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Post Brexit : l'Union (européenne) fait la force. Ok... mais contre qui ?
©Reuters

Origine

En 1957 c’était notamment en “contre” que l’Union Européenne s’était définie, contre l’URSS. Aujourd’hui, l'UE doit se réinventer autour d'un projet commun. Celui-ci reste plutôt abstrait et difficile à déterminer.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Que ce soit à la signature du traité de Rome ou lors des grandes étapes de sa construction, l'Union européenne s'est construite à l'origine dans un contexte où existait un ennemi commun bien identifié, celui de l'URSS. Aujourd'hui, d'aucun s'accordent à dire que l'union a besoin de se réinventer autour d'un projet commun, qui semble bien difficile à identifier. A défaut de trouver un projet, un destin commun, les acteurs européens réussissent-ils aujourd'hui à voir quels sont ses adversaires ? Populisme aux Etats-Unis ou dans le monde, Turquie, dérives de la mondialisation, que peut-on dire de la capacité des Européens à les désigner ?

Edouard HussonL'histoire des origines de la construction européenne est beaucoup plus complexe que la légende qu'on nous ressort régulièrement. Premièrement, il faut inverser la description habituelle. Ce n'est pas parce qu'on a "fait l'Europe" qu'on a eu la paix sur le continent. C'est parce que la Deuxième Guerre mondiale avait définitivement éclairé les Européens sur la réalité de la guerre moderne qu'il a été possible de réaliser le projet d'Europe confédérale. L'idée de construction européenne avait déjà existé dans les années 1920 mais elle n'avait pas résisté aux rancoeurs issues de la Première Guerre mondiale ni aux crises économiques. Il faut se rappeler cela pour constater que l'esprit de paix a d'abord progressé, jusqu'au milieu des années 1970. Le sommet de l'esprit européen d'après-guerre est résumé par les Accords d'Helsinki, signés par l'Europe de l'Est et de l'Ouest et qui, créant la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (aujourd'hui Organisation, OSCE) aboutissent à la reconnaissance des frontières issues de la Seconde Guerre mondiale et à une vraie détente avec l'URSS. La Guerre froide avait certes troublé le jeu des artisans de paix sur le continent dans les années 1950. Mais nous avons ensuite l'extraordinaire succession de "pères de la Grande Europe", visionnaires d'un continent pacifié "de l'Atlantique à l'Oural": le pape Jean XXIII (1958-1963), De Gaulle, Willy Brandt (chancelier ouest-allemand de 1969 à 1974), le pape Jean-Paul II, Margaret Thatcher (qui convainc Reagan, à partir de 1985, de mettre fin à la Guerre froide) et enfin, le dernier géant du XXè siècle, Mikhäil Gorbatchev. Sans que nous nous en apercevions, l'esprit de paix a progressivement quitté le continent. C'est Helmut Schmidt (chancelier ouest-allemand de 1974 à 1982) réclamant aux Etats-Unis en 1977 l'installation de missiles Pershing; c'est un autre chancelier allemand, Helmut Kohl (1982-1998) faisant éclater la Yougoslavie; c'est Daniel Cohn-Bendit expliquant en 1999, que la guerre contre la Serbie au Kosovo était "la guerre d'unification européenne". C'est aujourd'hui toute une classe politique d'Europe occidentale et centrale russophobe. On ne le dit pas assez, la crise actuelle  de l'Europe vient d'une fascination trouble des Européens pour le retour de la guerre. 

Dans un contexte où le consensus autour de ce que devrait être le projet européen est difficile à obtenir, quel pourrait être ce projet défini en "contre", en négatif ? Et qui selon vous devrait-elle désigner ?

Les constructeurs de l'Europe, depuis Mitterrand, Delors et Kohl, ont accumulé les contresens. On a voulu faire l'Europe par le Grand marché européen. En fait on s'est contenté de libéraliser les économies nationales. Puis on a voulu faire l'Europe par la monnaie, sans voir que c'est l'unité politique qui fait la monnaie et non le contraire. Aujourd'hui, les gouvernants européens sont "paumés". Il y a ceux qui veulent faire l'Europe par l'accueil massif de réfugiés. En pratique, ce sont surtout les nations qui doivent se débrouiller: la Commission européenne ou le Parlement sont pleins de bonnes intentions mais laissent les nations et les collectivités locales se débrouiller en pratique. Comme on est en plein désarroi, on se cherche, effectivement, un ennemi. La Russie apparaît toute désignée. Les ex-"nouveaux philosophes" confondent la Russie d'aujourd'hui avec l'URSS de leurs années de bonne conscience antitotalitaire. Une Europe de l'Ouest déchristianisée en profondeur ne supporte pas un pays où l'on a construit 10 000 églises en vingt ans. Et puis, surtout, Poutine prône l'équilibre des puissances quand des générations Européens de l'Ouest se sont persuadées que toutes les frontières devaient être unilatéralement ouverte, au besoin à coups de bombes, par la coalition des démocraties engagées dans des causes humanitaires.  La grande faiblesse de l'Europe d'aujourd'hui c'est qu'lelle n'a pas su résister au bellicisme états-unien des années 1990-2008; et qu'elle aimerait bien, si elle le pouvait, faire la guerre à la Syrie ou à la Russie mais est de fait bien impuissante. 

Quels sont les barrières mentales, idéologiques ou politiques qui empêchent aujourd'hui les acteurs de l'Union européenne de désigner ses adversaires ?

Je ne crois pas que cela rendrait service à l'Europe de se construire "contre". Je le redis, l'esprit européen est d'abord un esprit de paix. Faute de l'avoir cultivé, on ne sait pas comment réagir aujourd'hui aux menaces qui s'accumulent. Comment réagir par exemple aux provocations d'Erdogan, qui menace les Européens en général de représailles terribles parce que la République Fédérale d'Allemagne ou les Pays Bas n'autorisent pas des ingérences d'Ankara dans leur vie nationale? Peut-on imaginer que la menace du terrorisme islamiste soude les Européens? Et bien il n'a même pas éta possible de consolider l'espace Schengen pour faire face aux allers-retours des terroristes d'origine européenne! En revanche, une grande partie des élites européennes dénonce l'aspiration à la paix avec la Russie, la volonté de rétablir le contrôle des frontières ou le populisme comme les plus dangereux ennemis de l'Union. On ne se méfie pas d'ennemis réels et on s'invente des ennemis abstraits: le poutinien ou l'électeur populiste. J'aimerais bien qu'il y ait des barrières au mécanisme du "bouc émissaire", le plus vieux procédé politique du monde. Mais les dirigeants européens actuels ne font pas vraiment de choix: ils subissent et s'adaptent.  

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