Pourquoi il est si difficile de comprendre le racisme quand on est blanc<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Difficile de comprendre le racisme quand on est blanc
Difficile de comprendre le racisme quand on est blanc
©Reuters

Point de vue

Le dernier rapport annuel de la Commission nationale consultative des Droits de l'homme montre que, malgré les attentats de janvier, la tolérance en France est en progression. Pourtant, pour cette population blanche largement majoritaire, il est parfois difficile d'appréhender les vexations dont peuvent être victimes les autres communautés.

Patrick Lozès

Patrick Lozès

Patrick Lozès a fondé le CRAN (Conseil représentatif des associations noires) et en était le président jusqu'en mai 2011. Diplômé de l'Ecole Supérieure de Commerce de Paris, il est l'auteur de Les noirs sont-ils des Français à part entière ? (Larousse, 2009).

Voir la bio »
Tarik Yildiz

Tarik Yildiz

Tarik Yildiz est est sociologue et président de l'Institut de Recherche sur les Populations et pays Arabo-Musulmans (IRPAM). Il est également essayiste et notamment l'auteur de Qui sont-ils ? Enquête sur les jeunes musulmans de France (Editions du Toucan/L'Artilleur) et de Le racisme anti-blanc (Editions du Puits de Roulle). 

Voir la bio »

Atlantico : Quelles sont les choses, les idées, les remarques qu'un Blanc ne peut pas comprendre lorsqu'il s'agit de racisme, et comment l'expliquer ?

Patrick Lozès : Du point de vue biologique, les races n'existent pas et c’est très bien ainsi. La race est une construction imaginaire mais est-elle pour autant une illusion en tant que catégorie sociale ? La couleur de peau existe en tant que catégorie et c’est même une catégorie d'analyse sociale pertinente comme le genre.

Parce qu’ils sont minoritaires en France, les Noirs apprennent très tôt dans leur existence qu'ils sont considérés comme tels. On peut transiger avec certaines assignations, il est plus difficile de transiger avec la couleur de peau qui vous est assignée dans le regard de votre voisin.

Etre Blanc en France n'est pas une question mais une évidence à laquelle on ne pense même pas. Le groupe majoritaire est souvent aveugle à sa propre couleur pensée comme universelle. Le groupe majoritaire n’est pas sujet aux mêmes regards, aux mêmes questionnements, voire aux mêmes suspicions ou vexations que les groupes minoritaires. Il est tout à fait normal que certaines situations échappent au groupe qui n’y est pas confronté.

Comment les populations discriminées peuvent-elles le vivre, et que les blancs ne peuvent matériellement pas comprendre ?

​Patrick Lozès : Parce qu’ils sont majoritaires, les Blancs en France ont, en général, peu ou pas de Noirs dans leurs cercles relationnels, ce qui les rend aveugles à ces petits détails qui sont le quotidien des populations minoritaires :

  • Vous sortez de chez vous, la première dame qui débouche sur le trottoir serre son sac contre elle au moment où vous la croisez.
  • Vous entrez dans une bouche de métro. Vous apercevez une autre dame, chargée d’une énorme valise. Vous lui proposez de l’aider à descendre son bagage dans l’escalier. Elle refuse: vous pourriez vous sauver avec sa valise.
  • Le contrôleur, qui survolait d’un regard distrait les titres de transport, sort le votre de son étui et le scrute sous toutes les coutures.
  • Vous entrez dans un taxi. A la fin de la course, vous avez un différend avec le chauffeur, qui a emprunté un itinéraire trop long. Il vous répond qu’il savait que cela se passerait mal, parce qu’il se dispute avec tous les passagers "comme vous".
  • Vous avez rendez-vous pour un entretien d’embauche. Le recruteur vous écoute distraitement.
  • Vous entrez dans un centre commercial, le vigile ne vous quitte pas du regard et vous suit dans les rayons.

La perception de la lutte contre le racisme est-elle la même ? 

​Patrick Lozès : Il n’est pas nécessaire d’être une femme pour lutter contre le sexisme ou d’être juif pour lutter contre l’antisémitisme.

Le modèle républicain s'est construit sur une citoyenneté, théoriquement indifférente à la couleur de couleur de peau, ce qui a pour conséquence qu’évoquer la couleur de peau apparaît comme un épouvantail idéologique ou une incongruité politique.  Il y a donc peu d’analyses, peu d’études sur les minorités. A cette aune, on craint que parler de "Noirs" ne contribue à valider la notion de "race noire". Les Noirs de France sont donc invisibles en tant que groupe social et ne sont pas non plus un sujet d’étude pour les universitaires.
On peut penser que l’absence d’études ou de données sur les minorités a un impact négatif sur la prise en compte de la nécessité de lutter contre le racisme et les discriminations. 

Existe-t-il également des intentions qui au départ vont contre le racisme, mais qui se révèlent finalement néfastes ?

Tarik Yildiz :Effectivement, il y a quelque chose de très récurrent, mais qui est moins lié à la couleur de peau qu'au statut de la population dont on est issu : lorsque des personnes issues de ces communanutés réalisent quelque chose de remarquable, c'est-à-dire dont on parle, elles sont, comme par réflexe, identifiées comme des représentants de la minorité dont elles viennent. A l'inverse, celui ou celle qui fait partie du groupe majoritaire ne représentera jamais personne d'autre que lui-même, il est noyé dans la masse.

Il est vrai qu'en France notamment, on le voit chez les sportifs, les acteurs etc, il y a tout de suite une réflexion qui fait référence au groupe minoritaire auquel il appartient. Plusieurs études évoquent ce phénomène de focus sur la particularité ethnique ou d'appartenance. Mais cela a aussi été fait dans d'autres contextes, comme en Chine où c'est exactement la même-chose. C'est davantage une logique minorité-majorité que de couleur de peau. 

De manière générale en France, on considère qu'il y a les dominés d'une part, et les dominants de l'autre. Dans l'inconscient collectif, quelqu'un qui appartient à une minorité ne peut pas être un dominant. Ainsi, pour certains, un Noir ne peut pas être raciste, ou un Noir est déresponsabilisé de ses actes répréhensibles. Et il est très pesant pour une partie des minorités issues de l'immigration de le constater. J'œuvre dans certains quartiers sensibles, et de la même manière, certains d'entre eux ont un problème avec la dénonciation systématique du racisme de leurs semblables –notamment ceux en manque d'autorité ou de repères-, parfois en étant de mauvaise foi. C'est quelque chose qui gêne profondément au sein même des minorités.

Il y a un sentiment général de non-dit autour de ces questions. On peut trouver une explication dans la posture des médias, qui préfèrent utiliser des euphémismes plutôt que d'évoquer les problèmes comme ils sont. Le développement de l'islam radical dans les cités n'était quasiment pas abordé avant les attentats de janvier, et considéré comme de la stigmatisation. Il en découle un effet dévastateur : en voulant les protéger, l'ensemble de la population considère qu'il y a une différence de traitement, deux poids deux mesures.

Quelles sont, selon vous, les dérives de cette difficulté à comprendre le racisme du point de vue des minorités en France ?

​Patrick Lozès : Les minorités sujettes à des traitements inégalitaires spécifiques qui ne sont pas pris en compte politiquement, socialement ou juridiquement ont trop souvent le sentiment que les difficultés qui les concernent sont minimisées ou niées. Ce n’est pas toujours vrai.

L’histoire de France regorge d’exemples de discriminations, ou de traitements inégalitaires, qui ont mis du temps à être connus, reconnus et combattus. Très souvent, lorsqu’on arrive à montrer des discriminations ou des traitements inégalitaires à la société française, la République, et c’est tout à son honneur, se mobilise pour proposer des solutions. Encore faut-il trouver le moyen de montrer au grand public ces traitements inégalitaires sans tomber dans la provocation, les demandes exagérées et contreproductives ou de s’enfermer dans la victimisation.

Qu'est ce que tout ceci permet d'expliquer dans le débat public ?

Patrick Lozès :La différence de perception du racisme et des discriminations par les populations minoritaires et celles majoritaires explique sans doute l’incompréhension qui subsiste dans le débat public médiatique sur ces questions.

Les militants de l’antiracisme et de la lutte contre les discriminations gagneraient sans doute à analyser plus profondément ces différences de perception avant de crier au racisme à tout bout de champ.

S’appuyer sur les valeurs françaises, sur l’histoire de France, sur les apports des minorités à la société française d’hier, d’aujourd’hui et de demain est sans doute la meilleure manière de mobiliser la société française contre le racisme et les discriminations. Cela contribuerait par ailleurs à pacifier le débat public. Ce serait plus efficace que la guerre contre la France et sa population majoritaire dans laquelle certains s’engagent. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !