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Pourquoi il est si difficile 
de s’attaquer à une niche 
fiscale inefficace
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Niches fiscales: un problème politique

D'un point de vue économique, beaucoup de niches fiscales mériteraient d'être réformées. Mais d'un point de vue politique, difficile de trancher sans contrarier certains intérêts catégoriels.

Manon  Sieraczek

Manon Sieraczek

Manon Sieraczek est avocate fiscaliste, docteur en droit. Elle est aussi présidente de l’association Trésor AcadémieElle organise lundi prochain matin à l'Assemblée nationale en commission des finances un Forum débat sur la thématique de l'impôt heureux  ou comment réconcilier les Français avec l'impôt, au cours duquel les représentants de chacun des candidats à la Présidentielle seront amenés à répondre à 10 questions fiscales cruciales.

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Les désormais fameuses « niches » fiscales reviennent régulièrement sur le devant de la scène dans le débat électoral en cours. Trop nombreuses, trop coûteuses, trop injustes : les programmes de tous bords s’accordent à dire qu’il y a un problème de ce côté-là de la fiscalité française. Ils y voient un moyen en théorie « simple » et « rapide » pour alléger la pression sur les finances de l’Etat.

Les mesures concrètes derrières ces intentions sont plus difficiles à cerner car la « niche » est un objet fiscal assez mal identifié par le grand public qui réussit en outre à s’attirer des accusations contraires. L’élu qui veut en instaurer une nouvelle est forcément un démagogue aux visées bassement électoralistes ; celui qui veut en supprimer une aussi… mais il s’adresse à une autre clientèle !

Pour y voir clair face à ce double assaut démagogique, un peu de pédagogie s’impose :

Qu’est-ce qu’une « niche » fiscale ?

C’est le petit nom donné à la « dépense fiscale », par comparaison avec la « dépense budgétaire ». Avec cette dernière, l’Etat ouvre son porte-monnaie ; par la première, l’Etat mesure un manque à gagner. Ainsi, dans le jargon des finances publiques, une dépense fiscale est tout simplement un impôt que l’Etat renonce à percevoir.

Au même titre que la dépense budgétaire, la dépense fiscale est un instrument de la politique de l’Etat. Il lui permet de poursuivre différents buts : soutien à un territoire ou à un secteur économique (par la réorientation de l’épargne, par exemple), incitation à l’embauche (allègement des cotisations sociales…), financement de la solidarité (déduction de l’impôt sur le revenu des dons aux associations…), etc.

L’un des principaux intérêts techniques de la dépense fiscale est la relative légèreté de son dispositif comparé à la dépense budgétaire : pour attribuer et verser une subvention, il faut un « guichet », et donc des moyens humains et matériels souvent mobilisés ailleurs et déjà fort sollicités. Alors que, en schématisant, une « niche » fiscale ‑ il suffit de la décréter… et le contribuable se débrouille avec sa feuille d’impôt !

En ce qui concerne ses bénéficiaires, la dépense fiscale est on ne peut plus variée. Elle n’est ni un cadeau systématique aux plus riches, ni une manne pour de prétendus assistés. Ménages modestes ou aisés, grandes ou petites entreprises, territoires ou associations : tout le monde, ou presque, profite à un moment ou à un autre de ce type de dispositifs. Certains concernent des millions de Français comme l’abattement de 10% sur le montant des pensions et retraites ou la prime pour l’emploi ; d’autres sont extrêmement ciblés, comme la réduction d’impôt accordée pour souscription au capital des sociétés de presse.

Un instructif rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) recensait en août 2011 quelques 538 « niches » : 470 dites « fiscales » (réductions, exonérations et crédits d’impôt) et 68 dites « sociales » (allègement de cotisations, taux réduits de CSG), pour un « manque à gagner » total de 104 milliards €.

Et le nombre des niches n’a cessé d’augmenter au cours de la dernière décennie : 253 nouvelles dépenses fiscales créées entre 2000 et 2010 – avec un pic de 38 en 2005 et 44 en 2006. On en comptait encore 37 nouvelles en 2009, et seulement 3 en 2010 – crise mondiale oblige ?

Cette inflation est un des effets pervers de l’instrument : en période de crise budgétaire, quand il devient difficile de créer de nouvelles subventions – trop voyantes parce qu’impliquant une ligne de plus dans les comptes de l’Etat ‑, la « niche » les remplace avantageusement et discrètement. Et les gouvernements tendent à en user et abuser pour intervenir dans la sphère économique et sociale sans avoir à ouvrir leur porte-monnaie sous l’œil réprobateur de Bruxelles… Le déficit public ne s’en porte par mieux, mais les apparences sont sauves ! 

Pour ou contre les « niches » fiscales ?

C’est encore le rapport de l’IGF d’août 2011 qui apporte quelques pistes de réponse. Les comptables experts de la nation se sont livrés à un exercice d’évaluation de ces centaines de mesures fiscales, prises une à une et examinées en fonction de leur efficacité (capacité à atteindre l’objectif ou l’effet fixé : création d’emploi, investissement dans tel ou tel secteur…) ainsi que de leur efficience (« coût » de la mesure rapporté à son impact économique ou social).

Conclusion de l’IGF ? Sur 104 milliards € de « niches », environ 15 milliards sont jugés « peu efficientes » et 38 milliards « inefficaces ». Soit un total de 53 milliards € ‑ grosso modo le montant des intérêts payés chaque année sur la dette publique…Quelques 54 mesures à destinations des ménages et 30 en faveur des entreprises ont un intérêt économique et social à peu près nul. Parmi les plus coûteuses : l’abattement de 10% sur les pensions et retraites (2,7 Mds €) et le crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt contractés pour l’acquisition de l’habitation principale (1,9 Mds €).

Si ces calculs méritent – de l’aveu même de l’IGF – d’être approfondis et mis en rapport avec l’ensemble de la politique fiscale française, ils ont le mérite de mettre en lumière qu’il existe de bonnes et de mauvaises « niches ». Les premières remplissent leur rôle économique et social, comme le crédit d’impôt recherche qui a donné un coup de fouet à l’investissement des entreprises françaises dans l’innovation.

Les secondes trahissent les trois grands maux de la fiscalité française : l’illisibilité (253 niches créée en 10 ans !), l’inefficacité (se priver de recettes sans impact social clair) et l’absence d’équité. Alors que l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme consacre la progressivité de l’impôt, c’est sur ce dernier point que le débat au sujet des « niches » est le plus vif. Quelles qu’aient été les intentions de leurs promoteurs, certaines dépenses fiscales ont eu pour conséquence de renforcer l’inégalité face à l’impôt : par exemple, le crédit d’impôt au titre des intérêts d’emprunts contractés pour l’acquisition ou la construction de l’habitation principale (abandonné depuis) – un avantage qui croissait en même temps que la valeur du bien acquis sans ouvrir significativement l’accession à la propriété des foyers modestes – ou bien encore les exonérations sur les services à la personne, « consommées » aux deux tiers par les 10% des foyers les plus riches.

Surtout, pendant longtemps, de grands contribuables capables de rémunérer des experts en « niches » fiscales ont eu la possibilité d’additionner les dispositifs et d’échapper, pour certains, légalement et totalement à l’impôt. Il a fallu « l’union sacrée » entre le rapporteur général du Budget Gilles Carrez (UMP), et le président de la commission des finances d’alors, Didier Migaud (PS), pour que l’Assemblée décide de plafonner le bénéfice global des « niches » à 25 000 € et 10% du revenu imposable. Une limite ramenée cette année à 18 000 € et 4% du revenu imposable.

En 2012, le budget devrait encore compter 491 « niches ». L’effort doit être salué mais le « coup de rabot » est encore trop léger. Ni « simple », ni « rapide », le ménage dans les multiples dépenses fiscales demandera du temps et une volonté sans faille de la part de nos élus.

Pourquoi est-il si difficile de supprimer les dépenses fiscales dont l’inefficacité a été démontrée ?

Une blague de parlementaires veut que derrière chaque niche se cache un chien prêt à mordre si l’on touche à son os… Dans les aboiements de ces molosses, on discerne à peu près toujours la même mise en garde : supprimer ou raboter une niche, ce n’est pas mettre fin à un privilège, c’est freiner  la croissance, voire étouffer l’embauche.

Là encore, la démagogie l’emporte sur la nécessaire pédagogie fiscale et la transparence. Car, oui, il faut le reconnaître franchement : la suppression de certains dispositifs peut avoir un effet négatif immédiat sur le PIB et l’emploi.

Mais ce qu’il faut expliquer en même temps à nos concitoyens, c’est l’enjeu à long terme : la croissance financée par une augmentation proportionnelle du déficit public est une illusion.

On n’aura d’autre choix que de contrarier des situations particulières et des intérêts catégoriels pour rétablir les finances publiques, et retrouver ensuite des marges de manœuvre suffisantes pour mener des politiques d’incitation économique ou de solidarité réellement efficaces et socialement utiles.

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