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Poudrière sociale : Emmanuel Macron pourra-t-il échapper au bras de fer à la Thatcher s’il veut poursuivre ses réformes ?
©IAN LANGSDON / POOL / AFP

Homme de fer

La réforme des retraites envisagée par Emmanuel Macron soulève des oppositions de plus en plus violentes, notamment de la part des syndicats, qui ont prévu une grève interprofessionnelle le 5 décembre prochain.

Maxime  Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l'immigration, l'intégration des populations d'origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l'intérieur.

Il commente l'actualité sur son blog  personnel

 

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Erwann  Tison

Erwann Tison

Erwann Tison est le directeur des études de l’Institut Sapiens. Macro-économiste de formation et diplômé de la faculté des sciences économiques et de gestion de Strasbourg, il intervient régulièrement dans les médias pour commenter les actualités liées au marché du travail et aux questions de formation. Il dirige les études de l’Institut Sapiens depuis décembre 2017.

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Atlantico : Alors que la CGT a appelé à la mobilisation générale dès le 24 septembre dernier, Emmanuel Macron va devoir prendre une décision sans nuance : ou bien tout laisser tomber, ou bien enclencher la phase Thatcher de son quinquennat, et faire preuve de fermeté jusqu'à ce que la loi passe en intégralité. En effet, au vu du contexte et de sa majorité, peut-il vraiment continuer à transiger en proposant des demies mesures, comme l'illustre son annonce de n'imposer la réforme qu'aux nouveaux arrivants sur le marché du travail ? 

Maxime Tandonnet : La situation semble assez compliquée en effet. Il y a trois options possibles pour le président et le gouvernement : la tentative de passage en force ; la négociation en quête d’un compromis ; le retrait pur et simple. Ce qui complique encore plus les choses est le calendrier : mars 2020, les élections municipales et 2022, les présidentielles et les législatives. La tentative de passage en force serait intrépide dans ce contexte. En 1995, M. Juppé, alors Premier ministre ne s’est pas remis d’avoir provoqué un blocage du pays pendant trois semaines. Les Français ne lui ont pas pardonné et deux ans plus tard, le sanctionnaient aux législatives.

Mais pour le président Macron, un abandon pur et simple de sa réforme serait presque aussi compromettant. Il achèverait de détruire le mythe du président Jupiter, inflexible, déterminé à transformer la France, déjà fortement ébranlé par les reculs successifs : Notre-Dame-des-Landes, taxe carbone et rigueur budgétaire face aux Gilets Jaunes. Reste la politique du « en même temps », la recherche d’un compromis qui tout en sauvegardant les apparences de la réforme, vide celle-ci de tout contenu dérangeant pour les syndicats. C’est l’option la plus probable. Encore faut-il, pour que cela fonctionne, éviter qu’un conflit ne vienne cristalliser les passions : une fois que la révolte irrationnelle est déclenchée, la négociation devient quasi impossible et la seule issue est la capitulation symbolique des autorités. 

Erwann Tison : Il faut distinguer les actes et les paroles. En termes de parole, Emmanuel Macron nous a fait du Thatcher ou du Juppé, en disant qu’il ne bougerait pas d’un iota. Mais dans les faits, quand on regarde toutes les négociations particulières qui ont été ouvertes avec les branches professionnelles et toutes les annonces du gouvernement, avec notamment cette idée d’une clause du grand-père généralisée qui aboutira au fait que la réforme sera totalement réalisée en 2062-2064, on se rend compte qu’il n’y a presque plus de réforme. Il y aura donc uniquement un combat sur le terrain politique ; sur le terrain économique, il n’y aura pas du tout de réforme des retraites malheureusement.

Ce n’est pas simplement une question de politique parce que l’année dernière, alors que le Président n’était pas au plus haut de sa popularité, il a tout de même fait la réforme de la SNCF ou la réforme du marché du travail par ordonnances. En réalité, avec cette réforme, il est face à un double calendrier : il y a une urgence économique à réformer et là les solutions simples sont connues (décaler l’âge de la retraite, augmenter les cotisations, baisser les pensions) mais aucune des trois solutions n’est politiquement acceptable, surtout en milieu de quinquennat ; mais il y a aussi son calendrier politique personnel : il a voulu se lancer dans une réforme ambitieuse, une réforme systémique, ce qu’il a eu raison de vouloir lancer. Mais il s’est embourbé dans un langage technocratique et technique, à tel point que la plupart des députés de sa majorité n’arrivaient plus à l’expliquer de manière concrète et facile aux Français. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement » : ce n’est plus le cas. Emmanuel Macron a pris son temps et a voulu négocier avec tout le monde. Tous en ont profité pour obtenir des avantages. Cette réforme n’est plus qu’un patchwork de revendications.

En tout état de cause, et sans base sociologique derrière lui, Emmanuel Macron a-t-il les capacités nécessaires pour agir comme Thatcher ? 

Maxime Tandonnet : Non, je ne crois pas du tout que les circonstances s’y prêtent. Mme Thatcher avait le soutien d’une puissante majorité conservatrice et d’une bonne partie de l’opinion britannique. Ce n’est pas le cas de M. Macron : la majorité LREM est composite, formée de personnalités venues pour l’essentiel du parti socialiste et reconverties opportunément. Rien ne prouve qu’elle fera bloc dans une épreuve de force. M. Macron est impopulaire avec les deux/tiers des Français qui ne lui font pas confiance (Ipsos) et l’opinion publique achèvera de le lâcher en rase campagne dès que ses conditions de vie seront affectées par un mouvement social.

La crise des Gilets Jaunes a beaucoup affaibli l’autorité du pouvoir politique qui a montré samedi après samedi, pendant 6 mois, les limites de sa capacité à maintenir l’ordre face à la violence. Le climat n’est pas du tout le même. Il y avait un patriotisme britannique vivace au début des années 1980 qui fait passer l’intérêt du pays avant le sort personnel de Mme Thatcher. Aujourd’hui en France, avec la sur-personnalisation de la politique, c’est l’intérêt personnel des dirigeants, la conservation des attributs du pouvoir, la réélection qui l’emportent sur tout le reste. On n’imagine pas, dans ces conditions, le pouvoir actuel français prendre le risque de l’affrontement et du chaos que prenait Mme Thatcher de son temps.

Alors qu'on avait cru pouvoir résoudre la crise des gilets jaunes à grands coups de consultations nationales, une telle approche est-elle envisageable aujourd'hui pour amadouer les syndicats ? 

Maxime Tandonnet : Cela paraît plus que douteux. Le grand débat a accompagné la sortie de la crise des Gilets Jaunes, mais le gouvernement avait déjà cédé sur leurs revendications en renonçant à la taxe carbone et en accordant des concessions budgétaires à hauteur de 15 milliards d’euros. De fait, le grand débat fut une opération médiatique de communication davantage qu’une négociation sur des sujets précis. D’ailleurs, après le retrait de la texte carbone et les concessions budgétaires, les  représentants des Gilets Jaunes n’avaient plus de revendication précise. Cette fois-ci, la situation est complétement différente. La protestation est animée par des syndicats professionnels. Elle se cristallise sur un objectif précis : la réforme des retraites. Mais au-delà de cette question, il faut bien voir que la société française est une poudrière.

Le fond du problème est la crise de légitimité de ses dirigeants politiques qui ont perdu la confiance du pays. Cela ne touche pas seulement les personnalités au pouvoir mais l’ensemble de la classe politique et le phénomène est de long terme. Nul ne semble en mesure de gouverner le pays, d’imposer une autorité et de restaurer une confiance. Dans ce contexte chaotique, le risque pour la paix civile est celui d’une conjonction des révoltes : syndicats, ronds-points de la France profonde, banlieues… La situation est explosive. 

On peut douter néanmoins du caractère libéral de cette réforme. A quoi ressemblerait une réforme vraiment libérale des retraites ? Est-elle envisageable dans le contexte politique actuel ?

Erwann Tison : Dès que quelque chose ne plaît pas aux syndicats, c’est forcément une chose libérale. En réalité, la réforme annoncée pendant la campagne présidentielle était une réforme vraiment libérale, parce qu’elle permettait à chaque actif de créer son propre parcours professionnel et de partir à la retraite à l’âge qu’il voulait. Il y avait cette idée de retraite à la carte. Avec la première version du texte qui a été discutée avec Delevoye, avec la suppression des régimes spéciaux, la volonté de créer des comptes notionnels et un âge pivot, on était encore un petit peu dans la logique libérale, mais il y avait quand même une idée de centralisation, par la suppression des différentes caisses autonomes, notamment celle des avocats. La dernière version du texte, on n’y comprend plus rien. On est parti d’une promesse libérale pour arriver à quelque chose d’étatiste.

La réforme libérale doit être liée à la capitalisation. Dans la loi Pacte, le gouvernement avait créé cette ouverture, avec la création du Plan Epargne Retraite qui permet à chaque actif de pouvoir cotiser lui-même pour sa retraite. Une dose de capitalisation serait la meilleure façon de rendre chaque actif de son propre parcours, même si la littérature montre que ce genre de réformes reste inégalitaire et soumise aux aléas du marché. Quand on voit néanmoins qu’on a eu un mal fou, ne serait-ce qu’à essayer de supprimer les régimes spéciaux, d’un point de vue politique et économique, on se rend compte qu’on est très loin de mettre en place ce genre de systèmes.

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