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La plaque de l'ambassade de France est visible à Kigali, le 25 novembre 2006.
La plaque de l'ambassade de France est visible à Kigali, le 25 novembre 2006.
©JOSE CENDON / AFP

Relations internationales

La diplomatie du Guépard, c’est l’agilité, l’imagination et la rapidité. Il nous faut privilégier un véritable multilatéralisme efficace.

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski est Diplomate européen, auteur de « Paradoxes des populismes européens » et du « Traité du Toasteur ».
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« Nous fûmes les Guépards, les Lions ; ceux qui nous remplaceront seront des chacals et des hyènes. » Le Guépard; Prince de Lampedusa.

Les relations internationales sont bien entrées dans un monde de carnassiers, où tous les coups sont permis, même entre alliés  (cf. AUKUS). Les traités sont bafoués, les promesses non tenues, la désinformation promue, les messages confidentiels publiés; injures, menaces, chantage, manipulations et violence deviennent la norme. Si cela vaut particulièrement pour nos rivaux, comme l’a récemment souligné Jean-Yves le Drian (« nos concurrents n’ont ni tabous, ni limites »), quelles conclusions diplomatiques en tirer ? Faut-il « tout changer, pour que tout redevienne comme avant » ?

Les illusions et faux-semblants de l’après-guerre froide sont révélés. Comme le pacte Briand Kellogg décrétant en 1928 « la guerre hors-la-loi », le Sommet pour la démocratie et la COP 26[1] , importants symboliquement, penchent vers un multilatéralisme déclaratoire, avec des engagements peu tenus et peu vérifiés, des mécanismes de contrôle et de sanctions légers, en déphasage avec les enjeux et l’urgence.  Le droit international public s’est aussi dégradé pour aboutir à des « Rules based international order » reflétant souvent le droit du plus fort.

Parallèlement, les armes diplomatiques se sont appauvries et se concentrent sur une méthode quasi unique, celle de sanctions cumulables, contournables, jamais réversibles. Visant à créer un cercle vertueux, elles s’enferrent souvent dans un cercle vicieux avec, en retour, répressions internes et agressions externes.  Après le communiqué de presse, la sanction est devenue la solution de facilité diplomatique par excellence.

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L’ambiguïté sur le terme de « valeurs » présentées comme universelles, alors qu’elles ne sont pas toujours respectées dans le monde occidental, donne des arguments aux opposants de la démocratie : elle leur permet de défendre des valeurs «traditionnelles », contre Wokisme, Cancel Culture et théorie du genre loin de faire l’unanimité dans les démocraties libérales.  « Responsabilité de protéger » et discours sur les valeurs sont souvent perçus comme une arrogance hypocrite et vacillante de l’Ouest. Sans abandonner nos principes de démocratie et de droits humains, il nous faut les promouvoir avec plus d’humilité et d’adresse et veiller à ce qu’ils soient respectés aussi dans l’Union européenne même, comme nous le faisons maintenant avec la Pologne la Hongrie.

Des tabous doivent être levés. Le modèle des relations Transatlantiques, avec complémentarité proclamée depuis plus de 30 ans entre l’OTAN et l’Europe de la défense, trouve clairement ses limites. Malgré les coups de semonce répétés du Trumpisme, du retrait de l’Afghanistan, et de l’AUKUS, nos partenaires craignent de hâter le désintérêt européen des États-Unis et se cramponnent a l’OTAN. Des progrès incontestables, même moindres que dans les années 2000, marquent l’Europe de la défense. Notre conception d’une « Europe puissance, » même réduite à « l’autonomie stratégique »,  est peu partagée, ce qui inciterait à avancer aussi sur un véritable pilier européen de l’Alliance. Évoquer une Armée européenne dans ce dernier cadre, aussi irréaliste que cela puisse paraître tant que l’Union n’aura pas une véritable politique extérieure commune, aurait cependant valeur mobilisatrice.

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Tôt ou tard cela devra aussi se traduire dans le domaine nucléaire européen, tabou par excellence. En 1995 le premier ministre français, Alain Juppé, avait proposé une simple « dissuasion concertée » entre Européens. La France reste la seule puissance nucléaire de l’Union. Des avancées doctrinales européennes, même modestes tant il  ne faut pas mettre en cause la dissuasion américaine, seraient souhaitables.

La diplomatie du Guépard, c’est l’agilité, l’imagination et la rapidité.

Pour dépasser le déclaratoire, il nous faut privilégier un véritable multilatéralisme efficace, à l’image de ce que nous avons impulsé au Forum de Paris pour la Paix : cette approche permet des progrès notables sur la taxation des profits des GAFA, les DTS, l’éducation, les vaccins, la cyber sécurité. Se posera très rapidement pour l’UE la double question, liée, de l’élargissement et du noyau dur. Prenons les devants sur le premier pour mieux obtenir le second. L’Europe doit enfin nous protéger. Pas de naïveté : si nous avons consenti à l’abandon relatif des frontières internes, c’est bien pour l’édification d’une frontière externe de l’Europe, avec, s’il le faut, des barbelés et des contrôles effectifs de Frontex pour surmonter des crises de type 2015 ou novembre 2021.

Les principes de réciprocité et d’équilibre doivent redevenir la norme. Le décalage entre les pratiques unilatérales britannico-américaines et  une forme d’angélisme européen n’est plus tenable. Il convient à cet égard de s’interroger sur la validité et l’efficacité du principe de « direction par l’exemple » (« to lead by example »), moralement satisfaisant pour des Nordiques, mais souvent coûteux et n’exerçant aucun effet d’entraînement sur des tiers récalcitrants.

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C’est la rencontre entre intérêts, ressources, et réalités qui détermine des priorités diplomatiques crédibles. Cette rencontre peut conduire à nous interroger sur la compatibilité d’objectifs déjà vastes comme l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, aires qui sont et resteront par essence prioritaires pour nous, avec  des ambitions Indo-Pacifique plus récentes. Une certaine dispersion de nos moyens et de nos priorités pourrait se faire au détriment de zones où nous avons des intérêts directs et où nous sommes défiés, davantage par la Russie que par la Chine.

Cela signifie aussi relâcher des contraintes lourdes institutionnelles ou d’alliances, en privilégiant des coalitions et des partenariats stratégiques adaptés, à l’instar des réunions quadrilatérales  impulsées par la France.

Les Britanniques, nos seuls rivaux en la matière, chassent en meute, dans un Corps diplomatique respecté et puissant. Ce regain diplomatique, ce sursaut ne pourra donc se faire sans un véritable Corps diplomatique rénové et aguerri, joignant compétences notamment linguistiques,  expérience du terrain et des filières, capacités de négociation et connaissance des civilisations.

Antoine CIBIRSKI, diplomate européen


[1]     En se fondant sur ses engagements, l’ONU prévoit un réchauffement de 2,7° au lieu des 1,5 annoncés en 2015  à Paris.

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