Pourquoi ce n’est pas la première mondialisation que la France est en train de louper<!-- --> | Atlantico.fr
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Le monde a connu plusieurs mondialisations par le passé.
Le monde a connu plusieurs mondialisations par le passé.
©Reuters

Encore raté !

Au cours des trois précédentes mondialisations, la France a toujours peiné à s'imposer face aux autres puissances. Fort interventionnisme de l'Etat, rigidité des structures politiques, peur du changement... Autant de raisons qui expliquent le déclassement de la France dans la mondialisation en cours (et celles d'avant). Pourtant, le pays est doté de nombreux atouts pour renverser la tendance.

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik, né à Moscou, est professeur associé de géopolitique et responsable académique à l'ICN Business School Nancy - Metz. Ancien diplomate et speach writer à l'ambassade de Russie à Pairs, il est aussi conférencier international sur les enjeux clés de la globalisation au XXI siècle, et vient de publier sur Atlantico éditions son premier A-book : Reconnecter la France au monde - Globalisation, mode d'emploi. 

 

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Atlantico : Le monde a connu plusieurs mondialisations par le passé, dont celle entre le milieu du XVIIIème siècle et le milieu du XIXème siècle, et celle entre la fin du XIXème siècle et 1914. Dans les deux cas, la France s'est retrouvée déclassée face aux autres pays. Pour quelles raisons ? La France manquerait-elle de créativité et d'initiative ? 

Alexandre Melnik : Le phénomène de la mondialisation (que je préfère appeler la globalisation, en lui redonnant son sens initial, holistique, transdisciplinaire, à savoir – "nexus of people, places & ideas") signifie, en substance, un véritable changement  de monde, issu des innovations perturbatrices, qui explosent les notions de temps, d’espace et de relations humaines. Ces tournants de l’Histoire, notamment au milieu du XVIIIème siècle (invention de la machine à vapeur, de la locomotive, du "flying shuttle" - traduit approximativement en français comme les "métiers à tisser", - du concept du libre-échange dans le commerce mondial, de la Bourse, etc.) et à la fin du XIXème-début du XXème siècle (électricité, téléphone, télégraphe, automobile, etc.), exigent une totale remise en cause et dictent l’impératif de rebâtir ex-nihilo le futur.
Or la France, si l’on observe son comportement dès l’origine de son parcours civilisationnel jusqu’à nos jours, fut, en effet, le plus souvent perdue, face aux réalités du monde nouveau. Perdue et, par conséquent, perdante, bloquée dans les starting-blocks d’une nouvelle course à la performance globalisée. Imperméable aux nouvelles règles du jeu qui rythment la planète. Inhibée par la peur du lendemain. Comme si elle perdait sa boussole conceptuelle, en essayant, en vain, d’extrapoler ses certitudes d’une époque révolue sur le présent et sur l’avenir, dont le contour est incertain. En d’autres termes, le logiciel mental français, formaté par des siècles d’histoire de ce pays, ayant l’irrépressible tropisme messianique, peine à intégrer la nécessité – pourtant salutaire ! – d’un changement permanent, qui s’impose, sans exception aucune, à l’ensemble des pays, à l’époque de ces profondes transmutations de paradigmes globaux. Du coup, la France, qui ne s’adapte pas, perd confiance en elle-même et, au lieu de s’ouvrir  au monde et se projeter dans l’avenir (la seule démarche gagnante, en l’occurrence), elle se replie sur son périmètre national, dans une sorte de déni de réalité, en ressassant la nostalgie de son passé (démarche forcément perdante). Sans résister – un comble ! – à la tentation de continuer à donner des leçons aux autres, à ceux qui réussissent.

Mais le plus étonnant, dans ce contexte, est que la France ne manque jamais ni d’initiatives personnelles, ni de créativité potentielle ! La France n’est jamais meilleure que quand elle s’ouvre, résolument, au monde, en surmontant ses complexes et ses pesanteurs, qui ont tendance à la tirer vers le bas. La France devient réellement grande et attractive, quand elle laisse ses talents s’exprimer librement.

En résumé, l’histoire nous enseigne que c’est l’intégration dans les globalisations, et non la stérile velléité de « démondialisation »,  qui fait prospérer la France !

Comprendre les causes du déclassement de la France est essentiel pour pouvoir y remédier. Dans son nouvel A-book paru sur Atlantico éditions, l'ancien diplomate Alexandre Melnik se livre à une analyse de la situation en toute objectivité, afin de donner à la France les outils nécessaires pour enfin entrer dans la globalisation du XXIème siècle : 

Parce qu'il semble s'agir d'un phénomène récurrent, la France est-elle condamnée à ne pas apprendre de ses erreurs passées ? De quelle nature relève ce blocage ?

Contrairement à Samuel Huntington, je ne crois pas au fatalisme historique, qui "condamnerait" les pays, les peuples, les nations au statu quo immuable en raison de leurs ADN civilisationnels, ce qui anéantirait, selon lui, leur capacité à apprendre des erreurs du passé et, en fin de compte, les obligerait à retomber toujours dans les pièges.  Je pense, au contraire, qu’une volonté humaine, individuelle, clairement exprimée, interconnectée avec des millions d’autres, en synergie avec une permanente évolution de la société et soutenue par la stratégie adéquate des institutions étatiques, peut changer la donne.  

Il faut comprendre que le principal blocage français est d’ordre mental. Mais rien n’empêche, à mon avis, de désinhiber la France ! De la faire sortir de la peur du changement. A condition de la reconnecter au monde du XXIème siècle que ces élites ont du mal à comprendre, pour le moment. Il faut mettre fin en France à une race to the down ("course vers le bas", ndlr), qui s’apparente à une couette qui protège la médiocrité mais étouffe l’excellence (la triste quintessence du fameux « modèle français ») et relancer le pays, fort de ses atouts, dans la permanente race to the top, la seule possibilité d’épanouissement dans le monde d’aujourd’hui et de demain : un monde global, plat, numérique, décloisonné, interconnecté en permanence.

Quelle est la part de responsabilité de l'Etat français dans ce phénomène ?

L’Etat français, traditionnellement omniprésent, centralisateur et dominateur, en porte une lourde responsabilité. Face aux nouveaux impératifs de la globalisation du XXIème siècle, il devient de plus en plus lourd, obèse, contreproductif.

Certes, la France est un pays créatif, bouillonnant d’idées, mais son élan est souvent bridé par un Etat trop gourmand, qui, à force de vouloir tout régenter, devient le contraire de sa raison d’être, et, au lieu de servir la société, se sert lui-même et entretient ses propres collaborateurs. Résultat : les corporatismes se crispent, les blocages se raidissent, et un fossé se creuse entre un Etat, incapable d’évoluer, et une société qui change et qui s’adapte au monde, en pleine mutation.

Bref, l’Etat doit redevenir un allié, et non une entrave pour la société française. Un Etat – coach qui inspire et encadre l’innovation. La refondation de l’Etat est un des défis majeurs pour la France de demain.

Quels sont les atouts sur lesquels pourrait s'appuyer la France pour parvenir enfin à s'insérer dans la mondialisation ? Comment renverser la tendance actuelle ?

Les atouts français sont nombreux, et le potentiel de la France est hors du commun. Il est dû à sa situation géographique idéale, à sa démographie ascendante, à la brillance de ses meilleurs esprits, à son "sens de la mesure" inné, subtilement décrit par Milan Kundera, et à beaucoup d’autres facteurs, à l’origine du label France à travers le monde.

Je répète : dans le passé, la France fut souvent à la fine pointe de la modernité et de l’innovation, à résonance universelle, mais cette vraie créativité française ne relève pas, si l’on en croit les leçons historiques et contrairement aux idées reçues, d’une stratégie d’Etat, comme si c’était un plan quinquennal à l’époque soviétique, mais d’initiatives personnelles, de parcours dissidents, atypiques, marginaux, out of the box des Français qui ont osé « sortir du cadre », court-circuiter de multiples barrières dans leur pays d’origine et in fine faire rentrer la France dans l’avant-garde de l’Humanité : ainsi, René Descartes, un des fondateurs de la philosophie moderne, a passé la plupart de sa vie en dehors de la France ; la fondation de la Louisiane fut une initiative strictement privée de Cavelier de La Salle, jugée d’ailleurs « fort inutile » par Louis XV ; Pierre Charles L’Enfant, architecte principal de Washington D.C., hélas, ignoré dans son pays d’origine, est devenu un symbole de la France aux Etats-Unis, etc. La liste n’est pas exhaustive. Ce sont des génies français, mal connus chez eux, mais qui prouvent la formidable capacité des Français à s’accomplir dans un monde sans frontières, en transcendant le cadre national, trop étouffant pour eux.

En conclusion, pour renverser la tendance en cours qui fait de notre pays un "loser" de la globalisation, la France doit, en ce début du nouveau millénaire, réinitialiser son logiciel mental, confronté actuellement à un bug généralisé, ouvrir les yeux sur le nouvel environnement global et embrasser le monde, en libérant les énergies de sa société civile et de ses jeunes générations, pour entrer, enfin, dans le XXIème siècle, immensément riche d’opportunités nouvelles ! Cette ambition est réalisable, à condition que chaque Français, indépendamment de son âge et de son statut social, prenne conscience que la globalisation actuelle n’est pas forcément un danger, dont il doit se protéger à tout prix, mais aussi une chance qui lui ouvre un nouvel horizon.

Et n'oubliez pas : l'A-book d'Alexandre Melnik est désormais disponible parmi les nombreux autres titres d'Atlantico éditions

Reconnecter la France au monde - Globalisation, mode d'emploi

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