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PLFSS 2016 : Marisol Touraine reprend d’une main ce que Manuel Valls donne de l’autre
©Reuters

Tour de passe-passe

Le mode opératoire utilisé pour tenir les promesses conduit à créer de nouvelles tracasseries pour les entreprises dès le 1er janvier 2016, alors que majoritairement celles-ci sont très loin d’être prêtes à agir.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Les articles 21 à 23 du PLFSS 2016 donnent un bel exemple de la façon dont Marisol Touraine reprend d’une main discrète ce que Valls donne d’une autre main volontaire et voyante. Ces articles prétendent en effet aménager la « généralisation de la complémentaire santé » à des publics pour lesquels François Hollande a fait des promesses : les retraités et les précaires, à la demande de lobbies qui sont aujourd’hui dépités de voir quel mauvais usage est fait de leurs prescriptions. Toutefois, le mode opératoire utilisé pour tenir les promesses conduit à créer de nouvelles tracasseries pour les entreprises dès le 1er janvier 2016, alors que majoritairement celles-ci sont très loin d’être prêtes à agir. Mais les entreprises ne seront pas les seules victimes de ces coups pendables: les salariés vont être dévalisés en beauté pour aider les retraités et les médecins à arrondir leurs fins de mois.

A force de saucissonner les obligations qui pèsent sur les entreprises dans des textes successifs dont plus personne ne maîtrise la cohérence, les pouvoirs publics et leur fidèle administration oublient les chocs réglementaires qu’ils infligent à des entreprises empêtrées dans une conjoncture morose. Ainsi, au 1er janvier 2016, les entreprises doivent mettre en place tout en un le compte pénibilité, la déclaration sociale nominative, la réforme des contrats responsables et la généralisation de la complémentaire santé.

On sait depuis le sondage Humanis et Odoxa mené en juin 2015 que mois d’une entreprise sur sept sera prête à respecter ses obligations réglementaires. 61% des entreprises seront au mieux prête sur une seule de ces échéances. Ce sont évidemment les patrons de PME et de TPE qui sont les plus dépassés par cette inflation et cette instabilité juridiques. Une fois de plus, l’imagination du législateur et du régulateur excède les capacités humaines et la perte de productivité de ces changements incessants de pied atteint des proportions telles que, au 1er janvier 2016, une écrasante majorité d’employeurs seront des délinquants en sursis.

Touraine en rajoute une couche

Malgré ces constats inquiétants, Marisol Touraine a décidé de lâcher la bride aux régulo-maniaques de la DSS, dont l’imagination n’a pas tardé à sévir. Le PLFSS rajoute en effet de nouvelles obligations à des gens qui en ont déjà trop et n’y font plus face. Ainsi, l’article 22 prévoit-il que chaque employeur devra verser, si le salarié le demande, une aide à l’acquisition d’une complémentaire santé pour les travailleurs précaires. L’exposé des motifs présente la mesure de la façon suivante:

le présent article vise à permettre à ces catégories de salariés d’obtenir directement le versement, par chacun de leurs employeurs, d’une somme dédiée au financement de leur complémentaire santé, qui sera en rapport avec la contribution dont bénéficient les autres salariés d’un même employeur, en tenant compte de la durée travaillée. Cette somme ne pourra pas être cumulée avec d’autres dispositifs d’aide à l’accès à la complémentaire santé. Le recours à ce mode de couverture sera ouvert à certains salariés ayant un contrat court ou une faible quotité de travail, qui pourront en ce cas demander, de droit, d’être dispensés d’adhérer au régime collectif mis en œuvre dans l’entreprise. Les partenaires sociaux de branche ou d’entreprise pourront en outre prévoir, par accord collectif, que la généralisation de la couverture complémentaire santé sera mise en œuvre par le biais du versement de cette contribution pour certains salariés dont la durée du contrat ou la quotité horaire ne dépasse des seuils fixés par décret.

La contribution versée par l’employeur bénéficiera du même régime social que sa participation au financement des contrats collectifs et obligatoires. Autrement dit, un salarié recruté pour un CDD d’un mois pourra refuser d’adhérer au régime santé de l’entreprise et demander le versement d’un « chèque santé » pour souscrire le contrat de son choix. Il devra toutefois prouver qu’il ne bénéficie pas déjà d’une aide pour acquérir une complémentaire santé, et il devra déclarer fiscalement la participation de son employeur à son contrat. On ne pouvait pas imaginer plus simple!

Touraine fait encore payer les salariés pour les retraités

Plus complexe et plus « Sioux » encore est le mode opératoire retenu pour honorer la promesse faite (par Hollande) à la FNMF en juin 2015 de généraliser la complémentaire santé aux retraités. C’est ici sous le quinquennat de Hollande: les promesses du Président n’engagent que ses ministres. On ne reviendra pas ici sur toutes les modalités prévues pour les retraités. On citera simplement les deux piliers magiques de l’article 21: l’un consiste à faire payer, sans le dire, la mesure aux salariés, l’autre consiste à limiter singulièrement le champ de la mutualité dans ce nouveau marché qui s’ouvre.

Pour faire payer les salariés, le gouvernement n’a rien trouvé de mieux que d’ouvrir un crédit d’impôt aux retraités sur les produits de la taxe de solidarité additionnelle aux cotisations d’assurance afférentes aux garanties de protection complémentaire en matière de frais de soins de santé souscrites au bénéfice de personnes physiques résidentes en France, créée en 2012 et prévue par l’article L 862-4 du Code de la Sécurité Sociale. Comme cette taxe additionnelle est discrètement facturée par les assureurs à leurs clients dans des augmentations de tarifs dont cette profession a le secret, autant dire que Marisol Touraine se livre à un exercice de prestidigitation demandant aux salariés (et aux entreprises) de payer pour les retraités.

Ces derniers ne pourront, comme la mutualité l’espérait, recourir au contrat de leur choix pour s’assurer. Le ministère des affaires sociales préfère recommencer son inepte procédure d’appel d’offres et de labellisation de contrats sur un critère « de montant des primes prépondérant ainsi que des critères relatifs à la qualité de service ». Cette vaste blague consiste à choisir un lot d’assureurs qui doivent tous assurer les mêmes garanties, mais à des prix différents. Là encore, les salariés vont, sans s’en rendre compte, payer pour des contrats qui ne leur profiteront pas.

Les salariés payent aussi discrètement pour les médecins

Enfin, petit cadeau aux syndicats de médecins dans une période de grogne contre la généralisation du tiers payant: la prorogation pour une période d’un an de la contribution à la charge des organismes complémentaires, dont le rendement est plafonné à 150 millions d’euros. Cette contribution devrait servir au « développement des nouveaux modes de rémunération des médecins ».

Cet habillage de façade est habile pour deux raisons.

Première raison: il permet de donner un coup de pouce aux médecins sans le dire. Ceux-ci vivent pour l’essentiel des remboursements de la sécurité sociale et des dépassements d’honoraires. La réforme des contrats responsables a plafonné les remboursements de ces dépassements par les complémentaires santé, de telle sorte que les restes à charge des classes moyennes vont exploser dans certains secteurs. Les premières victimes en seront les femmes actives, puisque ce sont les gynécologues des grandes villes qui pratiquent le plus allègrement les dépassements.

En plus de ce manque à gagner pour certains médecins, la négociation de l’ONDAM donne lieu à des révisions déchirantes. Marisol Touraine propose ici de contourner l’obstacle en donnant un peu de mou grâce aux organismes complémentaires.

Deuxième raison: ce ne sont évidemment pas les organismes complémentaires qui vont payer les médecins, mais les assurés, puisque les assureurs répercutent intégralement le coût de la fiscalité sur leurs tarifs. Autrement dit, sous couvert de mettre à contribution les méchants assureurs, Marisol Touraine est en train de saigner à blanc les assurés, et spécialement les actifs, en augmentant les tarifs de leur complémentaire santé tout en limitant les remboursements de leurs prestation.

Un étatisme ubuesque

Cette politique est évidemment ubuesque. Au lieu de laisser le marché jouer, et de faire porter le coût des restes à charge par les complémentaires santé, Marisol Touraine fait de la politique spectacle en donnant l’illusion de la solidarité, en jouant d’un habile « shaming » contre les complémentaires santé, mais en dégradant au jour le jour l’accès aux soins des classes moyennes. Pour y parvenir, elle met en place une usine à gaz qui fait l’unanimité des professionnels contre elle.

Dans la pratique, Marisol Touraine plafonne les remboursements et finance les actes médicaux par une taxe sur les assurés. Tout cela est ahurissant, et, une fois de plus, l’étatisme démontre sa capacité à donner l’illusion de la solidarité tout en pratiquant une dégradation nette de l’accès aux soins. Officiellement, Manuel Valls annonce des avantages pour les entreprises et une baisse de la pression fiscale pour les ménages. Mais Marisol Touraine mène une politique exactement inverse.

Article paru sur Décider & Entreprendre et sur le blog Jusqu'ici tout va bien

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