Poids de la dette : le prix de l’Autruche d’or est une nouvelle fois attribué à… la France <!-- --> | Atlantico.fr
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Mathieu Mucherie publie « Tout ce qu'on ne vous a jamais dit sur la dette : ...à commencer par la manière de l'effacer proprement » aux éditions Eyrolles.
Mathieu Mucherie publie « Tout ce qu'on ne vous a jamais dit sur la dette : ...à commencer par la manière de l'effacer proprement » aux éditions Eyrolles.
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Mathieu Mucherie publie « Tout ce qu'on ne vous a jamais dit sur la dette : ... à commencer par la manière de l'effacer proprement » aux éditions Eyrolles. « Après nous, le déluge » semble être la devise de nombreux décideurs publics et privés depuis quelques décennies. Partout une spirale d'endettement a été enclenchée, qui s’est encore accélérée à la suite de la crise déflationniste de 2008 et de la crise pandémique de 2020. Et si nous tentions de trouver le frein et de stopper ce train ? Un livre qui incite à regarder en face l’iceberg vers lequel foncent nos économies. Extrait 1/2.

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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C’est avec une stupéfaction créée par le manque criant d’originalité qu’on apprend que la France se retrouve dans le rouge, que la dette soit publique ou privée, officielle ou implicite :

• Parce que s’il y a une régularité bien documentée, c’est l’effet cliquet du poids de l’État en France, un nouveau palier à chaque crise. L’invasion des cliquets…

• Sans surprise, la courbe des finances publiques françaises ressemble à une droite : aucune différence entre des énarques de centre-droit et des énarques de centre-gauche ; il n’y a pas d’alternance dans ce pays. Quand Giscard laisse son fauteuil en 1981, la dette publique se monte à 20 % du PIB. Nous avons signé tout au long des années 1990 des engagements qui reposaient sur une limitation à 60 %. Nous en sommes fin 2021 à 120 %. Et il s’agissait là de financer des dépenses de fonctionnement : depuis vingt-cinq ans, où sont les routes, les universités et les hôpitaux supplémentaires, qui aideraient à justifier les dettes publiques additionnelles, et qui aideraient à faire passer la note de 1 200 milliards d’euros payés depuis 1995 pour servir les intérêts de la dette souveraine, dans un pays qui n’a créé justement que 1 200 milliards de PIB nominal additionnel sur la période ?

• Cette pente en ligne droite renvoie à la rigidité de nos dépenses et à notre incapacité à dévaluer depuis plus de trente ans : si la Suède des années 1990 a pu amorcer une redéfinition des missions de l’État et entamer la dynamique de ces dépenses, elle l’a fait en réservant l’emploi à vie à quelques activités ciblées, et en dévaluant, pour lisser la transition – deux axes qui ne sont pas à l’agenda de nos « politiques ».

• Parce que sa passion pour la pierre se renforce sans cesse, à partir d’un niveau déjà élevé.

• Si la dette des ménages explose, ce n’est pas pour acheter des livres. Le patrimoine des Français est à plus de 70 % immobilier (et on nous parle en permanence de la diversification des patrimoines…), et il s’est constitué en poussant l’effet de levier toujours un peu plus loin. S’endetter pour un actif inerte est un fusil à un seul coup, et à l’échelle macroéconomique une bien piètre allocation du capital.

• Cette dette immobilière toujours plus lourde et plus longue, associée à un degré inouï de restrictions foncières qui bloquent les constructions, explique comment un pays avec très peu de croissance a connu un triplement des prix résidentiels (en termes réels) en deux décennies : cela a réduit la mobilité des travailleurs, a détourné l’épargne des ménages des placements à risque nécessaires, a développé les inégalités, a pollué la fonction de réaction (déjà peu claire) des banquiers centraux, a promu des emplois peu qualifiés dans un secteur où les gains de productivité sont maigres, etc.

• Parce que ses entreprises ont une profitabilité douteuse, ce qui conduit à une fuite en avant.

• Les dettes des sociétés non financières au milieu de l’année 2020 se situent à 104 % du PIB en France, contre 83 % pour la moyenne de la zone euro (et 70 % pour l’Italie). Le taux d’autofinancement de nos PME est au plus bas. Leurs fonds propres sont très fragiles, depuis longtemps : en lien avec un cadre réglementaire qui se nourrit de lui-même, avec une fiscalité qui privilégie scandaleusement l’endettement sur les fonds propres, et avec des marges attaquées de toutes parts par une crise de demande couplée à une crise de l’offre. Au total, notre dette privée (ménages + entreprises hors institutions financières) atteint 215 % du PIB fin 2019 selon la BRI, contre 150 % aux USA ; en hausse vertigineuse ces dernières années. Vous me direz qu’on trouve des chiffres comparables en Suisse, en Suède et au Canada, mais ces pays sont dotés de parlementaires dignes de ce nom : au moins, ils maîtrisent mieux leurs dettes publiques.

• Parce qu’elle s’ingénie à multiplier les bombes à retardement, hors bilan.

• Nos dettes implicites sont en roue libre. Les régimes spéciaux de retraite coûtent particulièrement cher, et c’est une illusion de croire qu’ils ont été réformés depuis quelques années (ou qu’ils vont l’être avec la « réforme » en cours). Il faudra aussi faire un jour le bilan de certaines structures publiques et semi-publiques de « financement de l’économie », vu le nombre de marquis parisiens qui multiplient les tours de table, qui se prennent (avec de l’argent public) pour des venture capitalists, des market makers et des spécialistes en private equity.

L’État a tellement menti qu’on ne peut même plus croire dans l’inverse de ce qu’il raconte. C’est le concept du « narrateur peu fiable » : une histoire basée sur une contradiction, un récit qui n’est pas du tout appliqué dans les faits. Les échecs sont toujours attribués à des facteurs externes, incongrus, imprévisibles. La montée des dettes, c’est la faute de la gestion précédente, ou c’est la faute d’une crise importée de l’étranger. Ce n’est pas la faute de nos choix et de nos non-choix budgétaires et monétaires. Les autorités expliquent ainsi qu’elles ne remonteront pas les impôts. C’est un beau roman, c’est une belle histoire. Il faut vraiment croire dans la croissance des années 2020 et 2030 ; mais notre base productive vient d’en prendre un sacré coup, et nos engagements climatiques impliquent une réduction (à partir de maintenant) de nos émissions carbonées (autant dire de nos activités économiques, donc des rentrées fiscales) de 4 % chaque année !

Un économiste dira toujours qu’il n’y a pas de fatalité en matière de dépenses publiques, et il aura raison : il y a vingt-cinq ans, la Suède dépensait 8 points de pourcentage de PIB de plus que la France chaque année, et désormais 7 points de moins ; sans que la Suède ne soit à feu et à sang. Mais avec l’euro cher, la France est condamnée à mener des politiques budgétaires laxistes, parce que le coût croissant de la camisole monétaire unique doit être compensé. Comme c’est déjà la pente naturelle du pays, et comme les marchés financiers achètent, nous le verrons, sa dette même à des taux négatifs, il n’y aura pas de changement de cap avant longtemps. Et notons déjà ici au passage que la remise des dettes ne provoquerait donc pas un gros aléa moral…

Concluons. Nos revenus futurs sont encore plus préemptés par les dettes que ce que les chiffres officiels suggèrent. Plus les gouvernants recourent au hors-bilan comme moyen d’éviter des choix difficiles, plus ils abandonnent leurs responsabilités. Partout domine une mentalité « après nous, le déluge », surtout à Paris. Si on se contente d’écrêter quelques engagements à la marge, comme nous le demandent les fétichistes du bilan immaculé des banques centrales, notre destin est celui de Sisyphe.

Extrait du livre de Mathieu Mucherie, « Tout ce qu'on ne vous a jamais dit sur la dette : ... à commencer par la manière de l'effacer proprement », publié aux éditions Eyrolles

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