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Pourquoi certaines professions doivent rester réglementées.
Pourquoi certaines professions doivent rester réglementées.
©Reuters

Jetées à la vindicte populaire

Avec un rapport de la Cour des comptes à l'appui, Arnaud Montebourg est parvenu à stigmatiser l'ensemble des professions réglementées. Pourtant, les "rentes de situation" ne sont pas si nombreuses et il ne faudrait pas oublier que l'encadrement de ces professions est d'intérêt public.

Hervé Chemouli

Hervé Chemouli

Hervé Chemouli est avocat au Barreau de Paris depuis 1978, titulaire d’une Maîtrise de droit des affaires et d’un DESS de Juriste d’Affaires mention fiscalité et gestion de l’Université de Paris II Assas. Il est également diplômé d’HEC Executive Management.

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Atlantico : Pharmaciens, avocats, greffiers, ambulanciers, charcutiers…  ces professions réglementées sont épinglées dans un rapport de la Cour des comptes, car manifestement trop rentables : "leur bénéfice net avant impôt représente 19% de leurs chiffres d'affaires, soir 2,4 fois la rentabilité constatée dans le reste de l'économie" (Les Echos). Peut-on rappeler ce qu'est une profession réglementée ?

Hervé Chemouli : Il s’agit d’une profession qui répond à une activité liée à une compétence, et donc à un diplôme, et qui est structurée par un ordre. Cela veut dire que cette profession est "maître de son tableau", elle organise son accès et présente les avantages de l’autonomie, de l’indépendance et également de la déontologie. Soit les facteurs qui cimentent la profession. Donc lorsqu’on parle de professions réglementées, on parle de professions évoluant dans le chiffre, le droit, mais également dans le domaine médical.

La liste officielle est très vaste : on tombe aussi bien sur notaire que sur charcutier ou coiffeur…

Dans le cadre des professions réglementées, ce qui est le plus important est le statut sur lequel elles sont bâties. Elles ont obligatoirement un code de déontologie, elles doivent répondre à un processus disciplinaire. Elles sont réglementées en ce qu’elles sont encadrées par des instances à la fois régionales et nationales qui permettent d’assurer une unité tant au niveau de l’intégration de ses membres que de la politique d’organisation et de gouvernance.

Les exemples que vous citez sont des artisans. Ce ne sont pas des professions que l’on peut qualifier de "réglementées", mais organisées autour de syndicats professionnels. Il n’existe pas, par exemple une réglementation de leur nombre, et elles ne sont pas fédérées autour d’une organisation. Elles dépendent de l’artisanat.

L’encadrement de certains professions comme celle d’avocat ou de médecin semble aller de soi, mais se justifie-t-il pour toutes les professions dites réglementées ?

Ce sont des organisations anciennes qui permettent une régulation des professionnels qui les composent. Normalement la réglementation ne se fait pas dans l’intérêt du personnel lui-même, mais dans celui du public, qui doit pouvoir d’adresser à des personnes compétentes et qui ont déjà été "répertoriées". Le fait d’avoir permis à tout un chacun de faire du droit (assureurs, banquiers, conseils en gestion de patrimoine, etc.), a pour conséquence un relatif chaos. Il est d’ailleurs de plus en plus demandé à ces professions qu’elles soient réglementées pour répondre au besoin de sécurité du grand public.

La liste des professions réglementées donnée par le gouvernement est donc excessive ?

Elle est excessive, effectivement. On parle de réglementation car un coiffeur doit être diplômé, et avoir effectué un stage de quelques semaines. En cela on peut dire que son activité est réglementée. Mais cette réglementation ne peut pas être comparée avec d’autres, du fait de la forte gradation en termes de responsabilité civile : tout dépend du degré de protection qu’ils offrent au public. La question de l’assurance est primordiale, car si on déréglemente à tout va, alors tout le monde pourra faire le même métier. Certains s’assureront avec de grosses garanties, d’autres avec des petites… Lors d’un sinistre important, on ne sera pas en mesure de savoir si le professionnel avait prévenu préalablement de l’étendue de ses garanties.

Dans une logique fictionnelle, quelles seraient les conséquences de l’effacement de ces réglementations ?

On rentrerait dans le règne du démarchage, de la sollicitation, de la publicité. On commercialiserait un certain nombre de ses professions, or tout l’intérêt que l’on trouve dans la structure forte de l’organisation, c’est la responsabilité civile professionnelle qui en découle. Tous ces professionnels réglementés ont des responsabilités extrêmement fortes, avec des compagnies d’assurances qui garantissent la technicité, les compétences, les règles d’absence de conflit d’intérêt... C’est pourquoi la réglementation est un garde-fou au n’importe quoi. On aboutirait à une jungle où n’importe qui ferait du droit, serait auxiliaire de santé…

Les professions de ce type sont-elles moins encadrées dans certains pays, et avec quelles conséquences ?

Aux Etats-Unis il n’existe pas des ordres mais une réglementation à l’échelon national. Là-bas les avocats sont réglementés au niveau national, tandis que les notaires ne le sont pas, car on estime que leurs activités sont annexes, ce qui n’est pas le cas en France. Dans un pays de droit écrit comme le nôtre, les réglementations se font d’une manière un peu plus rigide que dans les pays obéissant à la Common Law.

Stricto sensu, que faudrait-il garder dans la liste des professions réglementées ?

Il faut conserver tout ce qui est relatif à l’organisation de la Cité (le droit) et les activités de la médecine. Ensuite on peut s’interroger sur l’organisation interne : par exemple lorsque l’on sait que des greffiers du tribunal de commerce, qui sont en très petit nombre, ont un cursus identique à celui des professions libérales, mais qui ont en quelque sorte "privatisé" un greffe qui en lui-même revêt une obligation de service public, alors on peut s’interroger sur la nécessité ou non de maintenir une activité comme celle-là. Car ce que le gouvernement a voulu stigmatiser, ce sont les professions qui disposent d’une "rente de situation". Or il y en a très peu. La profession d’avocat par exemple, s’est fortement paupérisée. Le salaire médian est tout juste au-dessus du Smic. Pour certains barreaux, c’est une profession qui est obligée de gérer l’aide juridictionnelle comme un recours à un complément de revenus.

Quelles sont les professions bénéficiant de rentes de situation ?

A partir du moment où l’on compte 180 juridictions environ, à raison d’un greffier attaché à chaque tribunal de commerce, on peut se demander s’il est normal que cette profession libérale puisse organiser son activité en traitant de données publiques.

La question se pose également de savoir si l’on aurait intérêt à unifier les professions du droit, pour que les avocats puissent remplir certaines fonctions en principe dévolues aux notaires. La chose est extrêmement complexe.

Le gouvernement n’est-il pas excessif en pointant du doigt l’ensemble des professions réglementées ?

Sur la forme cela est excessif. Dans le cas des notaires, il faut savoir que ceux-ci entretiennent un maillage à la fois rural et régional qui est très important. D’autres professions pourraient-elles assurer ce maillage aujourd’hui ? Bien malin celui qui saura le dire. Les greffiers, pour leur part, ont mis au point des structures de renseignement dont aujourd’hui on ne pourrait pas se priver. Et lorsqu’on voit le nombre de réglementations qui sortent tous les jours, les contraintes, les normes, il faut pouvoir absorber tout cela. Les ordres sont à l’image de la France centralisée et administrative : il faut des instances encadrantes pour pouvoir l’assimiler.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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