Philippe, Bayrou, LR ou les sondages… : les faiseurs de roi en macronie sont-ils ceux qu’on croit ?<!-- --> | Atlantico.fr
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De nombreux responsables politiques considèrent qu’en cas de majorité relative LREM, certains gagneraient une forte influence pour monnayer leur soutien au gouvernement.
De nombreux responsables politiques considèrent qu’en cas de majorité relative LREM, certains gagneraient une forte influence pour monnayer leur soutien au gouvernement.
©Ludovic MARIN / AFP

Fonctionnement d'Emmanuel Macron

Nombre de commentateurs -ou de responsables politiques- considèrent qu’en cas de majorité relative LREM, certains gagneraient une forte influence pour monnayer leur soutien aux projets du gouvernement. Et si ça n’était pas du tout le cas…?

Louis  Hausalter

Louis Hausalter

Louis Hausalter est journaliste politique à Marianne, après avoir travaillé pour Europe 1. Il intervient régulièrement dans des émissions de télévision et de radio.

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William Thay

William Thay

William Thay est président du Millénaire, think tank gaulliste spécialisé en politiques publiques. 

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Chapitre 1 : Le fonctionnement d’Emmanuel Macron

Louis Hausalter, journaliste à Marianne et auteur avec Agathe Lambret de "L'étrange victoire : Macron II, l'histoire secrète", publié aux éditions de L’Observatoire, analyse le fonctionnement de la Macronie et des difficultés de ce second mandat.

Atlantico : Nombre de commentateurs -ou de responsables politiques comme Edouard Philippe, François Bayrou, Nicolas Sarkozy - considèrent qu’en cas de majorité relative LREM, certains gagneraient une forte influence pour monnayer leur soutien aux projets du gouvernement. Mais Emmanuel Macron se laisse-t-il influencer par ceux qui s’estiment, à tort ou à raison, être des faiseurs de roi ? Ceux qui le pensaient ont-ils obtenu quoi que ce soit ? 

Louis Hausalter : Dans notre livre L’étrange victoire, avec ma consoeur Agathe Lambret, nous racontons le système d’entourages - j’insiste sur le pluriel - mis en place par Emmanuel Macron. Comme la plupart de ses prédécesseurs, ce président fonctionne par cercles et cloisonne beaucoup. Nous avons notamment retracé les différents clans qui se sont activés autour de sa campagne : les Technos emmenés par le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler ; les Grognards comme Richard Ferrand et François Bayrou ; les Scénaristes qui sont ses conseillers en communication... Chaque arbitrage est souvent perçu comme la victoire d’un clan et la défaite d’un autre.

Il est vrai qu’une majorité relative compliquerait ce système de décision, car elle ouvrirait un nouveau champ de rivalités au sein même du Parlement, où François Bayrou et Edouard Philippe pourraient monnayer leur soutien. Mais après tout, peut-être est-il plus sain que les arbitrages se discutent aussi au Parlement, et pas seulement dans les couloirs feutrés de l’Elysée...

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Visiteurs du soir, alliés politiques, mouvement sociaux, sondages, qu’est-ce que le premier quinquennat d’Emmanuel Macron nous apprend de qui le président écoute-t-il vraiment ? 

Louis Hausalter : Emmanuel Macron n’est pas dans la main d’un conseiller unique et tout-puissant, même si Alexis Kohler tient une place centrale, ne serait-ce parce qu’il occupe le bureau le plus proche de celui du président. En bon libéral, il met ses proches en concurrence ! Comme nous le racontons dans le livre, il lui arrive souvent d’envoyer un message à plusieurs personnes au même moment pour leur demander leur avis sur un même sujet. Chacun se sent flatté, mais se rend compte plus tard qu’il est loin d’être le seul à avoir proposé une option au patron ! Cliver et cloisonner, c’est le prix de sa liberté, et c’est parfaitement logique pour un président. Mais, traumatisé par les gilets jaunes, Emmanuel Macron compte aussi beaucoup sur lui-même pour essayer de capter des signaux faibles. Nous révélons qu’il a un compte anonyme sur Twitter pour suivre les humeurs de l’opinion numérique, ou encore qu’il demande souvent à des conseillers de vérifier des infos plus ou moins farfelues qui trainent sur les réseaux sociaux...

La nomination de Pap Ndiaye, serait en grande partie due au conseiller Afrique du chef de l’Etat, ainsi qu’à Rima Abdul Malak, ancienne conseillère culture à l’Élysée. Est-ce le signe que, in fine, le président se laisse influencer selon un concours de circonstances et au gré d’un environnement gazeux ? Emmanuel Macron fait-il plus confiance à ses très proches conseillers et à des influences contradictoires ? 

Louis Hausalter : Il ne fait totalement confiance à personne, hormis son épouse Brigitte et sans doute Alexis Kohler. En revanche, il « achète » des idées à droite et à gauche (c’est le cas de le dire) au gré des circonstances et des influences. Nous racontons à quel point sa deuxième campagne présidentielle fut une lutte féroce entre les différents clans qui gravitaient autour de lui. Par exemple, le programme était plutôt une victoire des Technos, soucieux de rigueur budgétaire et de modernisation à tout crin, alors que la nette accélération de ses déplacements et ses interventions en fin de campagne était signée de ses communicants et des politiques, qui désespéraient que leur champion fasse une vraie campagne, à hauteur d’électeur.

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Vous venez de publier avec Agathe Lambret "L’Etrange victoire. Macron II l’histoire secrète" aux éditions de l’Observatoire. Quelles sont les perspectives d’Emmanuel Macron à l’issue des législatives, va-t-il continuer à n’écouter « personne »

Louis Hausalter : En fait, le président écoute tout le monde, ou à tout le moins, il fait semblant ! Nous racontons ces réunions à l’Elysée dans lesquelles Emmanuel Macron donne la parole à tous ceux qui sont autour de la table et ne dit rien de ses futures décisions. Il va même jusqu’à prendre des notes, même si personne n’a jamais su ce qu’il en faisait vraiment ! Depuis sa campagne, le président annonce une « nouvelle méthode », mais on ne se refait pas, et il est peu probable que sa méthode de décision change du tout au tout.

Quelles sont les conséquences démocratiques d’une telle situation ?

Louis Hausalter : Quels que soient l’époque et le régime, les luttes d’influence et les visiteurs du soir (physiques ou désormais numériques) ont toujours été au coeur de l’exercice du pouvoir. L’essentiel pour la démocratie, c’est que le citoyen en soit informé au mieux. C’est le but de notre livre.

Agathe Lambret et Louis Hausalter publient "L'étrange victoire : Macron II, l'histoire secrète" aux éditions de L’Observatoire

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Chapitre 2 : Des partis pivots sans pouvoir d’action ? 

WIlliam Thay, président du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques, analyse comment le manque de pouvoir d'action se nourrit et renforce la dévitalisation des partis politiques français.

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Atlantico : Que ce soit Edouard Philippe, François Bayrou, Nicolas Sarkozy ou d’autres, ils pensent et espèrent pouvoir influencer Emmanuel Macron dans ses décisions et obtenir des avancées politiques. Dans quelles mesures ces « faiseurs de rois » se fourvoient-ils sur leur capacité à obtenir des choses ? 

William Thay : Pour peser politiquement sur Emmanuel Macron, il faut disposer d’atouts politiques afin de leur rendre dépendant. Cela peut ainsi passer par avoir un groupe charnière à l’Assemblée nationale comme l’avait François Bayrou après la défection de plusieurs députés de la République en marche pendant le précédent quinquennat. Cela peut être en outre la disposition d’un capital politique pour s’adresser à des corps intermédiaires, à des segments de population ou à un camp politique comme l’a fait Nicolas Sarkozy pour la droite républicaine. 

En revanche, il ne faut pas que ce que vous offre le président de la République ne soit uniquement momentané, il faut que ce soit durable et non substituable par quelqu’un d’autre. À ce titre, Emmanuel Macron a utilisé Edouard Philippe pour s’adresser à la droite en première partie de mandat, mais a pu le remplacer par Nicolas Sarkozy par la suite. Cela pour plusieurs raisons : Edouard Philippe s’adressait aux Jupéistes lorsqu’on divise l’électorat de droite en 3 selon l’offre politique de la primaire de 2016. Pour aller plus loin, le président de la République a préféré prendre Nicolas Sarkozy qui s’adressait encore plus au cœur de l’électorat LR. Ainsi, Edouard Philippe n’avait plus aucune utilité comme l’a démontré la campagne présidentielle de 2022.

Le poids des trois acteurs sera différent en fonction des résultats électoraux du second tour des élections législatives. Si vous prenez la situation où Emmanuel Macron possède une large majorité à l’Assemblée nationale entre 310 et 320 sièges, alors ce sera François Bayrou qui aura un rôle clé. Dans cette configuration, le Modem aura un rôle pivot qui permet au Chef de l’État de se passer d’Edouard Philippe, mais Renaissance n’aura pas assez de sièges sans les députés de Bayrou, ce qui lui donne une force politique.

Dans l’hypothèse, où Emmanuel Macron possède une majorité absolue mais plus étroite, il aura besoin des députés Horizons d’Edouard Philippe. Dans le scénario, où il n’a pas la majorité absolue alors Emmanuel Macron aura besoin de Nicolas Sarkozy pour convaincre certains députés LR de soutenir le Gouvernement sur certaines réformes ou à minima s’abstenir pour laisser passer une majorité relative.

Pourquoi ceux qui pourraient se prévaloir légitimement de peser sur le quinquennat, notamment par le soutien des urnes, n’y parviennent pas ?

William Thay : L’offre politique d’Emmanuel Macron comporte un élément essentiel : la souplesse idéologique permise par la volonté de dépasser les clivages. On peut observer que le président de la République est assez souple sur le plan politique. Il a d’abord commencé au centre gauche pour offrir une substitution à la non-candidature de François Hollande en 2017 avant de s’élargir au centre avec François Bayrou. Puis, il a continué à braconner sur les terres du centre-droit en nommant Edouard Philippe à Matignon. Il a chassé sur les terres de la droite au premier tour de l’élection présidentielle pour dévitaliser le vote en faveur de Valérie Pécresse avant d’entamer un tournant à gauche pour séduire l’électorat de Mélenchon. 

Ces changements stratégiques et politiques ne permettent pas à un acteur quel qu’il soit d’influencer durablement sur la politique menée par Emmanuel Macron. En effet, ce dernier va utiliser une personnalité politique en fonction de ses besoins du moment. S’il a besoin de parler à la droite, il va faire appel à une personnalité de droite et inversement pour lorsqu’il a besoin de s’adresser à la gauche. Cela conduit ainsi les personnalités que vous avez cités à avoir une utilité à un moment précis selon les besoins stratégiques du chef de l’État. Ainsi les personnalités qui souhaitent peser auprès d’Emmanuel Macron sont soumis à son orientation stratégique du moment et au contexte.

Ainsi lorsqu’une personnalité peut se prévaloir du soutien des urnes, il n’est utile à Emmanuel Macron qu’en période électorale. Mais il existe déjà plusieurs limites et interrogations : est-ce que le président de la République qui ne peut pas se représenter en 2027 va y attacher autant d’importance que lors du précédent quinquennat ? Il n’y a que deux élections intermédiaires lors de ce quinquennat : les élections européennes en 2024 et les élections municipales en 2026. Qui peut apporter plus qu’Emmanuel Macron lors des élections européennes ? Est-ce que Emmanuel Macron va attacher beaucoup d’importance aux élections municipales alors qu’il lui suffit de laisser les élus locaux gagner sous leur étiquette avant de les séduire après ? Avec cette dernière interrogation, je pense notamment aux élus de PACA comme Christian Estrosi et Renaud Muselier qui ont gagné avec l’étiquette LR avec de se laisser convaincre de rejoindre la majorité présidentielle après l’élection.

Le fait que certains responsables, malgré le poids des urnes, n’arrivent pas à influencer le président [Comme François Bayrou qui voulait introduire la proportionnelle et ne l’a pas obtenu en 5 ans] est-il le signe, au-delà de la personnalité du président, d’une dévitalisation des partis politiques ? 

William Thay : Il faut voir ce que l’on met dans la dévitalisation des partis politiques. Je dirais qu’Emmanuel Macron est influençable mais les mouvements d’opinions avec plusieurs exemples marquants : le mouvement des Gilets jaunes, les questions régaliennes, le nucléaire et la politique économique. On a observé dans le précédent quinquennat qu’Emmanuel Macron a fait évoluer ses positions en fonction des mouvements d’opinions ou à partir d’événements marquants. 

Il a fait évoluer ses relations avec les élus locaux qui ont été très conflictuelle en début du précédent quinquennat avant d’essayer de les séduire avec l’apparition des Gilets Jaunes et la mise en place du Grand débat. Alors qu’il était taxé de laxisme sur les questions régaliennes, il a nommé Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur et a tenté d’avoir des positions plus fermes sur ce sujet. Sur le nucléaire, il avait des positions proches des décroissantistes verts avant de lancer la construction de nouvelles centrales. Il s’est fait élire sur un programme libéral-social ressemblant à ce que pouvaient proposer Michel Rocard et Dominique Strauss-Kahn avant de se convertir au keynésianisme avec l’apparition de la crise sanitaire et la politique du « quoiqu’il en coûte ».

Je vois ainsi davantage la question de la dévitalisation des partis politiques comme l’incapacité de ces derniers à imposer un thème ou à convertir les Français sur les enjeux majeurs. Lorsque les partis politiques arrivent à imposer un thème auprès des Français, vous êtes quasiment certains qu’Emmanuel Macron va épouser la philosophie du parti politique ayant inscrit ce thème dans le débat public. Ce fut notamment le cas sur les questions régaliennes imposées par la droite et le Rassemblement national par exemple ou encore la question du nucléaire.

Pour reprendre votre exemple sur François Bayrou, il n’a pas réussi à imposer la question de la proportionnelle auprès d’Emmanuel Macron parce qu’il n’a pas imposé ce thème dans le débat public pour créer une pression par le bas. Cependant, avec l’apparition de la crise sanitaire et la volonté de renouer avec l’ère keynésienne, il a réussi à avoir le Commissariat au plan qui était plus en phase avec les aspirations des Français.

Si Emmanuel Macron se laisse influencer par ses conseillers, au gré du vent ou de l’actualité. Quelles sont les conséquences sur les institutions et la démocratie ?

William Thay : Plus que l’influence de ses conseillers, Emmanuel Macron est davantage le président de l’ère du temps voir de l’ère du vent pour ses détracteurs. La confrontation avec le réel et notamment les Gilets jaunes ont conduit à une évolution majeure dans sa conception du rôle de président de la République. Il n’est plus là pour impulser un changement, une dynamique ou une révolution mais être le réceptacle des préoccupations des Français. Ce point possède une limite, il ne faut pas que ces préoccupations soient antagonistes avec le cœur philosophique du macronisme qu’est le progressisme. Cela exclut notamment les aspirations des Français sur les questions civilisationnelles, sociétales, migratoires ou encore sur la souveraineté.

De ce fait, nous assistons implicitement à un changement de régime qui rompt avec la social-démocratie. Les corps intermédiaires dont les partis politiques n’ont pas assez d’emprise sur l’opinion publique pour être le réceptacle des mouvements d’opinions. Ils sont remplacés par une sorte de démocratie directe où l’exécutif prend en compte les mouvements d’opinions et les conseillers sont chargés d’y apporter une traduction politique. Seulement, ce système éprouve plusieurs limites : est-ce que les conseillers de l’exécutif qui sont homogènes dans leur parcours et leur sensibilité politique sont en phase avec les grandes mutations que nous vivons ? Est-ce que les conseillers du cercle de la raison (libéraux, européens, progressistes) peuvent comprendre la révolte des classes moyennes qui contestent la mondialisation et les thèses néolibérales ? Est-ce qu’ils peuvent comprendre le retour du tragique en Europe avec des relations internationales marquées par les rapports de force et la volonté de puissance qui tournent la parenthèse de la Fin de l’Histoire prophétisée par Francis Fukuyama ? Est-ce qu’ils peuvent comprendre le besoin de protection économique, régalienne par plus de souveraineté et le retour des États-nations avec l’apparition de la crise sanitaire ?

Enfin, j’ajouterais que ce style est très efficace sur le plan politique mais moins en matière de grande Politique. Cela accentue les difficultés des démocraties en matière de raisonnement à court terme face aux régimes autoritaires qui peuvent penser à long terme. Cela vous conduit à raisonner davantage en termes d’émotion qu’en termes d’efficacité. Cela vous oblige à prendre en compte les minorités agissantes qui peuvent laisser place à la dictature des minorités. De plus, cela ne permet pas de rompre avec le Malheur français puisque cela empêche de prendre les décisions difficiles pour rompre avec les 40 années de déclin de la France marquée par l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981. En soit, cela empêche Emmanuel Macron de faire ce qu’il avait promis en 2016 avec son livre : la Révolution pour déverrouiller les blocages français.

William Thay, président du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques

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