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Pourquoi la France ne cesse d’aggraver le danger dans lequel elle se met en ne s’attaquant pas à son complexe de culpabilité
©Flickr / Marmotte73

Un passé qui ne passe pas

Alors que le passé historique de la France (colonisation, Vichy…) a longtemps été critiqué par ses propres élites politiques, il apparaît aujourd’hui essentiel de tirer un trait sur ce pessimisme ambiant. Le redressement de la société française et, plus largement, occidentale, passe en effet par un retour nécessaire à la fierté nationale et aux valeurs qui ont fondé son histoire.

David Engels

David Engels

David Engels est historien et professeur à l'Université Libre de Bruxelles. Il est notamment l'auteur du livre : Le déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine. Quelques analogies, Paris, éditions du Toucan, 2013.

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Ivan Rioufol

Ivan Rioufol

Ivan Rioufol est essayiste et éditorialiste au Figaro. Il tient quotidiennement le blog Liberté d'expression. Il vient de publier un nouvel ouvrage, La guerre civile qui vient (Editions Pierre-Guillaume De Roux).

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Yves Roucaute

Yves Roucaute

Yves Roucaute est philosophe, épistémologue et logicien. Professeur des universités, agrégé de philosophie et de sciences politiques, docteur d’État en science politique, docteur en philosophie (épistémologie), conférencier pour de grands groupes sur les nouvelles technologies et les relations internationales, il a été conseiller dans 4 cabinets ministériels, Président du conseil scientifique l’Institut National des Hautes Etudes et de Sécurité, Directeur national de France Télévision et journaliste. 

Il combat pour les droits de l’Homme. Emprisonné à Cuba pour son soutien aux opposants, engagé auprès du Commandant Massoud, seul intellectuel au monde invité avec Alain Madelin à Kaboul par l’Alliance du Nord pour fêter la victoire contre les Talibans, condamné par le Vietnam pour sa défense des bonzes.

Auteur de nombreux ouvrages dont « Le Bel Avenir de l’Humanité » (Calmann-Lévy),  « Éloge du monde de vie à la française » (Contemporary Bookstore), « La Puissance de la Liberté« (PUF),  « La Puissance d’Humanité » (de Guilbert), « La République contre la démocratie » (Plon), les Démagogues (Plon).

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Atlantico : Les débats autour de la déchéance de nationalité ont été fortement chargés en émotion, en injonctions morales. Si la mesure avait concerné des terroristes du type Ku-Klux Klan par exemple, dans quelle mesure le débat politique autour de la déchéance de la nationalité aurait-il été différent ?

David Engels : Le débat actuel sur la déchéance de nationalité pour des terroristes témoigne d’abord de la gravité de la situation : même nos hommes politiques semblent se rendre à l’évidence que sans un geste symbolique de leur part, le pouvoir risque de leur échapper au profit du FN. Puis, ce débat est un nouveau témoignage du triste fait que nos élites politiques vivent dans un monde à la fois irréel et anachronique, car l’idée-même de la déchéance de nationalité comme un genre de "punition" est, permettez-moi de le dire, absurde et semble sortir tout droit du 19e siècle. Pensez-vous qu’un vrai terroriste islamiste, prêt à sacrifier même sa propre vie pour sa cause, et désireux d’exprimer, par son action, tout le dédain, toute la haine qu’il nourrit à l’égard de la société occidentale, hésiterait une seule seconde à accomplir son acte juste parce qu’il craint de perdre la "nationalité française" ?

Nos hommes politiques semblent ignorer que les lignes de front qui parcourent désormais l’Europe ne sont plus celles de l’époque d’avant-guerre, et que les vrais conflits n’opposent plus ceux qui possèdent la nationalité française à ceux qui possèdent la nationalité marocaine, allemande ou anglaise. Depuis que la mondialisation divise de plus en plus la planète entre ceux qui appartiennent à la caste économique privilégiée et ceux qui sont de la simple main-d’œuvre pour la richesse des autres, depuis que la course à la compétitivité a entamé la tiers-mondialisation de l’Europe, et depuis que l’immigration de masse a profondément altéré la composition ethnique et culturelle de nos population, la "nationalité" – du moins d’un point de vue "juridique" – est devenue une simple formalité administrative, rien de plus, et elle n’implique désormais que deux conséquences : pour les uns, savoir de quel État ils recevront leurs allocations sociales, pour les autres (un nombre décroissant), savoir dans quelle caisse payer leurs impôts…

Vous demandez quelle serait la réaction officielle face à des terroristes du type Ku-Klux-Klan. Je dirais d’abord qu’il est hautement significatif pour la passivité des Européens "de souche" qu’un tel type d’activité semble tout simplement ne pas exister ; puis, que la réaction politique serait nettement plus violente qu’à l’égard des terroristes musulmans, peur du délit d’islamophobie oblige… Pensez à l’Allemagne : les médias se surpassent en condamnation de quelques rares incidents contre des camps abritant le million de réfugiés qui est arrivé dans le pays rien qu’en 2015 ; par contre, il fallait une soixantaine de plaintes de la part d’une centaine de femmes harcelées, dévalisées et même violées la nuit du réveillon, en plein centre-ville de Cologne, par un millier (!) de jeunes hommes d’origine maghrébine ou arabe sous les regards désintéressés de la police avant que celle-ci ne reconnaisse que la soirée n’avait pas du tout été, comme initialement prétendu, "sans incident" ; et tout ce que le ministre allemand de l’Intérieur a trouvé à dire était que ces "dérapages" ne devaient nullement être instrumentalisés par les "xénophobes"…

Ivan Rioufol : Dans cette affaire, c’est moins une émotion qu’une panique qui a été exprimée. Le vrai débat n’est pas celui de la déchéance de nationalité tel qu’il a été posé par François Hollande, c’est plutôt la question de savoir ce qui constitue une nationalité. Or, en refusant de poser ce débat et en privilégiant une sorte de débat moral autour de la déchéance de nationalité, la gauche ne veut pas reconnaître qu’elle s’est trompée en bradant la nationalité et en consacrant des Français qui ne se reconnaissent pas vraiment Français et qui vivent leur nationalité comme un fardeau, comme une violence. Ce constat s’impose, même si la gauche ne souhaite pas le reconnaître. En effet, à travers ce débat sur la déchéance de nationalité se pose la question de l’efficacité et de la justification ou non du droit du sol. Le droit du sol impose une nationalité à celui qui ne la veut pas forcément. La preuve, c’est que vous avez aujourd’hui des Français qui ne se reconnaissent pas français et qui tuent d’autres Français. La logique de François Hollande, qui a ouvert la boîte de Pandore, est de remettre en question aujourd’hui la politique d’accès automatique à la nationalité engendrée par le droit du sol. Le vrai débat sous-jacent consiste à se demander s’il ne faudrait pas revenir non pas au droit du sang mais au droit de la volonté, au jus voluntatis qui avait d’ailleurs été un temps reconnu par les révolutionnaires de 1789.

Yves Roucaute :Il est clair que nous sommes en face d’une question assez importante. Le poids du passé colonial d’un côté, et de l’autre le poids de l’idéologie soixante-huitarde de gauche qui a conduit à culpabiliser le pays. Les deux sont d’ailleurs liés, car nous avons eu à faire dès les années 1960 à des critiques assez sauvages de la part de l’extrême-gauche des façons d’être en France, et notamment de la façon de concevoir l’immigration. L’extrême-gauche a mis la France dans le camp « occidental » et l’a associée à toutes les politiques coloniales. Ce qui est assez drôle ici, c’est que l’extrême-gauche a fait comme si ces politiques colonialistes étaient des politiques de droite, alors qu’en vérité, s’agissant de la France, ces politiques coloniales ont globalement été menées par la gauche. On a donc ici un premier phénomène déjà intéressant en soi. Cela a conduit à désarçonner la droite qui s’est trouvée particulièrement forte à l’époque de De Gaulle, puisque c’est lui qui a donné leur indépendance à la plupart des pays d’Afrique francophone. Elle s’est fait désarçonner petit à petit à partir de Valéry Giscard d’Estaing. Cela a affaibli la France car la droite n’a pas su répondre à cette question-là.

La deuxième source d’affaiblissement moral de la France vient de cette idéologie gauchiste qui consistait à dire qu’au fond les immigrés étaient contraints de venir en France pour trouver du travail et qu’ils venaient à la demande des Français. On s’est donc retrouvé là encore face à des difficultés assez importantes car il était difficile à ce moment-là de ne pas se sentir coupable lorsqu’il y avait des crimes et qu’on commençait à ne plus pouvoir contrôler les facteurs d’assimilation, ce qui a débuté notamment sous François Mitterrand. Ces deux aspects assez importants se sont développés dans les années 1980 avec Mitterrand, avec Chirac. Traditionnellement, la gauche était plutôt patriote pour une part. Même si le Parti communiste était lié à l’URSS, il avait démontré l’existence de forces patriotiques assez fortes après l’intervention de l’Allemagne contre Staline. La SFIO était une puissance assez patriotique, pro-américaine, très interventionniste et colonisatrice, ce qui lui était d’ailleurs reproché par l’extrême-gauche. A droite, il y avait le groupe gaulliste qui a toujours cultivé la puissance et l’influence de la France.

A la fin des années 1960, l’extrême-gauche a perdu la bataille politique mais a gagné la bataille idéologique. Pas seulement en France, mais en Allemagne et en Italie aussi. Elle a été aidée par le fait qu’un certain nombre de dirigeants d’extrême-gauche sont passés du côté de la gauche socialiste. On a donc eu des transferts qui se sont opérés au niveau politique mais aussi médiatique, avec de l’influence sur certains médias. Les trotskistes et maoïstes n’ont pas gagné, mais ils ont réussi à emmener avec eux la culpabilisation de la France en s’institutionnalisant. Au fond, il y a eu une sorte de professionnalisation politique et médiatique qui s’est opérée. Ces gens-là ont perdu et abandonné leur idéologie trotskiste ou marxiste, mais le fond de l’affaire est resté, à savoir cette espèce de désespoir, de critique de la France et du monde capitaliste qui aurait exploité le Tiers-Monde. On le voit en particulier chez quelqu’un comme Jospin, c’était assez flagrant.

De l’autre côté, la droite s’est retrouvée sans armature idéologique depuis la disparition du Général de Gaulle et de Georges Pompidou. Elle s’est donc trouvée dans une situation de faiblesse culturelle et s’est sentie contrainte de donner des gages à cette gauche reformatée. Elle a donc dû courir derrière la gauche pour essayer de se justifier et de se défendre en affirmant qu’elle n’était pas fasciste, nazie, raciste, antisémite. En vérité, la droite aurait dû partir à l’offensive. Elle l’a fait sur un seul point, notamment sous Giscard : les questions économiques. Mais d’un point de vue culturel et idéologique, c’était le début de la débandade. On l’a vu lors d’un moment important qui était celui de la libération des ondes de la presse. Le soi-disant libéral Giscard d’Estaing a refusé de libérer les ondes et de privatiser la télévision. C’est tout de même incroyable de voir un libéral ne penser qu’en termes économiques et être incapable d’avoir une vision sur ce qui est à la source du libéralisme (on le voit chez John Locke ou Adam Smith) : un libéralisme éthique, politique et culturel. On a eu un effet « haute administration » où les libéraux, qui auraient pu mener la bataille idéologique, ne l’ont pas fait. Ils ont été un peu écrasés par le système Giscard d’Estaing, avec un Michel Poniatowski très étatiste en vérité. On n’a donc pas eu le phénomène Thatcher, le phénomène Reagan, qui avant d’être économique était un phénomène éthique, politique et culturel. C’est la volonté de libérer les esprits et les énergies. L’économie est en quelque sorte la cerise sur le gâteau. Voilà le vrai problème qu’on a eu en France et la raison pour laquelle on n’a pas pu résister à la vague culturelle de la gauche et à cette pensée malheureuse. C’est cela qui explique la défaite de Giscard d’Estaing, qui a été battu culturellement et idéologiquement par cette gauche qui l’a emporté à contre-courant de ce qu’il se passait dans les autres grands pays à l’époque. La droite a perdu la bataille culturelle dans ces années-là, et c’est seulement aujourd’hui que l’on se débarrasse de cette idéologie soixante-huitarde.

En quoi le sentiment de culpabilité à l'égard de certaines populations, érigées en victimes de nos actions actuelles ou passé, parasite-t-il l'élaboration de politiques publiques efficaces ?

Ivan Rioufol : La culpabilité est un frein au raisonnement. Elle fait partie des armes de la subversion : la haine de soi, le doute envers nos propres valeurs, la préférence étrangère… C’est le produit d’une idéologie qui a pris pour cible le monde libre. De mon point de vue, c’est le fruit d’une dialectique post-marxiste qui affirme que le dominé doit avoir raison sur le dominant. Nous assistons donc aujourd’hui à une sorte de tyrannie perpétuelle des minorités. C’est une idéologie qu’il faut dénoncer, ainsi que les idéologues qui la promeuvent. Elle a été accentuée par une vision qui a été un temps à la mode et qui consistait à dire que nous vivions dans une société post-nationale où les nations, les peuples et les identités ne voulaient plus rien dire. Nous assistons aujourd’hui à l’effondrement d’une vision de la société qui oblige à remettre en cause les idéologies passées. Nous remettons donc également en cause cette culpabilisation qui a fait que nous ne voyions plus nos mérites mais uniquement nos défauts, sans voir que ceux qui nous rejoignent le font non pas pour nos défauts mais pour nos mérites puisque nous sommes encore attrayants.

Yves Roucaute : On a des exemples innombrables. Le plus visible, c’est le fait qu’on a été incapable de créer un Patriot Act à la française malgré les attentats de Charlie Hebdo. On se retrouve avec des demi-mesures, avec un débat absolument pas central sur la déchéance de nationalité… La question fondamentale, c’est comment on neutralise l’ennemi intérieur et extérieur ! On n’a toujours pas la Marseillaise à l’école, on a encore des femmes qui se baladent dans la rue avec le niqab, on a des voitures brûlées toutes les semaines dans les mêmes quartiers. Il y a un problème fondamental sur une question que je juge essentielle : la question des incivilités. C’est la clé dans une société, car c’est là qu’on peut juger de l’état de santé morale d’une nation. On va faire des petites mesures par ci-par-là, mais on ne s’attaque pas au fond du problème. On attend toujours une vraie stratégie de nos gouvernants sur cette question.

Il n’y a aucune raison pour que les musulmans de France ne soient pas intégrés au processus de lutte contre l’islamisme. Dans l’histoire de France, on a eu de nombreux musulmans patriotes : lors de la guerre 1914-1918, les tirailleurs sénégalais, les tirailleurs algériens, tous ceux qui entouraient De Gaulle et qui faisaient d’ailleurs sa force face à Roosevelt... C’est pourquoi je pense que le discours d’extrême-gauche qui nous dit qu’il faut être intégrateur et son discours opposé qui nous dit qu’il faut être dur avec ces gens-là et les exclure ne prennent tous les deux pas en compte la réalité de la situation française.

David Engels : Comme le disait Orwell dans son roman "1984" (qui semble de plus en plus d’actualité) : "Qui contrôle le passé, contrôle le futur ; qui contrôle le présent, contrôle le passé". Nous en sommes exactement là : l’auto-flagellation permanente des Européens les a rendus impuissants devant les réalités et exigences politiques du 21e siècle, et au lieu d’agir dans l’intérêt de leur propre société, ils ont donné le pouvoir à des hommes politiques cachant la poursuite de leur égoïsme derrière des paroles vaticanisantes. Jamais dans l’histoire de l’humanité, nos connaissances de l’histoire ont été si complètes, et pourtant, jamais encore, on en a tant ignoré les leçons : l’histoire est faite de crimes, de conflits et de guerres ; elle l’a toujours été, et elle le sera toujours – et en même temps, depuis toujours, l’histoire a aussi été marquée par d’interminables tentatives de pallier à cette violence et de surmonter les égoïsmes individuels par la croyance fervente en des idéaux transcendants.

Dès lors, la repentance par rapport aux "crimes" historiques du passé tout comme le travail de mémoire sont, certes, d’une extrême importance. Mais il est intolérable pour un historien de voir l’histoire de milliers d’années et de tant de grandes civilisations réduite à l’image du "méchant" occident, pillant et massacrant tout sur son chemin depuis des siècles, et des "pauvres" autres cultures, toutes si pacifiques et humainement admirables. Il est ahurissant de voir que des institutions comme l’église catholique ou l’État allemand se confondent littéralement en excuses vis-à-vis du reste du monde depuis des décennies, alors que d’autres religions non moins violentes, comme l’islam (responsable entre autres du massacre de millions d’hindous en Inde), ainsi que d’autres États au passé non moins chargé (comme la Russie ou la Chine) continuent à porter la tête haute et à célébrer leur passé comme si Staline ou Mao avaient été des bienfaiteurs de l’humanité. L’islamophobie est même devenue, dans la plupart des États européens, un crime – quand la christianophobie en deviendra-t-elle un ? Mais bien évidemment, ce démantèlement systématique de toute fierté patriotique, religieuse ou culturelle arrange certains milieux : insister en permanence sur sa propre repentance permet d’illustrer son haut degré de moralité et de se rendre ainsi politiquement inattaquable (c’est le cas de l’Allemagne d’aujourd’hui). En affaiblissant les identités partagées, on affaiblit aussi la base de toute solidarité, permettant ainsi encore mieux l’exploitation des citoyens par les pouvoirs des "marchés" et par les élites politiques et institutions internationales qui sont à leur service…

Pourquoi la France peine-t-elle à regarder les problèmes qu'elle doit affronter comme ils sont ?

Ivan Rioufol : Le jugement des dirigeants et des élites est en effet vicié par cette idéologie dont ils ont été pénétrés. De son côté, la société civile est imperméable à cette idéologie-là, donc elle ne comprend pas les réticences que peuvent avoir les dirigeants à faire confiance au génie français et à la propension qu’a la France à se sortir des plus mauvais pas. Je reste optimiste sur la manière par laquelle la France sortira de cette très mauvaise passe, mais elle ne s’en sortira qu’en remettant en cause les responsables qui l’ont conduit à cet état de dépression (dirigeants, idéologues, médias, etc.) et en se mettant à l’écoute de la société civile qui, elle, a la lucidité nécessaire. Plus généralement, la lucidité est de nos jours impérative dans la mesure où les faits sont têtus. Ce sont les faits qui ont raison, pas les idéologies.

Immigration, intégration, politique étrangère... Outre la déchéance de la nationalité, quels autres thèmes du débat public sont touchés par ce phénomène ? 

Ivan Rioufol : La déchéance de nationalité n’est qu’un problème annexe. Ce qui est sous-jacent dans ce débat, c’est la crise civilisationnelle qu’il faut enfin aborder en cessant d’affirmer qu’elle n’est qu’une crise économique et sociale. C’est une crise profonde, née de cet oubli de soi, de cette fascination pour l’autre, de cette xénophilie, de cette fascination pour l’islam… Il faut aujourd’hui savoir si nous voulons consolider ce qui a fait la France depuis un millénaire, c’est-à-dire une nation qui assimile, ou si nous voulons poursuivre cette expérience désastreuse d’une République multiculturelle qui attise les conflits. Il suffit de voir ce qu’il se passe dans les villes allemandes où le choc des cultures explose au détriment des femmes. Le problème aujourd’hui n’est donc pas celui de la déchéance de nationalité. La vraie question est de savoir dans quelle France nous voulons vivre. Je pense qu’un référendum serait souhaitable afin de savoir si nous voulons perpétuer une nation qui assimile, comme cela a été le cas depuis des siècles, ou si nous voulons donner notre aval à cette République multiculturelle que les Français, à mon humble avis, rejettent.

David Engels : Depuis quelques années, on a l’impression que l’entièreté du débat public – non seulement en France, mais aussi en Allemagne ou au Royaume Uni – est dominée par le débat sur l’immigration, car bien que celle-ci ne soit nullement la seule question importante, elle est si étroitement liée à toutes les autres questions que, tôt ou tard, tout se focalise sur ce problème. Ainsi, l’immigration de masse a mis en péril la notion d’identité, opposant l’identité culturelle, donc historique, à l’identité juridique, donc artificielle. L’islam a remis le problème (longtemps résolu) de l’attitude de l’État face à la religion sur la table. La non-assimilation culturelle de nombreux immigrés, sous prétexte de "multiculturalisme", a transformé un État initialement unitaire en une société clivée et ghettoïsée. La situation économique et le niveau d’éducation souvent faibles de nombreux immigrés ont alourdi les budgets sociaux et généré en même temps une concurrence massive pour les travailleurs européens. L’instrumentalisation des populations immigrées par des milieux politiques en quête désespérée de voix a poussé de nombreux citoyens à désinvestir ces partis et à se radicaliser. Les liens affectifs des immigrés avec leur patrie d’origine ont hypothéqué toute la politique extérieure européenne et rendu impossible toute "Realpolitik" sérieuse face à nos voisins méditerranéens. Le traditionalisme de nombreux immigrés se heurte violemment au déclin moral et culturel de l’Europe et favorise l’émergence des fondamentalismes. On pourrait poursuivre cette liste bien longtemps encore…

Que gagnerait la France à être plus lucide sur elle-même, à accepter ses torts passés tout en se déchargeant de ce poids moral et de cette chape qui pèse sur sa capacité à se projeter vers l’avenir ?

Ivan Rioufol : Cet effort de lucidité sur ses torts passés, la France l’accomplit déjà plus que de raison. Aujourd’hui, la France doit porter ses efforts de lucidité sur elle-même et sur les véritables dangers qui la menacent : son propre défaitisme, sa propre culpabilisation et ce nouveau totalitarisme islamiste et salafiste qui se joue précisément de ces faiblesses afin de s’installer subrepticement dans le débat et dans la société. S’il y a un impératif aujourd’hui, c’est d’être parfaitement lucide sur ce qui nous menace réellement. Ce n’est pas le Front National, le réchauffement climatique ou la crise économique. C’est ce nouveau totalitarisme que, très curieusement, l’humanitarisme officiel ne veut pas regarder en face.

Yves Roucaute :La vérité sur le passé, c’est que la France a été et reste une grande puissance. Elle est intervenue dans un certain nombre de régions de monde, non pas pour opprimer et exploiter comme l’idéologie gauchiste le raconte, mais par générosité. A la pointe de ce colonialisme que je condamne par ailleurs, vous avez des gens comme Jules Ferry et tous les radicaux-socialistes persuadés qu’ils allaient aider les gens ? D’une certaine façon, il y a eu des effets positifs de la colonisation. Il faut dire la vérité : tous les peuples du monde ont mis en esclavage et colonisé depuis l’époque du néolithique. La force de la France, c’est d’avoir supprimé l’esclavage et aboli l’esprit-même de la colonisation. Et je pense que la seule solution, c’est d’exposer clairement le projet de la France dans le monde. D’un côté, retracer le passé en montrant que tout ce que raconte l’extrême-gauche depuis la Libération n’est qu’ineptie : ce n’est pas vrai par exemple d’affirmer que le fascisme est d’extrême-droite (il est né à l’extrême-gauche). De même, le fascisme et le nazisme sont des idéologies socialistes révolutionnaires. Il faut raconter la vérité ! Pour le présent, il faut rappeler notre projet avec détermination. Très concrètement, je pense que nous sommes très nombreux en France à en avoir assez de voir qu’avant de bouger le petit doigt, les politiques se demandent si le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel sont d’accord. Le problème n’est pas de savoir si la France a signé au niveau international ou européen tel ou tel contrat. Il faut qu’on redevienne gaulliste. Quand De Gaulle décide en 1962 l’élection du Président de la République au suffrage universel direct qui change profondément la Constitution de la Ve République, il a contre lui le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel. Il y va quand même ! Il faut savoir conjuguer les valeurs universelles auxquelles on croit avec le patriotisme et l’amour de notre mode de vie. Si on ne conjugue pas ces trois éléments, la France est foutue. Quelqu’un qui ne mange pas de bœuf ne pose aucun problème, à partir du moment où il admet que les autres mangent en manger. Pour ce qui est du patriotisme : si des gens huent la Marseillaise ou brûlent le drapeau, il est normal de les sanctionner. Aux Etats-Unis, ils seraient probablement lynchés ! J’appelle personnellement à ce qu’on mette ces gens en détention et qu’on les punisse sévèrement, car c’est une atteinte à la nation. Celui qui ne veut pas que les femmes conduisent ou aillent à l’école, celui qui pratique l’excision, celui qui viole la dignité humaine, doit être condamné sévèrement. Quand les choses sont claires culturellement, elles le sont aussi politiquement. La refondation ne s’opérera pas sans une bataille et une clarté idéologique.

David Engels : Il faut être réaliste : l’islam et les immigrés d’origine musulmane – car c’est essentiellement d’eux dont il s’agit dans ce débat, non des immigrés chinois et du confucianisme – font désormais irrémédiablement partie de l’Europe, car le point de non-retour est dépassé depuis longtemps. On peut le déplorer ou non, mais c’est un fait avec lequel nous devons vivre. En revanche, une question reste ouverte : voulons-nous vraiment que la société française du futur, sous prétexte de "tolérance", "d’ouverture", "d’impartialité" et de "multiculturalisme", et se servant de la mauvaise conscience collective à l’égard de notre passé, se désolidarise totalement avec les valeurs culturelles de l’occident ? Ou voulons-nous lutter afin que le cadre de vie de la société du futur reste empreint de l’essence-même de la civilisation européenne et que les Européens ne se sentent pas comme des citoyens quelconques d’un État inodore, incolore et insipide, mais se sentent chez eux, car conscients du fait que c’est à leur modèle de société que les autres doivent s’adapter, et non l’inverse ?

Autrement dit, voulons-nous réellement que le sentiment de culpabilité face à l’impérialisme, au colonialisme ou au missionarisme du 19e et 20e siècle (faits que chaque grande société humaine a connu depuis des milliers d’années) mène à l’abandon et au suicide de notre propre société ? Ou oserions-nous, tout en reconnaissant nos torts passés et luttant pour une politique aussi humaine que possible, redécouvrir notre fierté perdue par rapport aux nombreux bienfaits (artistiques, technologiques, intellectuels, spirituels) que l’occident a apporté au monde depuis des siècles, et lutter pour la survie de nos traditions, de notre style de vie et de notre manière d’être ?

Quand j’ai présenté la traduction allemande de mon livre "Le déclin" (Paris, 2013) à la foire du livre de Leipzig, une lectrice m’a fait part de son incompréhension face à mes craintes que l’immigration de masse et la chute démographique puissent, un jour, rendre les Européens minoritaires dans leurs propres pays (situation quasiment atteinte dans la ville dans laquelle je vis, Verviers). Pour elle, qui expliquait avoir consciemment refusé de mettre des enfants au monde, cela ne serait qu’un "juste retour des choses" après "toutes les atrocités que nous avons faites aux autres". C’est terrible d’en arriver là : n’est-ce pas une fin un peu pitoyable pour une civilisation qui a construit les cathédrales romanes et gothiques, qui a cartographié l’entièreté du globe, qui a fait naître Dante, Goethe et Dostojevskij, qui a connu Palestrine, Lully, Bach, Beethoven et Mozart, qui a engendré Descartes, Kant et Hegel, qui a mené des luttes sans fin pour les idéaux de la révolution, qui a propulsé le monde dans la modernité, qui a lutté pour l’émancipation de la femme et qui s’est lancée à la conquête de l’espace ?

En Espagne, le parti Podemos appelle l’Espagne à s’excuser officiellement envers les musulmans pour la prise de Grenade en 1492. L’affaire des violences sexuelles à Cologne a également été traitée avec beaucoup de gêne en Allemagne dans les médias et la sphère politique… Le phénomène n’est donc pas si français que cela ?

Ivan Rioufol : Absolument, c’est un phénomène européen et même occidental. C’est la culpabilisation occidentale qui pose problème aujourd’hui. Il faut que l’Occident retrouve ses valeurs et sa fierté et qu’il refuse de se laisser subvertir par cette idéologie qui vise à le vider de ses propres défenses immunitaires. On voit bien à qui profite ce grand vide que cherche à instituer un islam conquérant désireux de s’installer au cœur d’une civilisation à prendre et à brader. Or, nous ne sommes pas à brader. Je persiste à penser que cette situation dans laquelle nous ont menés les dirigeants, les idéologues et les élites est vécue comme une violence par l’ensemble des peuples européens. Il suffit de voir leur réaction dans les élections. Si les élites ne se ressaisissent pas, ce seront les peuples eux-mêmes qui prendront les choses en main, et peut-être bien d’une manière violente. Il y a donc urgence pour les élites occidentales, européennes et françaises à accepter d’affronter le véritable ennemi. Cet ennemi, c’est un nouveau totalitarisme qui a beaucoup de points communs avec les totalitarismes que l’on a connus précédemment, à savoir le communisme et le nazisme. Il ne faudrait pas reproduire les mêmes fautes que par le passé et tenter de l’apprivoiser par des politiques de concorde et de pacifisme qui ne sont en fait que des politiques de lâcheté.

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