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La politique industrielle française sur un nuage ?
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Cloud computing

L'Etat vient de lancer avec les entreprises Orange, Dassault et Thalès un partenariat pour créer un service de "cloud computing" français, afin de contrer le monopole américain. Signe que la politique industrielle "à la papa" a encore de beaux jours devant elle ?

Lionel Nesta

Lionel Nesta

Lionel Nesta est senior économiste et directeur adjoint du département de recherche sur l’innovation et la concurrence de l’OFCE (Centre d'Economie de Sciences Po).

 

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Atlantico : Le partenariat prévu entre l'Etat français, Orange, Dassault et Thalès pour concurrencer les services américains en situation de quasi-monopole dans le domaine du cloud computing s'inscrit-il dans la tradition de la politique industrielle française ?

Lionel Nesta : Dans les années 1960, jusqu’aux années 1980, la politique industrielle de l’Etat s’est exercée essentiellement par l’établissement de grands champions industriels autour de grands projets technologiques, tels qu’Airbus dans le domaine de l’aéronautique, Alstom dans le domaine ferroviaire ou encore Areva dans le domaine nucléaire. Toutefois, leur succès s’est heurté à l’idée que la croissance industrielle provient essentiellement de l’initiative privée, et que le rôle de l’Etat doit se cantonner à soutenir cette initiative privée.

C’est pourquoi, au cours de ces 20 dernières années, les politiques industrielles de l’Etat se sont effectuées par un mécanisme d’incitation à la recherche privée, que ce soit sur l’ensemble des secteurs, comme le fameux Crédit Impôt Recherche, ou par l’établissement de grands programmes technologiques à même de favoriser le développement de pôle d’excellence, comme dans le domaine des biotechnologies dans les années 1990 ou des nanotechnologies dans les années 2000.

On peut donc dire que cet accord sur le cloud computing s’inscrit dans la tradition française. Si on connaît encore très mal les modalités de sa mise en œuvre, on peut tout de même dire que le rôle de l’Etat sera essentiellement de constituer un acteur important de la demande finale. A ce titre, sa présence peut permettre de lever des incertitudes sur les débouchés et inciter les acteurs privés à consentir à des investissements auxquels ils n’auraient pas consenti dans d’autres circonstances. Toutefois, davantage qu’un soutien des grands groupes industriels français dans le domaine de l’informatique virtuel, l’Etat français devrait davantage s’assurer que leurs sous-traitants, des PME essentiellement, y trouveront leur part du gâteau.

L'expression "politique industrielle" a-t-elle encore un sens dans le contexte contemporain, marqué par la mondialisation et le libre-échange ? Est-elle synonyme de protectionnisme ?

Il est clair que dans un contexte de mondialisation et d’internationalisation des processus de production, la politique industrielle vue comme soutien direct à certaines entreprises ou certains secteurs se heurte au degré d’ouverture des économies contemporaines. Soutenir l’industrie automobile française, c’est soutenir au moins indirectement les constructeurs français qui ont des établissements à l’étranger. Mais c’est également soutenir les constructeurs étrangers implantés en France. Si l’Etat n’avait soutenu que les établissements de constructeurs français implantés dans l’Hexagone, l’Europe se serait immédiatement interrogée sur la licité du Pacte Automobile.

En dépit de ces limites, la politique industrielle a un rôle à jouer. Au sens large, la politique industrielle a pour objectif d’influencer le volume, la composition et la qualité de la production industrielle et de ses emplois. Plus particulièrement, quand on observe l’industrie manufacturière française, l’absence d’un tissu dense d’entreprise de taille moyenne est véritablement ce qui saute aux yeux. Or, ce sont précisément ces entreprises qui sont porteuses de croissance, créatrices d’emploi, qui investissent en recherche et développement (R&D) et qui exportent. La politique industrielle de l’Etat français doit avant tout s’inquiéter de ce phénomène, et doit soutenir la croissance des PME française, plus petites, peu exportatrices, et moins intenses en R&D.

Quels sont les ingrédients d'une politique industrielle du XXIème siècle ?

Que ce soit clair. Les grands groupes français ont un niveau de performance tout au fait comparable aux grands groupes étrangers, américains, japonais, ou européens. Ce sont donc les PME et leur croissance qui doivent être l’élément central d’une politique industrielle moderne. Celle-ci doit favoriser l’accès au crédit de ces jeunes gazelles (comme les qualifie un rapport du Conseil d’Analyse Economique), s’assurer qu’elles ne souffrent pas de difficultés plus sévères que les grandes firmes sur le marché du travail. Trop souvent, les grandes entreprises bénéficient d’un pouvoir de monopsone [marché dans lequel un seul demandeur est face à plusieurs offreurs, ndlr] que les entreprises jeunes et de taille modeste ne peuvent avoir.

L’autre difficulté d’une politique industrielle moderne est le contexte économique actuel. Qu’on le veuille ou non, sans modification du rôle de la banque centrale européenne (BCE), l’Etat doit assoir sa crédibilité auprès des marchés financiers par sa rigueur budgétaire. Ceci constitue à n’en pas douter une contrainte énorme sur les marges de manœuvre de l’Etat dans les sommes qu’il peut allouer aux entreprises françaises.

En outre, l’absence d’une politique de change contraint énormément les producteurs français. La valeur de l’euro les oblige à s’intéresser davantage à la qualité de leur production. Si à moyen terme ceci est souhaitable, cette contrainte pénalise à court terme les exportations françaises qui ne peuvent pas concurrencer en qualité la production allemande.

Enfin, la réglementation au sens large est souvent perçue comme annexe. Elle est au contraire centrale. Dans le domaine pharmaceutique, il est souvent coûteux pour une entreprise de comprendre les différences de réglementation d’un pays à l’autre. L’introduction d’un nouveau médicament peut être autorisée dans un pays mais pas dans un autre.  Dans le domaine automobile, l’absence d’infrastructures électriques dédiées au moteur électrique n’incite pas les constructeurs à développer le moteur électrique. Ce sont ces incertitudes qui limitent les investissements productifs, porteurs d’emplois. 

Pour toutes ces raisons, une bonne politique industrielle doit donc aujourd’hui passer par une approche européenne. 

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