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Pourquoi la finance est "utile et nécessaire"
©Reuters

Bonnes feuilles

Stop ! Les Français, comme beaucoup de peuples occidentaux, broient du noir plus que jamais. Les populistes de droite et de gauche surfent sur cette déprime collective en alignant beaucoup de mensonges… mais aussi quelques vérités. Oui, c’est vrai, les dirigeants politiques et économiques ont commis de lourdes erreurs. Oui, une forme de libéralisme a trop tiré sur la corde dans le monde. Mais maintenant ? Le moment est venu d’arrêter de se lamenter ou de croire que les extrêmes et les plus radicaux apporteront des solutions pour remonter la pente. Leurs remèdes seraient pires que le mal. Extrait de "La France va s'en sortir", de Dominique Seux, aux éditions Grasset 2/2

Dominique Seux

Dominique Seux

Dominique Seux, directeur délégué du média économique Les Echos, est également éditorialiste économique dans la Matinale de France Inter. 

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Il ne faut jamais oublier que la matière première de la finance, c’est la dette. Dans les années 2000, la mèche est allumée avec les actifs subprimes, ces crédits attractifs consentis à des ménages qui n’ont aucun moyen de les rembourser. Comme des patates chaudes, les acteurs financiers se les transmettent en croyant répartir les risques. Les subprimes, pour prendre une autre image, c’est comme les anchois dans une salade niçoise ! En soi, ils ne représentent pas grand-chose, mais il suffit que le produit soit avarié pour polluer toute la salade. On doit cette jolie comparaison à l’ex-patron d’Axa, Henri de Castries 42. Beaucoup d’opérations se font dans le « hors-bilan » des établissements, hors de toute surveillance. C’est l’époque où tout est possible, y compris qu’une banque d’affaires comme J.P. Morgan possède en direct un nombre considérable d’entrepôts pétroliers dans le monde, dans un parfait mélange des genres.

Pourquoi les États ont-ils laissé faire ?

Échange téléphonique fin 2016 avec un des plus grands assureurs du monde, à New York ce jour-là. « On vous a vendu l’idée de notre responsabilité à nous la finance, cela arrangeait tout le monde. En fait, ce sont les responsables politiques qui ont vu que les revenus ne progressaient plus et ont décidé qu’il fallait encourager l’immobilier à tout prix. » La suite est connue. Le système implose, la crise la plus violente depuis un demi-siècle survient, et le renflouement des banques coûte cher, très cher. En Europe, près de 300 milliards doivent être injectés dans les établissements, auxquels il faut ajouter plus de 1 000 milliards de garanties. Aux États-Unis, les faillites se multiplient et les grandes banques payent d’énormes amendes pour leurs pratiques frauduleuses. La bonne nouvelle est que les dirigeants de toute la planète ont bien réagi dans l’urgence. Par la suite, des décisions clés ont été prises sur la lutte contre les paradis fiscaux, la transparence et la traçabilité des opérations financières, et la réforme des règles comptables. Sur le Vieux Continent, une instance de régulation est installée. À tel point qu’en 2015, les banques ont encore connu 50 000 changements de règles, soit 200 par jour ouvré. Satisfecit de François Hollande à quelques journalistes, le 4 février 2016 : « La finance ne dirige plus : l’union bancaire en Europe est faite, l’optimisation fiscale des grands groupes est plus difficile grâce à la lutte contre les paradis fiscaux et les taux d’intérêt sont bas. » En réalité, la colère couve aujourd’hui, mais du côté européen. Car les banquiers du Vieux Continent ont le sentiment, et à juste titre, de s’être fait avoir. Les banques américaines ont repris le leadership, comme JP Morgan, Wells Fargo et Bank of America, qui pèsent chacune plus de 200 milliards de dollars en Bourse. Les banques anglo-saxonnes trustent cinq des six premières places du palmarès européen des banques d’investissement. De leur côté, les Européens ont adopté des normes difficiles à porter, qui les pénalisent davantage que leurs compétiteurs outre- Atlantique. Et ils ont assisté, impuissants, à la nomination auprès de Donald Trump de dirigeants de leurs concurrents. Comme le Secrétaire d’État au Trésor, Steven Mnuchin, un ancien de Goldman Sachs.

Au total, la finance a bel et bien conservé sa puissance. Les grandes banques centrales ont fait tourner la planche à billets avec le « quantitative easing » pour soutenir le crédit et donc l’investissement 43. Cela a commencé aux États-Unis : le « Bernanke helicopter », du nom du patron de la Réserve fédérale, a consisté à jeter des paquets de dollars que les pales de l’appareil ont dispersés partout. La BCE a embrayé. La Chine a embrayé. La nouvelle monnaie créée par ces banques a atteint la somme incroyable de 20 000 milliards de dollars ! Cette pompe à morphine est une drogue. Le sevrage sera compliqué. L’autre problème est que nul n’oserait affirmer qu’une nouvelle crise n’est pas au coin de la rue. Quand on ajoute de la dette aux dettes, c’est comme dire au barman : « un dernier pour la route » ! L’endettement mondial dépasse désormais, hors secteur financier, les 150 trillions de dollars

– 150 000 milliards. Un chiffre à mettre en face d’une activité économique globale de l’ordre de 75 trillions par an. La Banque des règlements internationaux, qui n’est pas l’incarnation du gauchisme et de l’hétérodoxie économique, a tiré à plusieurs reprises la sonnette d’alarme. « Il se pourrait que nous soyons face non pas à des coups de tonnerre isolés, mais aux signes avant-coureurs d’une tempête qui couve depuis longtemps 44. » Les dettes, quelles dettes ? Celles des États des pays avancés. Celles des entreprises des même pays et des émergents. Celle des entreprises chinoises. Enfin, il y a la place prise par la finance non régulée, le shadow banking (fonds de pension, fonds monétaires, hedge funds) et le déplacement de la finance des banques régulées vers les investisseurs qui le sont moins.

Que faire ?

Rappeler d’abord que la finance est utile et nécessaire ! Se moquer des banquiers est facile : ce sont, dit-on, des gens qui vous prêtent un parapluie quand il fait beau et vous le reprennent quand il pleut. Mais la finance recueille l’épargne qui va s’investir dans des projets de long terme. Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, elle a apporté les ressources nécessaires aux énormes investissements collectifs réalisés en Europe. L’historien Fernand Braudel a troussé une jolie formule sur la Bourse : « C’est grâce à elle que des gens qui ont de l’argent mais pas d’idées financent des gens qui ont des idées mais pas d’argent. » Sans finance, il n’y aurait que des sociétés familiales et la rente. En ce début de XXIe siècle, chacun sait que des grands équipements sont nécessaires partout, autant pour l’accès à l’eau et à l’électricité dans de nombreuses régions du monde que pour la transition énergétique dans les pays avancés.

Mais une condition est nécessaire : l’argent doit s’investir dans ces projets-là, et non pas dans des emplois courts ou spéculatifs. Qu’il retrouve pour direction principale l’économie réelle. Le think tank de gauche Terra Nova a trouvé une belle expression pour résumer ce qui ne va pas. Le problème majeur du capitalisme, explique-t-il, est qu’il est devenu « impatient 45. » Oui, il a de grandes vertus, il crée des richesses pour beaucoup de monde et dans beaucoup de pays. Mais il est aujourd’hui courtermiste, il ne sait plus valoriser le temps. À New York, la durée de détention d’une action ne se compte plus en années, mais en mois, voire en semaines. Mieux, ou pire : en tenant compte des échanges par ordinateur ultra-rapides, le trading haute fréquence, cette durée peut descendre jusqu’à dix secondes ! Quoi encore ? La publication par les sociétés de résultats tous les trois mois les met sous une pression permanente. Les investisseurs veulent des rendements élevés pour leurs capitaux, parce que les taux bas massacrent leurs placements habituels. Bien sûr, il ne faut pas être naïfs : la finance restera toujours la finance, elle ira toujours aussi loin que les règles le permettent.

Les esprits changeraient-ils enfin ? Peut-être. Le patron du plus gros gestionnaire d’actifs du monde – il gère une fois et demie le PIB de la France –, BlackRock, a invité au printemps 2016 cinq cents des plus grosses multinationales à changer d’état d’esprit. Leur mission selon

Larry Fink : sortir de « l’hystérie du résultat trimestriel » et se détacher des demandes immédiates des investisseurs, pour redonner de la perspective à leurs stratégies. Systématiser la redistribution des profits aux actionnaires, prévient Fink, c’est agir « au détriment de la création de valeur à moyen terme ». Alors que, « sur le long terme, les questions environnementales, sociales ou de gouvernance ont un impact financier réel et quantifiable ». Puisse-t-il être entendu.

Et dans tout cela, quid de la France ?

La bonne nouvelle est que dans la crise, les banques françaises ont tenu. Aucune n’a chuté, en dépit de ce qu’ont répété les grincheux pendant ces années-là. Souvenons-nous : lors de la précédente profonde crise, celle de 1993, quatre établissements étaient tombés au tapis. Et pas n’importe lesquels : la Banque française du commerce extérieur, le Crédit National, le Crédit

Lyonnais et le Comptoir des entrepreneurs. En 2008, personne n’a mordu la poussière si l’on excepte la franco-belge Dexia. Du coup, le sentiment à la mode en 2010 était une certaine fierté, voire un peu d’orgueil. « Il y a autant de différence entre les banques françaises et allemandes qu’entre les machines-outils allemandes et françaises », a-t-on entendu plastronner un banquier qui regardait les difficultés de Deutsche Bank et des Landesbanken allemandes. Sans compter celles des banques italiennes et espagnoles. Ce satisfecit a tout son sens aujourd’hui. Mais demain ? À l’heure actuelle, quatre grands groupes dominent le paysage tricolore : BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole et BPCE. Leur total de bilan cumulé représente trois fois le PIB français et ils détiennent 70 % du marché des prêts bancaires. Impressionnant. Si l’on ajoute le Crédit Mutuel et la Banque Postale, cette part atteint 85 %. Dans la zone euro, sur les six banques qui ont un bilan supérieur à 1 000 milliards d’euros, quatre sont françaises. Aucun autre État de la zone euro ne compte donc autant de mastodontes. Ce qui veut dire aussi que le niveau de leurs bénéfices doit être rapporté à cette aune-là.

Extrait de "La France va s'en sortir", de Dominique Seux, aux éditions Grasset, avril 2017. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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