Polémique sur de jeunes juifs orthodoxes qui auraient refusé des femmes comme surveillantes des épreuves du brevet en Seine-Saint-Denis: pourquoi ça ne s’est pas passé comme on vous l’a dit<!-- --> | Atlantico.fr
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Un professeur de l'établissement Pablo Neruda, s'est ému du changement d'équipe de surveillance du brevet : deux hommes ont remplacé deux femmes.
Un professeur de l'établissement Pablo Neruda, s'est ému du changement d'équipe de surveillance du brevet : deux hommes ont remplacé deux femmes.
©Reuters

Explications

Lors des épreuves du brevet des collèges à Gagny, les élèves juifs orthodoxes n'auraient pas refusé d'être surveillés par des femmes, contrairement à ce que nous avions publié. Néanmoins, la version des faits que nous avions établie n'était pas sans fondement et il demeure difficile de comprendre ce qui s'est vraiment passé ce jour-là tant les témoignages et les interprétations divergent.

Atlantico a publié mardi 9 juillet un article faisant état du changement de l'équipe de surveillance d'une classe de jeunes collégiens juifs orthodoxes dans un collège de Seine-Saint-Denis à l'occasion des épreuves du brevet le 27 juin 2013. Un changement dont plusieurs sources concordantes affirmaient qu'il serait intervenu suite à une demande émanant des élèves juifs relayée par celle d’un représentant du collège Mercaz HaTorah.

Après avoir travaillé à recueillir et recouper les sources, jointes directement et indirectement, au sein de l'établissement et du milieu syndical, nous avions décidé de publier un article sur le sujet. Une décision de publication prise au regard de l'intérêt que cette histoire présente pour le public dans le cadre du débat qui anime la société française sur les questions de laïcité (lire ici les précisions d'un proviseur d'un lycée de Seine Saint Denis sur des entorses au principe de laïcité dont elle a été témoin au sein de l'Education nationale).


Face au démenti catégorique du principal du collège Mercaz HaTorah et à l'émoi suscité par la publication de notre article et son exploitation dans le cadre des tensions communautaires existant en Seine-Saint-Denis (lire ici un éclairage de Sophie Ferhadjian, chargé de mission et des études au Haut Conseil à l’Intégration et auteur des Territoires perdus de la République sur la situation), nous avons décidé de nous pencher à nouveau sur ce qui se serait passé lors des épreuves du brevet.


Le principal du collège Pablo Neruda - que nous n'avons pas réussi à joindre malgré nos efforts - aurait également démenti notre version des faits.

Comment expliquer que les différents témoins de cette affaire en aient eu des visions aussi discordantes ?

Rappel du contexte :

50 élèves d'un collège religieux juif Mercaz HaTorah se rendent au collège Pablo Neruda de Gagny pour passer les épreuves du brevet. Ils sont alors affectés dans une salle d'examen séparée, surveillée par deux femmes, enseignantes au sein du collège hôte, et un homme, enseignant au sein du collège d'origine des jeunes garçons.

Au retour de la pause-déjeuner, les deux enseignantes sont remplacées par des hommes.

Un professeur de l'établissement Pablo Neruda, ne faisant pas partie des surveillants de cette épreuve, s'émeut alors de ce changement d'équipe dans une liste mail de diffusion syndicale. Elle précise que ce serait une personne de l’établissement religieux juif qui l’aurait exigé.

Cette version fait ensuite surface publiquement notamment à travers la publication d'un article sur le site AgoraVox.


Les questions qui se posent et Les éléments de réponse que nous sommes en mesure d'y apporter : 


1) Pourquoi les élèves originaires du collège religieux ont-ils été séparés des autres pour passer les épreuves du brevet ?


Le principal du collège Pablo Neruda a expliqué à son homologue du collège religieux qu'il existe deux façons de répartir les élèves dans les salles des centres d'examen : par ordre alphabétique ou par numéro de matricule. Il a choisi cette dernière option qui faciliterait selon lui le tri des copies. Les matricules étant attribués par établissement, les élèves juifs se sont donc tous retrouvés dans la même salle.

Les forums et sites proches de la communauté juive ont néanmoins avancé une autre explication dans des articles consécutifs à la polémique née de la publication de l’article d’Atlantico ; une explication dont ils affirmaient qu'elle leur aurait été donnée par le principal du collège religieux juif, selon lequel le principal du collège Pablo Neruda aurait fait valoir que la séparation des collégiens juifs serait intervenue pour des "raisons de sécurité". Sachant que ce qui se cache derrière cette expression serait la difficulté à faire cohabiter élèves juifs et élèves musulmans sans que des heurts n'en résultent.

Le principal du collège Mercaz HaTorah a reconnu auprès d'Atlantico qu’il s'est effectivement entretenu avec les sites en question mais conteste formellement leur avoir tenu de tels propos.

Il précise qu’il s’était effectivement étonné l'an passé que ses élèves aient été séparés des autres et qu'il aurait préféré qu'ils soient mélangés aux élèves du public à la fois pour éviter les fantasmes qu'une telle séparation peut entretenir et par attachement à la laïcité.

Le principal du collège religieux maintient par ailleurs ne pas s'en être entretenu avec son homologue, ni l'an passé, ni cette année.


2) Que s'est-il passé dans la salle d'examen le jour du brevet ?

Le chef de l’établissement religieux nous a indiqué que deux incidents, n'ayant rien à voir avec la confession des élèves ont retardé le début de l'épreuve. Le premier était lié à la présentation d'un certificat médical jugé irrecevable. Le deuxième à l’absence d’un enseignant prévu pour surveiller l’épreuve mais affecté au dernier moment à un autre centre d’examen. Un enseignant du collège Mercaz HaTorah l’aurait alors remplacé.

Le principal du collège religieux nous a par ailleurs précisé que, dans le climat de "chahut espiègle" ayant précédé l'épreuve, l'une des enseignantes du collège Pablo Neruda affectée à la surveillance de la salle aurait fait remarquer que les élèves juifs n'avaient sans doute pas l'habitude d'être "commandés" par des femmes. Selon lui, un des élèves aurait répondu quelque chose d'anodin. Il ajoute que la phrase en question n'aurait rien déclenché de particulier dans la salle.

Interrogé lui aussi par Atlantico, l’enseignant du collège Mercaz HaTorah, qui était présent dans la salle, nous a livré une version un peu différente. Il précise que ce serait lui qui aurait tenu ces propos, sans toutefois utiliser le verbe "commander" mais plutôt celui "d'encadrer" ; cette phrase ayant été prononcée à l’issue de l’épreuve et en s'adressant aux deux surveillantes du collège Pablo Neruda sans que les élèves n'en soient témoins. Alors que l'une d'entre elles faisait part de son agacement face à l’attitude dissipée des élèves, il leur aurait répondu qu'ils avaient l’habitude d’évoluer dans un environnement très masculin.

Un autre incident serait enfin survenu pendant la dictée. Alors que l'une des deux profs prononçait le mot Ellis Island avec un accent anglais, quelques élèves auraient eu des rires moqueurs. Elle s’en serait par la suite plainte auprès de l’enseignant du collège religieux à l’issue de l’épreuve.

Le professeur du collège religieux juif nous a par ailleurs indiqué qu’il existait selon lui une tension sexuelle palpable dans la salle. Il l'attribue au fait que la plus jeune des surveillantes était très séduisante. Il aurait même dû demander à un des élèves qui tentait d’échanger avec lui des regards entendus de se calmer. Il ajoute que l’ambiance était beaucoup plus calme l’après-midi et l’explique par le fait que les adolescents étaient alors surveillés uniquement par des hommes et qu'ils s'étaient enfin habitués à salle en rotonde qui présentait une configuration particulière.

3) Ces incidents ont-ils eu un impact sur le remplacement des surveillantes par des surveillants à la mi-journée ?

Dans la version initiale des faits telle que nous l’avions établie sur la base de témoignages concordants le lien était fait entre un incident survenu entre les élèves et l’équipe de surveillants et le changement d’équipe. Une demande en ce sens aurait même été adressée expressément au principal du collège Pablo Neruda.

L’enseignant du collège Mercaz HaTorah alors présent dément catégoriquement que les élèves aient fait une telle demande. Au moment d’entrer dans la salle, un élève se serait contenté de constater à voix haute que c’était des femmes qui allaient les surveiller.

Le principal du collège religieux juif réfute lui aussi l’idée selon laquelle ses élèves auraient exigé le remplacement des surveillantes par des surveillants. Il conteste également avoir demandé quoi que ce soit à son homologue. Il ne lui aurait même pas parlé ce jour-là. Il insiste sur son grand attachement à la laïcité et assure recourir sans problème à des encadrants féminins au sein de son établissement – c'est une femme qui y gère le Centre de documentation et d'information (CDI).

Le principal du collège Pablo Neruda lui aurait précisé pour sa part que s'il avait reçu une demande de ce genre, il n'y aurait de toute façon pas accédée.

Selon le principal du collège religieux, son homologue de Pablo Neruda lui aurait affirmé que le changement d'équipe à la mi-journée se serait inscrit dans un "roulement naturel" des équipes de surveillance et n'aurait donc strictement rien eu à voir avec les incidents survenus avant le début des épreuves.

Interrogé sur ce point l’enseignant du collège Mercaz HaTorah présent sur les lieux indique pour sa part qu’il n’avait pas été informé le matin du changement, qui selon lui n’avait en fait pas l’air d’être prévu... Au retour de la pause-déjeuner, il pensait retrouver éventuellement la plus jeune des deux enseignantes. L’autre avait en effet été appelée à la dernière minute le matin et il était probable qu'elle ne revienne pas l’après-midi.

4) Comment expliquer qu’au sein de l’établissement Pablo Neruda le changement d’équipe ait pu être interprété différemment de la version du principal du collège par certains membres de l’équipe pédagogique ?

Nous en sommes ici réduits à formuler des hypothèses à partir des faits qui ont pu être établis.

Des incidents ont bien eu lieu dans la salle d'examen. De même que le changement d'équipe d'encadrement à la mi-journée. Certains enseignants en auraient parlé entre eux et interprété ce changement comme découlant directement des incidents survenus. La phrase prononcée par l’un des enseignants, avançant l’idée que les jeunes élèves de Mercaz HaTorah n’avaient pas l’habitude d’être encadrés par des femmes, pourrait avoir joué un rôle non négligeable dans la série d’incompréhensions à l’origine de cette histoire.

Parmi les explications fournies par les protagonistes figurent le fait que l'une des deux enseignantes ayant surveillé la salle était jeune et manquait d'expérience d'une part et était très jolie d'autre part. Ce fait ayant été mentionné à plusieurs reprises et auprès de plusieurs interlocuteurs, faut-il en déduire que le changement d'équipe de surveillance se serait fait, non pas tant suite à un roulement naturel mais parce que le collège Pablo Neruda se serait dit que les jeunes ados agités serait mieux "tenus" par une équipe plus mûre ?

Quoi qu’il en soit, cette version d’un roulement naturel de l'équipe de surveillance de la classe des collégiens juifs, sur laquelle les deux chefs d’établissement s’accordent, semble pouvoir être questionnée y compris par le surveillant du collège religieux. Ce dernier, qui cherche sincèrement à comprendre ce qui a pu se passer, avance pour sa part une autre hypothèse. L’une des enseignantes a-t-elle elle-même suggéré le changement auprès de sa hiérarchie en raison du léger chahut survenu pendant l’épreuve et après les précisions qu’il avait faites sur le manque d’habitude de ses élèves face à un encadrement féminin ?

Ces quelques éléments permettent de comprendre à quel point il est difficile de savoir ce qui s’est réellement passé. On ne peut exclure que chaque nouvelle version de l’histoire se soit de surcroît accompagné d’une certaine déperdition d’information. De même qu’on ne peut pas exclure que cette histoire ait pu être réécrite par les différentes personnes qui s’en sont saisies en fonction de leurs propres sensibilités et intérêts.

Il est important de noter que les deux chefs d’établissement se sont entretenus ce lundi et présentent une position commune sur le sujet qui diffère un peu de la description des événements faite par l’un des surveillants et évacue tout point délicat : les problèmes survenus sur les plannings de surveillance, l'aptitude de certains enseignants à gérer des élèves dissipés ou encore les tensions communautaires. L'enseignant du collège juif présent sur les lieux a à ce propos indiqué que lorsque leur bus avait quitté l’établissement, un des élèves présent dans le centre d’examen leur avait adressé un doigt d’honneur.

Il est également important de savoir que parmi les sources initiales se trouvent des personnes militantes ferventes de la cause laïque – l’une proche des Indigènes de la République et l’autre de Riposte laïque. Cette dernière source ne dément rien mais a néanmoins nettement évolué dans sa version au fil des jours et à mesure que la pression médiatique et les passions se développaient sur cette affaire. Face au climat passionnel qui s'est développé, d'autres interlocuteurs ne souhaitent, eux, plus s'exprimer.

Il semble qu'une enquête de l'inspection académique de Créteil ait été ouverte – contactée, elle a cependant refusé de nous le confirmer. Nous vous tiendrons bien entendu informés de son résultat le cas échéant.

Encore une fois, nous avions pris la décision initiale de publication en rapportant un fait recoupé auprès de plusieurs sources.

Notre confiance ayant été malmenée par certaines de ces sources qui ont peut-être confirmé une version initiale qui était plus une interprétation des faits qu'un simple récit, Atlantico présente ses excuses à tous ceux qui en ont été affectés pour avoir écrit que la demande de changement d’équipe de surveillance émanait des élèves juifs, ce qui n’est visiblement pas le cas.

Il est bien évident que nous ferons état de toute évolution dans les divers exposés des faits.

Ayant reçu de nombreux messages, plus ou moins violents et plus ou moins courtois, et ayant par ailleurs fait l'objet d'articles non seulement diffamatoires mais inexacts sur le déroulé des faits, nous tenons à rappeler que nous sommes attachés au pluralisme tout comme au respect des différentes confessions ou communautés françaises.
Atlantico ne s'est jamais enfermé dans une conception radicale de la laïcité et a par ailleurs toujours eu à cœur de dénoncer les propos et les violences antisémites y compris lorsque d'autres médias préféraient les passer sous silence.

Les procès d'intention affirmant que ce travail d'investigation journalistique aurait eu un but antisémite ou raciste, comme ont pu l'alléguer ou le suggérer certains sites, sont non seulement déplacés mais aussi parfaitement contradictoires avec le reproche qui nous est fait d'avoir attisé les tensions alors qu'eux-mêmes jettent de l'huile sur le feu.

Nous avons d'ailleurs saisi notre conseil habituel pour qu'il donne toutes les suites judiciaires adéquates à ces propos diffamatoires et mensongers.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

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