Pourquoi il y a trop d'électricité accumulée autour de François Hollande pour que la foudre ne frappe pas... mais où et quand le fera-t-elle ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
François Hollande souffle
François Hollande souffle
©Reuters

Une odeur de grillé

François Bayrou, qui avait soutenu François Hollande au second tour en 2012, s'est ravisé depuis en déclarant en mai 2014 que "quand l'orage arrive, il n'y a qu'une certitude, c'est qu'il va y avoir un coup de foudre". Alors que François Hollande est donné perdant au second tour de la prochaine présidentielle face à Marine Le Pen par un récent sondage Ifop pour Le Figaro, la prédiction pourrait bientôt se réaliser.

Jérôme Sainte-Marie

Jérôme Sainte-Marie

Jérôme Sainte-Marie est président de la société d'enquête et de conseils PollingVox.

 

Voir la bio »
Bertrand  Rothé

Bertrand Rothé

Bertrand Rothé est agrégé d’économie, il enseigne à l’université de Cergy-Pontoise et collabore régulièrement à Marianne. Il est déjà l’auteur de Lebrac, trois mois de prison (2009) et co-auteur de Il n’y a pas d’alternative. (Trente ans de propagande économique).

Voir la bio »

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

Voir la bio »


François Bayrou: "François Hollande n'ira pas...par BFMTV

Atlantico : François Bayrou a déclaré en mai 2014 à propos de François Hollande : “Quand l'orage arrive, il n'y a qu'une certitude, c'est qu'il va y avoir un coup de foudre”. Avec des sondages calamiteux donnant Marine Le Pen vainqueur au second tour de la présidentielle de 2017 par 54% des voix contre lui (voir ici), et un niveau de popularité à 13 % (ici), d'où ladite foudre pourrait-elle venir ? Quelle serait la nature de la crise politique ?

Une pression exercée par les partenaires européens pour que François Hollande accepte un gouvernement de coalition

Jérôme Sainte-Marie : La partie politique se joue désormais à trois : le pouvoir, l'opinion et, derrière le rideau, mais de plus en plus bruyantes, les instances financières et l'Union européenne. La vulnérabilité budgétaire de la France place de fait la politique gouvernementale sous la surveillance de ces dernières. On ne comprend pas autrement la floraison récente de propositions plus susceptibles les unes que les autres de troubler l'opinion de gauche et de rassurer les milieux financiers. Or on ne peut aujourd'hui contenter les deux. Mais l'affaiblissement vertigineux du soutien populaire au gouvernement socialiste peut finir par inquiéter ces mêmes instances internationales sur la crédibilité des engagements gouvernementaux. C'est la force de la signature française qui est aussi en cause dans la crise politique actuelle. Ceci pourrait être un puissant levier pour provoquer une dissolution, afin d'aboutir à la formule française de la" grande coalition" : la cohabitation.

Bruno Cautrès : On ne peut pas dire que nos partenaires européens font ainsi pression. La France n’a pas les mêmes institutions que l’Allemagne et celle-ci ne se pose d’ailleurs pas en modèle : la "grande coalition" au pouvoir en Allemagne (CDU-SPD) en ce moment est le fait que le parti d’Angela Merkel (CDU) a manqué de quelques sièges la majorité absolue des sièges au Bundestag à l’issue des élections fédérales de 2013.

En ce qui concerne le cas français, il serait plus juste de dire que la pression sur nos finances publiques, qui est réelle, et pression de la Commission européenne, ont des conséquences indirectes mais importantes sur la politique française, principalement à travers le prisme de la réduction des déficits et que cet objectif fait débat voire clivage fort au sein de la majorité. Pour ce qui est d’une "grande coalition" en France, la tradition politique français et notre système électoral et partisan s’y prêtent peu. Sous la Vème République, le modèle de la cohabitation a, pour des périodes limitées (1986-1988, 1993-1995, 1997-2002), pu fonctionner mais avec de nombreuses tensions au sein de l’exécutif. Tant en France qu’à l’étranger on ne garde pas nécessairement un bon souvenir de ces périodes de cohabitation. Rappelons-nous du gouvernement de Jacques Chirac et de Jospin, où le flou s'est illustré lors des sommets internationaux avec un Premier ministre et un Président qui pouvait se parasiter mutuellement.

Par ailleurs, le modèle de la cohabitation ne ressemble pas à celui de la "grande coalition" allemande. La cohabitation française c’est un Président qui a perdu sa majorité à l’Assemblée et qui est obligé de nommer un premier ministre issu du camp opposé et avec un gouvernement également issu de ce camp opposé. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on n’imagine pas aujourd’hui une dissolution ; et par ailleurs qui est en mesure aujourd’hui de présenter une majorité alternative cohérente ? 

Bertrand Rothé : Bien qu’elle souhaite un tel dénouement en France, l’Allemagne est devenue un pays trop respectueux de la démocratie pour exercer une telle influence.

Pour conclure, Hollande est à l’abri. François Bayrou rêve tout debout. La protection sociale a un effet pervers, elle repousse les effets de la crise, en anesthésiant les révoltes. Pour nos citoyens le glissement vers la pauvreté est très progressif et très long. Plusieurs années après leur licenciement, ils se retrouvent au RSA après plusieurs dépressions. Ensuite la Ve République a été créée pendant la Guerre froide pour faire face à un conflit exceptionnel. Elle donne à un homme, qui n’a besoin de rendre de comptes à personne, le pouvoir d’appuyer sur le bouton nucléaire. Nos institutions sont faites pour cela. Ceci dit, l’avenir a beaucoup d’imagination, et nous réserve des surprises. Sûrement, mais lesquelles ?

Une majorité de gauche insuffisante, entraînant la dissolution

Jérôme Sainte-Marie : Le rendez vous principal, celui du vote de confiance, n'est pas le plus périlleux. L'exécutif s'y est préparé et quels que soient les états d'âme des députés socialistes il est très compliqué politiquement, et suicidaire électoralement de voter sciemment la chute d'un pouvoir de gauche. A l'inverse, que lors du vote d'une réforme importante, réclamée par nos partenaires européens et la BCE, par exemple, une part significative des élus socialistes se dérobent au vote n'est pas inconcevable. Il en résulterait, sans que cela ait été totalement assumé par les opposants de gauche à la politique gouvernementale, une crise précipitant une dissolution. C'est une construction hypothétique, certes, mais il est bien difficile d'imaginer que dans les prochains mois les textes envisagés, et qui susciteront de forts mouvements d'opposition, dans l'opinion sinon dans la rue, puissent être facilement adoptés. Peut-être qu'à un moment donné certains députés se diront que tant qu'à se diriger vers une défaite électorale, il vaut mieux "tomber à gauche".

Bruno Cautrès : Effectivement, F. Hollande dans une tribune publiée dans Le Monde à la fin du mois d’août avait déclaré qu’il allait accélérer les réformes, dont certaines qui ne feront sans doute pas consensus à gauche et qui pourraient donc raviver la pression politique incarnée par les frondeurs. Si le gouvernement engage sa responsabilité sur un discours de politique générale (ce que fera M. Valls le 16 septembre) ou plus tard sur une réforme, et qu’il obtient une majorité de vote contre, alors la dissolution est très probable même s’il reste au Président la cartouche de nommer un autre premier ministre. Rappelons que la Constitution de la Vème république prévoit trois procédures distinctes pour la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée :

La "question de confiance", à l'initiative du gouvernement qui engage sa responsabilité sur un programme ou sur une déclaration de politique générale. Dans la pratique, le gouvernement ne pose la question de confiance que s'il est sûr d'obtenir une réponse positive ou s'il veut affermir la cohésion des députés qui le soutiennent ; lmotion de censure à l'initiative de l'Assemblée nationale ; l'engagement de responsabilité du gouvernement sur un texte qui permet à celui-ci de forcer son adoption, sauf si l'Assemblée nationale est prête à le renverser (on parle de l'utilisation du "49.3").

Pour le moment, nous sommes davantage dans un jeu de poker, avec des frondeurs qui donnent de la voix pour s’affirmer dans la majorité et aux yeux des français pour faire changer la ligne politique et un gouvernement qui menace de la dissolution.

Bertrand Rothé : La possibilité d’une trop forte dissidence au PS me semble peu probable. Les députés socialistes savent qu’ils ont peu de chances d’être réélus même s’ils s’opposent au gouvernement. Les électeurs ne trieront pas. La rupture avec le gouvernement serait suicidaire pour leur mandat. J’ai l’intuition qu’aucun d’entre eux n’est assez fort, ni assez convaincu pour accélérer le mouvement en forçant Hollande à la dissolution. N’est pas Chevènement qui veut, et encore moins de Gaulle. On peut le regretter, mais je ne vois aucun député qui souhaite  mettre en jeu sa carrière politique. Cette hypothèse donne malheureusement raison aux tenants de la théorie des choix publics.

Je sais même que pour certains députés la fronde était intéressée. C’était le moyen d’accéder au gouvernement. Certains frondeurs se rêvaient des carrières à la Edouard Martin, le virulent syndical CFDT de Mittal, acheté contre un siège de député européen. L’histoire leur donne raison, il y a deux jours le contestataire Mathias Fekl entre au gouvernement alors qu’il affirmait il y a peu que  le "social-libéralisme est dépassé".

Dérapage des taux entraînant une intervention du FMI

Bertrand Rothé : Je n’en crois rien. Alors que les taux devraient augmenter, ils baissent. C’est une des conséquences de la crise, l’épargne augmente. On se rapproche de taux négatifs. Aujourd’hui c’est la déflation qui pointe le bout de son nez. Le système ayant été conçu pour lutter contre l’inflation, ce sera une véritable révolution. L’autre risque systémique est une décennie sans croissance. Mais là encore le fruit n’est pas mur.

Un départ de Manuel Valls

Jérôme Sainte-Marie : Il ne s'agit pas de se placer dans la tête du Premier ministre, ni de faire de la politique fiction. Plutôt de voir que Manuel Valls, jeune chef de gouvernement, construit actuellement une cohérence politique. A cause de cela, il aura du mal à assumer un recul significatif sur l'orientation réformatrice adoptée. Il s'est acquis un certain crédit parmi les chefs d'entreprises, les professions libérales et les cadres supérieurs du privé, au moins relativement au reste du personnel socialiste, il n'entend pas dilapider ce capital politique. L'exemple de son premier mentor, Michel Rocard, est là pour lui indiquer les risques de sa position actuelle. Par ailleurs, pèsera nécessairement sur son choix de rester ou non à Matignon l'anticipation de 2017 : François Hollande sera-t-il candidat ? Y aura-t-il des primaires ? Et en ce cas est- il concevable d'y participer sans renoncer à sa charge institutionnelle ? On notera que l'articulation des deux éléments serait aisée à mettre en scène.

Bruno Cautrès : Un départ de Manuel Valls signifierait la fin de l’aventure de Hollande, leur destin à présent est lié. Si F. Hollande n’est pas en mesure de se présenter en 2017, ce qui pourrait arriver si le chômage n’est pas réglé et/ou si la crise de leadership de la présidence Hollande s’aggrave encore, il ne serait pas surprenant de voir M. Valls très tenté par une candidature. Mais serait-il choisi par le "peuple de la gauche" si une primaire est organisée ? Cela ne semble pas évident pour le moment.

Sous la Vème république, ce sont généralement les Présidents qui démettent les premiers ministres, comme récemment avec Jean-Marc Ayrault, ou bien avant avec Jean-Pierre Raffarin. Mais il peut effectivement y avoir des exceptions, comme lorsque Jacques Chirac a annoncé son retrait (en 1976) sous Valéry Giscard d’Estaing en expliquant que le président ne lui donnait pas les moyens de mener une politique gouvernementale cohérente.  Pour le moment, la meilleure stratégie pour M. Valls est sans doute de continuer à affirmer sa stature exécutive : un premier ministre qui sait prendre des coups et trancher dans le vif, qui assume ses choix et qui parvient à recoller les morceaux à terme au sein du PS et en vue de 2017 quel que soit le candidat. Une stratégie qui n’est pas garantie d’être gagnante tant la fracture au sein de la gauche semble grande. Rappelons quand même que le PS a déjà fait face à des fractures de grande ampleur au moins aussi importante, par exemple le tournant de la rigueur en 1983.

Bertrand Rothé : Manuel Valls mène la politique qu’il souhaitait, le problème n’est donc pas là. Cependant aujourd’hui le désamour des Français pour le président de la République est tel que le Premier ministre, ce jeune et ambitieux Sarkozy de centre droite, ne voudra pas couler avec le navire. Ne s’encombrant pas de scrupules, il est possible qu’il se désolidarise de François Hollande. En bon homme de com’ qu’il est, son départ serait conditionné par les chiffres de la popularité. Il a des convictions, mais son sens tactique pourrait tout à fait le conduire à sauter du navire. Avec 13% de popularité pour François Hollande, on se rapproche à l’évidence du seuil incompressible, et donc de rupture… Ses conseils en communication doivent certainement le sensibiliser.

Le départ de Manuel Valls ne sera en tout cas pas lié à la bonne ou mauvaise exécution du Pacte de responsabilité. En effet tout libéral – ce que je ne suis pas – vous dira que ce Pacte consiste à rendre aux entreprises ce qu’on leur a pris les années précédentes. On est loin du choc de compétitivité espéré. Ils savent que pour regagner de la compétitive, face à la Chine, il va falloir faire plus, démanteler la protection sociale, casser le smic. Le combat risque d’être long.

Un conflit social qui dégénère

Jérôme Sainte-Marie : C'est l'hypothèse la plus simple mais non la plus probable. Évidemment, un gouvernement aussi affaibli dans l'opinion serait facilement emporté par un blocage social du type 1995. Et l'on sait le mécontentement des salariés. Mais le nombre de jours perdus pour fait de grève est aujourd'hui au plus bas. L'intensité même de la crise rend tout sacrifice de pouvoir d'achat et tout risque pour son emploi extrêmement difficile à envisager. Des lors un tel mouvement à plus de chances de se déclencher dans le public que dans le privé, ce qui atteindrait le pouvoir socialiste au cœur même de sa base électorale.

Bruno Cautrès : Le fait qu’on ait une opinion aujourd’hui assez désespérée vis-à-vis de la politique, avec un manque de confiance des français dans l’économie, ne se traduit pas nécessairement par des mobilisations. La CGT appelle en ce moment à de futures manifestations, ce qui peut en faire un bon test pour ce scénario. Jusqu'à présent, on a surtout pu voir des conflits sporadiques, comme avec les "bonnets rouges", mais je ne vois pas de conflit de type 1995. Par contre le seuil d’alerte est au maximum au niveau des tensions sociales, et le gouvernement n’a plus beaucoup de marge de manouvre pour lancer des réformes structurelles. L’accélération des réformes portera sans doute sur des sujets plus consensuels, mais pas sur le reste, il faudra beaucoup de talent au premier ministre pour montrer à la fois une accélération de certaines réformes tant en montrant qu’il est ouvert au dialogue avec sa majorité. Certes, il ne manque pas d’énergie, mais les tensions de toute part semblent au maximum. Une période de stabilisation de l’agenda politique de l’exécutif, qui semble bien nécessaire aujourd’hui, est-elle compatible avec l’accélération annoncée en août ?

Bertrand Rothé : Si un conflit social dégénère, il y a fort à parier que François Hollande sera soutenu par la droite et les élites. Je prends les paris qu’ils feront tout de suite corps. La lutte des classes serait alors déclarée. On pourrait alors s’attendre à une déflagration, à un conflit majeur, mais nous n’y sommes pas encore.

Propos recueillis par Gilles Boutin

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !