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Policiers tués : ce que révèle le cas de Larossi Abballa​, fiché S, condamné, ​et sur écoute, de la sévérité des peines en France
©Reuters

Un peu trop conciliants ?

Dans la soirée du 13 juin, un homme a tué au couteau un policier et sa compagne dans les Yvelines. Immédiatement revendiqué par l'Etat Islamique, le double meurtre soulève néanmoins de réelles questions en matière de sévérité des peines en France : son auteur avait en effet été condamné en septembre 2013... pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un attentat.

Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico : Larossi Abballa, auteur du double meurtre de Magnanville, fut condamné à 3 ans de prison dont 6 mois avec sursis en septembre 2013 pour "association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes". Peut-on estimer qu’il existe, en France un problème de sévérité des peines ?

Guillaume Jeanson : Oui, clairement. Il y a un problème de sévérité des peines en France, c'est même une évidence. C'est quelque chose de particulièrement préoccupant que l'on retrouve en réalité sur un grand nombre d'infractions et pas uniquement en matière de terrorisme.

Nous faisons désormais face à une perte de la dissuasion pénale, notamment parce que les peines prononcées sont souvent dérisoires quand on les compare aux faits qui sont reprochés. Bien souvent, également, l'exécution de ces peines laisse beaucoup à désirer puisqu'il est commun qu'elles soient commués avant leur exécution en des peine plus douces.

Cette incidence sur la dissuasion est primordiale, dans la mesure où toute politique pénale efficace repose sur elle. Beccaria écrivait d'ailleurs : "la certitude d’une punition, même modérée, fera toujours plus d’impressions que la crainte d’une peine terrible si, à cette crainte, se mêle l’espoir de l’impunité".

Or, aujourd'hui, cette certitude des peines a disparu. Non seulement nos peines sont de plus en plus modérées, mais en plus elles ne sont plus certaines. C'est notamment le fait de l'élargissement du panel des peines symboliques offertes aux juges, qui leur permet de jongler avec différents types de réponses pénales (comme le sursis, le rappel à la loi, remise à parents, contrainte pénale etc.) qui ne sont pas toujours vécue comme de réelles sanctions par les délinquants et les criminels. Même les peines de prison ferme, qui ne surviennent généralement qu'après une multitude de délits, sont susceptibles d'être commuées en des peines moins contraignantes dès lors qu'elles sont inférieures à deux ans.

Avant de rencontrer une sanction réelle (qui pourrait être autre chose qu'une peine de prison. On pense notamment à un TIG qui serait réellement suivi et exécuté...), qui ne soit pas proprement symbolique, un délinquant aura donc parfois commis de multiples délits. C'est une situation qui présente de vrais dangers et qui a déjà été pointée du doigt par de nombreux criminologues, parmi lesquels Maurice Cusson – l'un des plus grand criminologues francophone – qui a souligné le rôle de "l'érosion des peines dans l'explosion de la criminalité". Bien sûr, ce système part d'une intention louable : l'individualisation des peines. Mais il faut bien comprendre que l'excès d'individualisation des peines conduit à anéantir la certitude de la sanction. À force de l'adapter à chaque individu de manière parfois outrancière, on finit par tuer la lisibilité et la prévisibilité des peines. En fin de compte, comme l'écrivait Beccaria, on en vient à mettre un terme à la certitude des peines. En résulte naturellement un sentiment d'impunité.

Pour revenir sur la question que soulève précisément le cas de Larossi Abballa, il est assez inquiétant de constater que la plupart des terroristes auxquels nous avons à faire ont déjà un passé de délinquant. Ce sont des gens connus de nos services, notamment pour des infractions terroristes dans ce cas précis, mais aussi et surtout pour des délits tels que des vols et des recels. Dans l'extrême majorité des cas, ces gens ont déjà un passé de délinquants et ce sont des gens pour qui notre système n'a pas su freiner la pente vers la délinquance. Après quoi, pour certains d'entre eux, peut-être plus vulnérables, un processus de radicalisation peut opérer. S'il est primordial d'intervenir sur cette deuxième dimension, cela ne doit pas se faire au détriment du frein qu'il faut poser à la délinquance, qui lui est, comme on le constate hélas souvent, un préalable.

Que peut-on dire également de l’application de ces peines ?

Nous faisons face à une application des peines qui s'est beaucoup complexifié  ces dernières années. C'est logique, puisqu'il n'y a pas eu de décision politique courageuse visant à augmenter la taille de notre parc carcéral. Face à un nombre de place de prisons très inférieur à ce qu'il faudrait, on a cherché à créer des dispositifs pour empêcher les gens d'aller en prison ou pour mieux les en faire sortir. Dans les faits, à ce niveau-là l'action politique française se limite à une certaine forme de gestion des flux carcéraux. Christiane Taubira a, d'ailleurs, sa part de responsabilité dans cette situation puisqu'elle est responsable de la contrainte pénale (qui vise à éviter aux condamnés de la prison) et à la libération sous contrainte (pour automatiser un examen favorisant une sortie anticipée). Cependant, déjà avant la libération sous contrainte, la libération conditionnelle peut être sollicitée à la moitié de la peine (réellement exécutée). Cela implique, pour procéder au calcul de cette moitié de peine, d'intégrer d'autres mécanismes : les crédits de réduction de peine. Certains sont automatiques, d'autres supplémentaires. Il en existe également des "exceptionnels" qui ne s'appliquent que dans certains cas de figure. Dans l'ensemble, ces crédits de réduction de peine permettent, la première année, d'anticiper de six mois la sortie. Par la suite, ils peuvent permettre des réductions de cinq mois. Une libération théorique qui devrait intervenir à la moitié de la peine a donc souvent lieu en réalité, c'est à dire après avoir imputé ces différents crédits, un peu après le tiers de la peine prononcée.

Indépendamment de ces questions purement théoriques, notre parc est également soumis à un embouteillage dû à la nécessité de son extension. Aujourd'hui 80 000 à 100 000 peines sont encore en attente d'exécution. Des délais considérables interviennent donc encore souvent avant la mise en exécution des peines. Or, pour que la dissuasion puisse faire effet, il est crucial que la peine soit associée à deux composantes : la certitude de son application et la vitesse de sa mise en place.

Quelles sont les mesures urgentes à prendre afin de pouvoir répondre efficacement à la menace qui frappe la France ? Puis, dans un second temps, quelles sont les mesures de long terme à prendre pour adapter notre système ?

Parmi les mesures urgentes sur lesquelles il nous faut revenir, il est indispensable de travailler sur le sous-effectif pénitencier dont nous sommes aujourd'hui victimes. Il est nécessaire également d'augmenter les moyens des services de renseignements et des services en charge du suivi d'individus à risques. Il est incompréhensible et inconcevable qu'un djihadiste comme c'est le cas de Larossi Abballa soit relâché dans la nature sans une surveillance particulièrement vigilante et adaptée.

Les mesures de long terme sont également urgentes, mais prendront nécessairement plus de temps car elles nécessitent encore davantage de moyens pour leur mise en place. La première d'entre elle consiste évidemment à revenir sur la taille de notre parc carcéral et de l'adapter en conséquence. Il faut construire au moins 30 000 places de prison. En deuxième lieu, il est aussi nécessaire de travailler sur les principes de déradicalisation, mais tout en gardant à l'esprit – et je m'appuie sur l'expertise de plusieurs psychiatres – qu'on ne pourra pas déradicaliser l'ensemble de ces gens. Cela soulève évidemment des questions relatives à la longévité des peines. Marc Trévidic s'exprimait sur le sujet ce 14 juin au sujet de l'infraction "phare" en matière de terrorisme, l' "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste", en affirmant "qu'une peine maximum de dix ans et souvent bien moins en pratique n'est plus adaptée". Il nous faut maintenant en tirer les leçons. L'urgence est là.

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