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Politique fiction : cette nuit où la France fit faillite
©Reuters

Bonnes feuilles

La France va-t-elle être poussée à la faillite ? Dans la tourmente des marchés, chacun est confronté à ses petites lâchetés et à ses grandes passions : c'est l'heure des choix. Extrait du thriller politico-financier "La nuit de la faillite", de Gaspard Koening (1/2).

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

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— Je vais être très direct, Monsieur le Président. Si la France… enfin, si les marchés pensent que la France… même si bien sûr ils ont tort… s’ils pensent que la France… ne pourra pas payer… alors…

— Alors, ils ont tort ! tonne Mosco. On ne va pas y passer des heures !

— Je vais être très direct… reprend Victor, les larmes aux yeux, la voix étranglée. Je… si les marchés…

Il se pince l’arête du nez, reprend sa respiration. Lève les yeux. A bien regarder, les muses sur le mur esquissent des mouvements de danse. Elles tourbillonnent, avec des regards d’enfant sur des corps de femme, replets et fermes, couleur d’albâtre. Alors Victor comprend. Ce n’est pas l’Amour, ou on ne sait quelle autre allégorie niaise. Ce sont des satyres, échappés d’une bacchanale. Des tentatrices, des vicieuses. « Viens, comme tout est simple et bon chez nous », disent- elles, et elles étouffent leur proie sous leur toge rose ; d’ailleurs, plus rouge que rose, ensanglantée, criminelle. C’est un bureau en trompe l’oeil. On croit entrer dans une bonbonnière, on se retrouve dans un coupe-gorge.

— Bon, finissez, dit la voix.

Pour la première fois de sa carrière, pour la première fois de sa vie d’adulte, Victor éclate en sanglots. La fatigue, la pression, l’inquiétude, l’impuissance. L’impression diffuse que sa carrière si remarquée, son accession au poste de directeur à un âge où la plupart de ses camarades de promo étaient encore chefs de bureau, son travail acharné sur tous les dossiers que Bercy peut compter, sa connaissance panoramique de l’économie française, tout cela n’aura servi à rien, sinon peut- être à prolonger la lente agonie de l’État. Cette nuit, on allait débrancher le patient, mais visiblement nul ici n’en était conscient ; et la famille continuait à se bercer d’illusions, de promesses de rémission et de traitements miracles. Victor pousse des sanglots bruyants, entrecoupés de hoquets, comme un enfant inconsolable. Personne ne dit mot. Personne ne se retourne vers lui. Mosco semble rassuré, il rajuste ses lunettes. Le gouverneur dort à poings fermés. Sa tête bascule sur l’épaule d’Emmanuel, qui la repousse délicatement.

En un éclair, comme, dit- on, le passé ressurgit à l’approche de la mort, Victor se rappelle les épisodes les plus absurdes, les plus honteux de sa vie professionnelle. Les réformes abandonnées, les manipulations budgétaires, les additions incompréhensibles au Code des Impôts, les sauvetages industriels entrepris en dépit de tout bon sens économique. Les primes, les prêts bonifiés, les subventions distribuées sans la moindre logique. Les petits arrangements avec les traités européens. Les nominations prestigieuses des canards boiteux de l’administration, payés 10 000 euros par mois au Conseil économique et financier ou à l’Inspection des Finances juste pour ne plus nuire à personne. Les communiqués emphatiques des sommets internationaux, soigneusement étudiés pour n’engager à rien. Les budgets d’aide au développement mis au service des dictateurs amis. Les lois bancaires bâclées par des services incompétents. Les chiffres toujours pires, du chômage, de la dette, du déficit extérieur, pour lesquels on trouvait toujours d’excellentes raisons. Les monopoles préservés pour les amis du pouvoir. Les dossiers Ministre compilés en une demi- heure à coups de coupés-collés. Et toujours, cette lâche soumission à un Gouvernement et un Parlement hostiles aux lois du marché. Victor avait fini par adopter ce cynisme propre aux hauts fonctionnaires du Trésor, qui après avoir accepté tous les compromis et contresigné les pires idioties, se disent en prenant leur bière du soir au café d’en face, devant la station de métro : « De toute façon, que veux- tu, c’est la France… »

A force de mal faire et de voir que le pays continuait malgré tout à se réveiller le matin et à se mettre à la tâche, à force d’exécuter des instructions irrationnelles et de monter en grade, Victor avait enterré ses doutes. Peut- être y avait- il une forme d’équilibre qui lui échappait ? Cette nuit, la réponse est clairement : non. Combien de temps a- t-il pleuré ? Dix secondes, dix minutes ? Il serait incapable de le dire, malgré le battement obsédant de la pendule.

Et c’est le brave Emmanuel, peut- être pas le plus courageux, mais sans aucune doute le plus intelligent de la bande, qui le sauve.

— Ce que le directeur du Trésor veut dire, Monsieur le Président, si je puis me permettre, lance Emmanuel d’une voix calme et claire, c’est qu’il faudrait mieux faire défaut maintenant.

— Grotesque ! hurle Mosco, qui se lève à son tour et va rejoindre le Président au milieu du salon. Ecoute, François, lui dit- il, faisons ça tous les deux, sinon on ne va jamais s’en sortir. J’ai eu les Allemands et les Américains au téléphone…

— La France, défaut ? bredouille le gouverneur d’une voix ensommeillée. Pas possible, voyons, pas la France. Nous avons des réserves. Ne nous affolons pas.

— Ça ne passera jamais dans l’opinion, intervient Claude sur un ton grave. La nationalisation, c’est beaucoup plus vendeur.

— Et d’ailleurs, reprend Michel, on n’est pas obligés de l’appeler nationalisation. On peut se contenter de « recapitalisation », au moins dans le communiqué officiel.

— Pas idiot, ça. Moins anxiogène, en tout cas.

— Et vous, jeune homme, vous feriez mieux de retourner à vos études, dit Michel en se tournant vers Emmanuel.

— Je ne fais qu’interpréter la pensée du directeur du Trésor, répond Emmanuel sans se démonter.

Extrait de "La nuit de la faillite", de Gaspard Koening (Édition Grasset), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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