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Pourquoi l’obsession anti-oeufs des épidémiologistes pousse aussi à des comportements alimentaires inadéquats
©Reuters

Il n’y a pas que le cholestérol

L'obsession des épidémiologistes à propos des œufs a une lourde conséquence. L’épouvantail du cholestérol pousse vers les produits transformés et la junk food.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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La conclusion de la récente méta-analyse du Lancet n’a que peu de rapports avec les oeufs mais beaucoup avec un vieil agenda: le cholestérol. 

Nous avons détaillé les résultats de cette étude. Ce qui est particulièrement significatif c’est la conclusion: “Chez les adultes américains, la consommation accrue de cholestérol alimentaire ou d’œufs était significativement associée à un risque plus élevé d'accidents cardiovasculaires et de mortalité toutes causes confondues dans une relation dose-réponse. Ces résultats devraient être pris en compte dans le développement de recommandations et de leurs mises à jour.

Il y a bien un mélange entre le cholestérol alimentaire de toutes origines et celui des oeufs dans l’étude et ce n’est pas anodin. C’est là que le bât-blesse. Dans son éditorial R.H. Eckel insiste sur ce point.  Ceux des adultes américains (mais c’est aussi vrai en Europe) qui mangent beaucoup de cholestérol ont une alimentation de type junk food, beaucoup de viande transformée (saucisses, lasagnes autres préparations à base de viande ), beaucoup de produits industriels et peu de végétaux ou de produits frais. Dès lors tout est biaisé car ce marqueur (“la consommation accrue de cholestérol alimentaire ou d’œufs”) n’est en fait que celui de la junk food, ce régime urbain de ceux qui ne cuisinent pas leur alimentation et peuvent manger jusqu’à 90% de produits ultratransformés. Ce régime particulièrement prévalent dans les grandes métropoles d’Amérique du nord et qui se développe aussi en Europe et en Asie. C’est cette consommation de produits qui pollue l’étude et crée un biais au détriment de la consommation d’oeufs.

Cette obsession des “nutritionnistes” à propos du cholestérol et par ricochet des oeufs a des conséquences délétères pour la population 

Au cours de l’évolution, lorsque les humains ont recherché une source de calories et de nutriments sure, sans risque lors de la prédation à un animal peu méfiant, au prix d’un effort physique minimal et d’une technicité faible nous avons choisi les oeufs. Nous avons comme beaucoup d’espèces avant nous mangé les œufs d'innombrables créatures depuis le paléolithique. Les poissons, les lézards, les reptiles, les aigles, les chimpanzés mangent des oeufs. Une des questions de bon sens qui se pose est la suivante: comment se pourrait il que l’homme se soit “désadapté” métaboliquement ou même génétiquement à un aliment que ses prédécesseurs mangent depuis des centaines de milliers d’année? C’est en effet peu probable.

Tout d’abord l’oeuf n’est pas un produit transformé, même dans les batteries de milliers de poules, c’est un aliment entier

Les oeufs produits dans des batteries sont de bonne qualité nutritionnelle, rappelons le, dans le contexte de désinformation qui règne et où sont mélés les opinions et la réalité nutritionnelle.  Les vitamines sont très facilement assimilables, les protéines aussi et notamment l’albumine du blanc. Les acides gras sont adaptés à notre métabolisme même si il y a de grandes différences en fonction de la nourriture donnée aux poules pondeuses. Si bien que l’oeuf bashing à propos des conditions d’élevage est en France une grande propagande où se retrouvent complotistes, antispécistes, vegans, hostiles à la science et partisans de la décroissance (liste non exhaustive). Ces groupes de pression très actifs sont soutenus par toute l’industrie des produits du petit déjeuner qui ne veut surtout pas des oeufs et d’autres aliments entiers pour remplacer leurs produits à base de sucres et encore de glucides... Ajoutons qu’il existe toute une gamme d'autres aliments entiers que l'on peut choisir à côté ou à la place des oeufs pour une variété de petits déjeuners de qualité, tels que des poissons gras, de la charcuterie, des fruits frais et des fromages.

Le détournement des consommateurs des aliments entiers a des effets délétères sur leur santé et leur porte monnaie

C’est aujourd’hui bien établi la consommation de produits transformés est défavorable à la santé. En particulier au petit déjeuner ne pas manger de protéines conduit à augmenter les hydrates de carbone (sucres, glucides) et de ce fait la sensation de faim quelques heures après. Donc, surtout, faites vos oeufs coque au saut du lit si vous en avez envie.  Dans un autre domaine il n’y a aucune base économique à ces campagnes contre les oeufs ou les autres produits animaux. Il est très tendance de déplorer la vie chère mais les oeufs sont des aliments bon marché.
Prix moyen d'une boite de 12 œufs (France) en 2019 :
2.65 € (1,8 à 3,93 €) 

L’oeuf est un aliment peu onéreux dont le déchet est faible (11%) et non polluant. Il est donc possible de choisir des oeufs qui nous conviennent d’abord au goût, ensuite en fonction de nos besoins et de nos “croyances” personnelles (poules en liberté, bio, gros, extra-frais etc). En revanche dans les produits industriels contenant des oeufs la qualité de ceux ci n’est pas précisée ni leur traitement (extraits, albumine, oeufs en poudre …). Et surtout il y a ce principe très important du comportement alimentaire: le principe de remplacement. Si vous excluez les oeufs qu’allez vous manger à la place? Très probablement des produits de moindre qualité nutritionnelle.

Quand un médecin se pose la question des fondements de ses conseils

Peu de patients s’abstiennent de demander des conseils nutritionnels. Surtout quand un accident cardiovasculaire majeur leur est arrivé qui a nécessité une intervention. C’est donc à chaque consultation qu’un spécialiste des maladies cardiovasculaires répond à ces questions. Dans un premier temps on lit et interprète les recommandations des sociétés savantes. Ensuite on va plus loin à la recherche des preuves. Ce travail est continu car fort heureusement nous diminuons peu à peu l’incertitude. Je ne regrette pas ces interrogations car elles m’ont permis de faire une médecine plus précise, plus personnalisée. Car les habitudes ont la vie dure et accuser un aliment qui contient du cholestérol est simpliste mais efficace, on y croit. Après avoir vu combien un individu en bonne santé peu manger d’oeufs en toute sécurité voyons ce qu’il en est des malades ou des personnes à risque cardiovasculaire.

En effet n’y a-t-il pas des patients comme les diabétiques type 2 ou les patients coronariens  qui doivent restreindre leur consommation d’oeufs?

Dans les années 1970, les scientifiques et les médecins se sont convaincus de la théorie du cholestérol à l’origine des attaques cardiaques sous l’influence des travaux d’A. Keys et de son étude des sept pays. Les médecins ont fait l’hypothèse que l'excès de cholestérol dans notre sang prédit un risque plus élevé de maladie cardiaque et en coséquence que le cholestérol alimentaire devait être réduit. La plupart des médecins ont déconseillé les aliments riches en cholestérol comme le beurre, la viande rouge et les œufs. La phobie du gras était née, l’industrie de l’allégé allait faire le reste. En réalité cette étude des sept pays est une étude observationnelle multinationale de l’alimentation. Comme nous l’avons expliqué dans la première partie les corrélations observées ne peuvent être interprétées comme des liens de causalité. Mais surtout les données soulèvent plusieurs interrogations qui ont motivé d’autres études plus récentes afin de confirmer ou d’infirmer ces liens. Depuis le lien entre les maladies coronaires, les AVC et le cholestérol alimentaire ou les graisses saturées n’a pu être prouvé. L’élément nouveau ces dernières années c’est justement que par exemple les diabétiques type 2 (DT2) peuvent bénéficier d’une consommation modérée d’oeufs. L’oeuf est en effet un aliment pauvre en hydrates de carbone qui diminue la sécrétion d’insuline et améliore la glycémie. L’oeuf est satiétogène. Deux facteurs précieux chez le diabétique type 2. Nous avons été éduqués familialement dans la crainte de manger trop d’oeufs. En médecine les rares cours de nutrition pérénnisent la pseudo-science de l’éviction des oeufs chez les diabétiques type 2. C’est pourquoi rien ne doit être négligé pour renverser cette croyance et ecsser d’interdire les oeufs aux diabétiques. Dans ce débat seuls comptent les faits et ils sont exposés dans le tableau N°1.

Dans une autre étude de 2015, en prévention, il a été retrouvé une association entre la consommation d’œufs et un risque diminué de diabète : 
Une consommation accrue d'œufs a été associée à un risque plus faible de diabète type 2 dans cette cohorte d'hommes âgés et d'âge moyen.”

Pour les patients coronariens c’est le même résultat:
Cette étude de cohorte prospective menée auprès de la population chinoise en général a démontré une association inversement significative de la consommation d'œufs avec les maladies cardiovasculaires, cardiopathies ischémiques, accidents vasculaires cérébraux hémorragiques, accidents vasculaires cérébraux ischémiques, ainsi que les événements coronariens majeurs. En particulier, les consommateurs d'œufs quotidiens (un œuf par jour par rapport à un œuf par semaine ou moins) avaient un risque d'accident vasculaire cérébral hémorragique 26% plus faible, un sous-type d'accident vasculaire cérébral avec un taux de prévalence plus élevé en Chine que dans les pays à revenu élevé.” C’est pourquoi les recommandations sont presque unanimes alors que l’oeuf figure encore parmi les premières préoccupations alimentaires du coronarien avec le gras! Cette fois on ne peut blamer les recommandations officielles mais bien ceux qui n’arrivent pas à changer d’avis y compris certains médecins ou diététiciens (Tableaux N°2 et N°3).

Tableau N°2: En dehors des USA tous les autres pays sont sortis de l’obsession du cholestérol pour adopter des recommandations neutres au sujet des oeufs et du cholestérol alimentaire (modifié et traduit à partir de cet article).

Tableau N°3: Pour les coronariens c’est l’Europe et l’Allemagne qui sont restrictives comme la Mayo Clinic mais pas l’America Heart Association. Ceci dit 250-300mg de cholestérol alimentaire c’est tout à fait compatible avec un oeuf au petit déjeuner (186mg) et une bavette de boeuf à midi (110mg pour 150g de viande)...(modifié et traduit à partir de cet article) .

Conclusion pratique

1/ Il s’agit de traduire l'association variable entre la consommation d’œufs et le risque cardiovasculaire en conseils pour chacun. Le risque cardiovasculaire dépend chez un individu de plusieurs facteurs. Les conseils doivent être personnalisés d’abord en fonction des pathologies existantes et ensuite des paramètres mesurables du risque qui ne se résument pas à un chiffre de cholestérol. Avant tout le tabac fumé, l’hypertension, l’inactivité, l’obésité centrale et le diabète type 2 doivent être considérés comme les facteurs modifiables d’un poids majeur dans l’équation du risque. J’ai détaillé le risque chez les diabétiques et chez les coronariens mais ces populations sont hétérogènes en particulier les patients coronariens. Les résultats variables des études traduisent en fait la neutralité de la consommation d'oeufs sur le risque d’événements cardiovasculaires et une amélioration pour le diabète type 2. Pour les biens portants et les diabétiques consommer des oeufs apporte des nutriments de grande qualité avec un avantage: c’est un aliment naturellement très pauvre en sucres. Il a donc une place de choix au petit déjeuner pour remplacer les produits très riches en hydrates de carbone et pourvoyeurs d'hypoglycémie de la fin de mâtinée. Pour ceux qui présentent une maladie cardiovasculaire on peut affirmer que sans dépasser un oeuf par jour (en moyenne) il n’y a pas d’augmentation du risque. Les recommandations européennes sont à ce sujet particulièrement rationelles (Tableau N°3).

2/ Il est peut être temps de stopper les études de faible qualité (les études épidémiologiques observationnelles) sur la consommation d’oeufs et le risque de maladies cardiovasculaires ou de diabète type 2. La tentation de faire tourner les ordinateurs sur de grosses bases de données est réelle mais elle est vaine. Il y a mieux à faire des subventions de recherche. Seuls des essais cliniques randomisés ou des études métaboliques sur des groupes ayant un déterminisme génétique à risque peuvent apporter des informations utiles aux patients. 

3/ Il est favorable pour la santé de consommer des oeufs de poule mais aussi d’autres espèces et les français qui en consomment moins d’un par jour en moyenne n’ont aucune raison scientifique de diminuer leur consommation d’oeufs même s’ils sont diabétiques ou coronariens. Ceux qui s’en privent n’améliorent pas leur santé. Seuls ceux et celles qui consomment plus de 2-3 oeufs par jour en moyenne devraient être concernés par les milliers d’articles de la presse sur ce sujet, et à la vérité ces français sont peu nombreux. Enfin chacun devrait évaluer la part d’oeufs consommés entiers ou transformés. C’est à ce niveau qu’il faut faire jouer le curseur et s'orienter vers des préparations culinaires chez soi à partir d’oeufs de qualité, essentiellement des oeufs d’animaux élevés en plein air.

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