut pas seulement prendre la question sous l’angle de la précarité justement.

De ce point de vue, la lutte contre la précarité passe par une réflexion sur la stabilité des statuts et des revenus. La question du statut des jeunes dans la société aussi est importante. La tendance à trouver “normal” que les jeunes, spécialement les jeunes femmes, aient des emplois à temps partiel, à durée courte, mal rémunérés, avec des périodes d’intermittence est une évolution culturelle préoccupante au même titre que la montée d’une préoccupation gestionnaire y compris, dans les services publics qui n’est à l’évidence, pas favorable à l’emploi stable.

Il y a actuellement des normes opposées qui coexistent, entre une instabilité du monde du travail que certains voudraient présenter comme la norme, et une aspiration à une vie stable, à une consommation de biens durables, à l’accès au prêt pour le logement, la voiture... Ces contradictions me semblent un axe à travailler aussi pour lutter contre la précarité. Autre exemple, qui concerne les territoires, la focalisation de quelques dispositifs sur les “quartiers” ne doit pas masquer la tendance symétrique à vouloir concentrer les richesses sur quelques territoires mieux aptes à soutenir la concurrence internationale par exemple. Il y a là des contradictions que nos politiques de lutte contre la précarité, justement parce qu’elles sont ciblées uniquement sur les publics précaires, ne cherchent pas suffisamment à résoudre.

Dans quelle mesure la jeunesse française est-elle victime de précarité aujourd’hui ?

La jeunesse est victime de la précarité en plusieurs sens et pour plusieurs raisons. Par définition, les jeunes sont dans une phase de transition entre l’enfance et l’âge adulte, ils sont dans une période incertaine où beaucoup de choses sont possibles et ouvertes, en positif comme en négatif : les jeunes sont forcément une population pour laquelle il y a beaucoup d’incertitudes et qui est précaire.

Mais bien sûr, on ne peut s’arrêter à ce constat et la précarité des jeunes en France ne s’explique pas seulement par leur position intermédiaire entre l’enfance et l’âge adulte. Leur taux de chômage est particulièrement élevé, supérieur à 25 % (moins de 11% pour tous les âges confondus). Cela veut dire que les jeunes sont presque 2 fois et demi plus souvent demandeurs d’emploi que les adultes. Le problème du logement est aussi essentiel car il est vraiment difficile d’accès à la fois, en termes de coût lorsque les revenus sont faibles et à cause de l’instabilité des revenus.

Pour certains sociologues, comme Louis Chauvel, c’est aussi lié à un effet de génération, car les générations précédentes ont pris les meilleures places et les emplois stables ; il y a un effet de concurrence, qu’il faut nuancer toutefois de deux manières. D’abord, il y a aussi une solidarité entre les générations et les parents voire les grands-parents aident les jeunes à s’installer et à vivre tout simplement, quand eux-mêmes ne sont pas précaires ; ensuite, justement, précariser les générations antérieures ne réduirait pas forcément la précarité pour les jeunes et pourrait même l’augmenter si la famille ne peut plus jouer son rôle de soutien. Enfin, la jeunesse est une catégorie relative et il n’y a pas que les jeunes qui sont précaires (et ce ne sont pas tous les jeunes, mais surtout les femmes, de quartiers et de catégories populaires notamment etc). Donc parler de “la jeunesse” comme victime (ou non) est toujours une affirmation trop simple, à nuancer pour pouvoir espérer apporter des réponses satisfaisantes.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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