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Pourquoi Emmanuel Macron a plus à perdre qu'à gagner à vouloir respecter l'objectif des 3% de déficit (même du point de vue de ceux qui sont attachés à l'assainissement des comptes publics français)
©BERTRAND GUAY / POOL / AFP

Crise sur les budgets de l'armée

Pour cause de strangulation budgétaire, le chef d'Etat-major des Armées quitte son poste car il veut alerter la Nation des risques encourus. Il y a derrière ce coup d'éclat deux ou trois vraies questions budgétaires dont il est urgent de prendre conscience.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Le Général Pierre de Villiers a présenté sa démission qui a été acceptée par le Chef des Armées. Celui-ci vient de faire savoir que le Général François Lecointre succédera au démissionnaire.

Collectivement nous ne pouvons que souhaiter que cette nomination marque la fin de la tension qui a existé, de manière clairement publique, au sommet de l'Etat.

1) Un climat durablement dégradé ?

S'il devait y avoir poursuite d'un climat dégradé alors que nous sommes dans une logique de guerre ( attentats intérieurs, opérations extérieures ), cela voudrait dire que les Armées seraient placées dans une forme de crise évolutive aussi regrettable qu'insondable en sa dimension réelle.Pour parler net, on sait comment ce type de dérèglement se provoque mais nul ne peut prétendre avoir la solution ( car elle ne saurait être unique ) à ce qui est au départ un conflit de légitimité. Un hiatus entre la technique reconnue d'un officier et les pouvoirs conférés à Emmanuel Macron par la Constitution.

2) Le droit au retrait

L'ouvrier a le droit, selon les termes du Code du travail, au retrait face à une machine qu'il estime dangereuse. Le Général de Villiers a agi selon la même logique : il juge dangereuse la restriction budgétaire qui affecte les Armées et y voit une strangulation incompatible avec le niveau requis de notre sécurité collective.

Laissons de côté les paramètres humains de ce qui s'apparente à un clash et focalisons-nous sur le sujet budgétaire.

3) Une crise pour moins d'un milliard ?

Premier point d'analyse, la France s'offre une forte secousse au sein des Armées pour un peu moins de 850 millions rapportés à près de 32 milliards de budget des Armées et près de 420 milliards pour l'Etat.

Le jeu ( qui ne saurait en être un ) en vaut-il la chandelle ? Evidemment non.

Reconduit dans ses fonctions le 1er juillet, le premier des officiers claque la porte pour une somme qui n'est pas proportionnelle au trouble qu'il sait qu'il va provoquer. Le malaise dépasse donc les comptes d'apothicaire et pose la question de l'orientation de notre défense qui est en attente d'un nouveau Livre blanc.

4) Le marécage budgétaire

Deuxième point d'analyse, il est toujours aussi curieux de voir comment notre Etat est géré. Ainsi, le surcoût des Opex est – sous François Hollande – imputé à l'ensemble des ministères : les Armées ne prenant que 20% de la charge. Drôle de conception de la rectitude budgétaire et de la lisibilité des comptes publics. Sur instruction récente et opportune, il est mis fin à ce " dispatching " curieux.

Idem, tous les protagonistes du dossier savent que le coût des Opex est minoré dans le projet de loi de finances. A meilleure preuve, Christian Eckert a été contraint de prendre – à plusieurs reprises - ce que l'on nomme un " décret d'avance " pour boucler le tout. (http://www.senat.fr/commission/fin/decret_avance/decret_avance.html      )

5) Les aléas de la commande publique

Selon un document fort étayé de l'Association Nationale des Auditeurs jeunes de l'Institut des Hautes Etudes de Défense nationale  (http://www.anaj-ihedn.org/WordPress3/wp-content/uploads/2014/04/ANAJ-IHEDN-LMP-Industrie-2014.pdf

     ) il ressort une information déjà connue mais trop souvent oubliée : les hoquets, les différés de la commande publique sont la calamité de la rentabilité et du coût complet des programmes d'armement. Ceci est vrai dans nombre de cas y compris l'emblématique Rafale notamment dans sa configuration marine.

" Il faut bien comprendre qu’un programme de recherche, une filière industrielle se travaille sur plusieurs décennies. Une instabilité des budgets et/ou des commandes, entrainent obligatoirement des surcoûts et une hausse des prix unitaires du fait de moindre économie d’échelle. Nous oublions trop souvent que plus les entreprises produisent d’avions dans une série, plus elles amortissent les coûts fixes, qui sont d’autant plus importants lorsque les produits contiennent une forte teneur en hautes technologies. En résumé, réduire les commandes revient à faire monter les prix."

6) Revisiter les techniques de management

Puis, loin du rabot brutal car indiscriminé, un budget suppose de rencontrer des méthodes de management appropriées. Les exemples foisonnent.

" Ensuite, ce que peu de personnes savent et imaginent, c’est que si toute l’Armée française « voulait se mettre en marche », cela serait impossible. En effet, le Livre blanc fixe un contrat opérationnel. Cela constitue un cadre militaire bien déterminé en termes d’effectifs et de moyens pour un engagement dans une situation opérationnelle prédéfinie. Si l’objectif donné aux Armées pour un besoin sur un théâtre d’opération est de, par exemple, 15 000 hommes avec 100 camions, le jour J, vous n’aurez que cela. Et ce même si le ministère comprend quatre fois plus d’effectifs disponibles. Cela s’appelle entre autre la Politique d’Emploi et de Gestion des Parcs (PEGP). Objectif, optimiser au maximum, ce qui entraine un travail en flux tendu dans un domaine où les choses ne peuvent fonctionner durablement comme tel."

A la strangulation budgétaire vient donc se greffer les conditions tangibles d'utilisation des moyens qui demeurent perfectibles : voilà un défi pour le haut Commandement.

7) "Sur le fil d'une rupture capacitaire ? "

Ce titre figure dans une des sections du rapport parlementaire d'octobre 2002 présenté par Gilbert Meyer  (    http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i0328.asp ). Il y a donc 15 ans que " tout le monde sait " qu'il y a un risque de saturation de nos moyens et des questions épineuses en matière d'entretien des matériels. Quinze ans !

François Mitterrand avaient surnommé " les dividendes de la Paix " ( post 1989 ) le début de la réduction des budgets militaires.

Hors inflation, les Armées sont à peine au niveau de 1982 alors que les menaces sont multiples et précises. Est-ce pertinent et lucide ?

Bien sûr, on peut imaginer une quote-part de mutualisation européenne de notre effort de défense mais en attendant nous sommes bel et bien proche de l'impasse.

8) Retour vers le futur

La France a actuellement la capacité d'emprunter à 0,6% sur 30 ans avant que la hausse des taux ( 2019 ? ) ne survienne. Raisonnablement, je persiste à penser qu'un emprunt de 5 à 7 milliards d'euros nous aurait sorti du cadenas des dérapages du duo Hollande et Sapin pour boucler l'équation budgétaire 2017.

Et que ceci aurait été préférable à une césure avec cicatrices entre le président Macron et le Général Pierre de Villiers. L'élection a montré les fractures du pays, alors de grâce, restons soudés là où l'avenir suprême de la Nation nous impose l'unité.

Pendant ce temps-là, à Toulon, des ouvriers soudeurs s'occupent de la maintenance du Charles de Gaulle tandis que des officiers de la Marine savent que nous devrions disposer d'un deuxième PAN ( porte-avions nucléaire ) et rêvent silencieusement de voir le pays leur accorder les 20 milliards requis pour notre défense opérationnelle future.

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