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Pire que le burn-out, le bore-out ? Comment l'ennui au travail peut aussi tuer
©Reuters

Au placard

Suicide, dépression, crises d'épilepsie, angoisse, vertiges, tremblements, perte de mémoire, risque de maladies cardio-vasculaires... A l'inverse du fameux burn-out, plus d'un tiers des Français souffriraient du syndrome du bore-out, provoqué par l'ennui au travail. Un phénomène sociétal qui ne cesse d'augmenter.

Christian Bourion

Christian Bourion

Christian Bourion est Professeur à l'ICN business school Nancy Metz, rédacteur en chef de la Revue internationale de psychosociologie et auteur de "Le bore-out syndrome" aux éditions Albin Michel en 2016.

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Atlantico : que signifie exactement le mot "bore-out" ?

Christian Bourion : C'est exactement l'inverse du mot burn-out. Le bore-out, c'est un ensemble de symptômes liés à la détérioration de la personnalité mentale et éventuellement psychique d'un individu.

Si le salarié travaille moins de deux heures dans sa journée ouvrée, le syndrome apparaît au bout d'un certain temps, dont nous ne connaissons pas encore exactement la durée.

Ses symptômes sont les mêmes voire un peu plus graves que ceux du burn-out (suicide, dépression, crises d'épilepsie, angoisse, vertiges, tremblements, perte de mémoire, risque de maladies cardio-vasculaires…). Je pense que la conséquence la plus dramatique de ce phénomère est que le bore-out développe ce que j'appelle "la maladie de l'incompétence" : un individu habitué à ne pas travailler pendant de trop longues années ne supportera pas de reprendre une activité normale, et devient alors inemployable.

Ce mal touche-t-il beaucoup de travailleurs ?

Oui, et c'est d'ailleurs ce qui constitue l'intérêt du phénomène. Alors que le burn-out est un phénomène assez rare, le bore-out toucherait un tiers des travailleurs selon nos estimations, avec une explosion du nombre de cas, de surcroit largement sous-estimés, car il s'agit d'une maladie honteuse : oser se plaindre pendant un diner entre amis ou en famille qu'on gagne 6000 euros par mois mais mais qu'on n'a plus rien à faire n'est pas franchement évident, et risque d'être pris au mieux à la rigolade ou au pire de créer un gros malaise.

Notre enquête repose sur le recensement de mots clés utilisés lorsque les sujets parlent de leur activité professionnelle. En 2011, on avait 17 millions de conversations qui évoquaient le fait de s'ennuyer à mourir au travail. En 2015, on recense  213 millions de mots clefs liés au fait d'être contraint de ne rien faire. L'augmentation par mots clés liés au bore-out la plus faible est de 126%, et la plus forte de 967%.

Comment expliquer ce phénomène ?

Le burn-out, ce n'est finalement que les derniers soubresauts de la période des trente glorieuses, pendant laquelle, sous l'influence des thèses marxistes, le travail était un outil de torture auquel il fallait échapper, car c'était souvent une question de survie. A l'époque du stakhanovisme, ceux qui s'y investissaient étaient considérés comme des héros.

Le bore-out, lui, est le reflet d'une société française gangrenée par le chômage de masse qui fonctionne encore avec les outils professionnels des trente glorieuses, complètement inadaptés à l'époque actuelle. Avant, lorsque l'on s'ennuyait à son travail, la solution était tout simplement de démissionner. Aujourd'hui, dans le secteur privé, les gens ont trop peur du chômage pour le faire, et les employeurs ont du mal à licencier, donc sont parfois obligés de recruter une nouvelle personne compétente en gardant celle qui n'est plus adaptée à son poste. Et c'est encore pire dans le secteur public, où les emplois sont garantis à vie. Lorsque la SNCF s'est par exemple très largement réformée il y a 3 ou 4 ans, 500 cadres supérieurs de très haut niveau se sont retrouvés démunis et rémunérés malgré tout, au point de ne plus sortir de chez eux.

Quels sont les secteurs qui sont le plus touchés par ce mal ?

D'abord, il y a tous les postes dont la fonction même est d'attendre la majorité du temps, comme concierge, gardien d'immeuble ou en encore policier, quand ils font ce qu'on appelle de la "planque" (ceux qu'ils font de plus en plus et dont ils se plaignent de plus en plus d'ailleurs).

Il y a 10 ou 15 ans, la fonction publique a commencé à être touchée par ce qu'on appelle "la mise au placard", qui consiste à mettre à l'écart une personne en arrêtant de lui donner des tâches à faire, et dans les cas les plus cruels, de cesser de communiquer avec elle.

Enfin, l'informatisation et la robotisation des tâches a vidé de leur contenu des milliers de postes. Comparez simplement le temps que vous mettez à écrire une lettre et à la faire parvenir à votre interlocuteur à l'envoi d'un mail, et vous comprendrez a quel point le contenu des métiers a profondément changé.

Comment s'occupent les employés qui n'ont rien à faire au travail ?

Ils passent principalement leur temps à voler le travail des autres, ce qui est un phénomène sociologique très nouveau. C'est par exemple le supérieur désœuvré qui va prendre en charge le dossier de son employé, sans que ce dernier ne puisse rien dire.

Ils y a aussi des travailleurs qui s'inventent de nouvelles tâches qui ne sont pas de leur ressort.

Enfin, ils trainent dans les couloirs, parlent et tiennent la jambe à ceux qui travaillent ou surfent sur Internet, partent du travail plus tôt et arrive en retard.

De manière générale, ils essayent de combler le vide le plus possible.

L'ennui au travail est-il plus dangeureux que d'autres formes d'ennui, que l'on peut notamment retrouver chez les adolescents par exemple ?

Celui au travail est particulièrement destructeur, mais je pense que toutes formes d'ennui sont dangeureux.  Il n'y a cas voir ces jeunes Français qui ne trouvent pas d'emploi et finissent par aller faire le djihad en Syrie.

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