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Peut-on vraiment parler d’un recul de l’industrie française ?
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Bonnes feuilles

Alors que la France conserve de réels atouts qui font sa force et parfois son originalité, les thèses "déclinistes" pointent des fragilités qu'il serait absurde de nier. Extrait de "Le déclin français : mythe ou réalité ?" (1/2).

Alain  Chaffel

Alain Chaffel

Alain Chaffel est agrégé, Docteur en histoire et Professeur de chaire supérieure en classe préparatoire.

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Depuis une trentaine d’années, l’industrie a perdu plus de 2 millions d’emplois (5,1 millions en 1980, 3 en 2011) sous l’effet de l’intensification de la concurrence internationale, des restructurations et des délocalisations. Pourtant l’industrie française reste puissante et conserve de nombreux atouts.

Le recul industriel est réel

Les positions françaises ont reculé dans plusieurs secteurs et certaines branches ont connu une baisse de leur production. Les industries de la chaussure ou des jouets périclitent. Le repli le plus spectaculaire concerne le textile où la production nationale est passée du 6e au 24e rang mondial pour le filé de coton, du 7e au 20e rang pour les textiles synthétiques. Le secteur de l’habillement a vu ses effectifs chuter de 70 % entre 1986 et 2006, avec une accélération depuis 10 ans. Les importations de tissus et de vêtements en provenance des pays en développement, où la main-d’oeuvre est bon marché, alimentent cette hémorragie. Certaines régions ont été particulièrement touchées. De nombreuses entreprises travaillant les fibres naturelles dans le Nord-Pas-de-Calais ou l’Est alsacien et lorrain ont disparu. Des petites villes, dont les industries traditionnelles constituaient la base de leur activité économique ont été sinistrées comme Romans-sur-Isère, ancienne « capitale» de la chaussure de luxe. D’autres secteurs ont souffert, comme la sidérurgie, la construction navale ou la fabrication de machines-outils. En trente ans, la production française d’acier est passée du 5e au 11e rang mondial. Entre 2003 et 2012, la production de voitures dans l’Hexagone a presque diminué de moitié. L’industrie a connu une forte chute d’activité en 2008 (− 4,3%) et en 2009 (− 7,5%). Malgré un rebond depuis 2010, elle n’a pas retrouvé fin 2012 son niveau de 2007. Encore excédentaire en 2002, la balance commerciale de l’industrie française est déficitaire depuis 2005.

Au total, la place de l’emploi industriel dans l’emploi total est passée de 24,8 % en 1978 à 12 % en 2011. La part de l’industrie (hors construction) dans la valeur ajoutée totale française est passée de 18 % en 2000 à 12,5 % en 2011. C’est la moitié de l’Allemagne (26,2 %). L’industrie française souffre d’une crise de l’offre (voir p. 25-26). La compétitivité française est handicapée par une production industrielle trop centrée sur le milieu de gamme, comme l’automobile, très sensible à la variation des prix car les marges sont faibles. Les produits français manquent également de variété. Au moment où les pays émergents décollent, l’industrie n’est pas assez spécialisée sur des créneaux porteurs comme les biens d’équipement. Elle ne produit presque aucun objet nomade essentiel comme les ordinateurs portables. Elle se désengage de l’électronique grand public ou de l’électroménager. Elle n’est pas assez forte dans les biotechnologies et les nanotechnologies. Elle recule sur le marché des nouvelles technologies dominé à 65 % par les États-Unis (étude Oliver Wyman, 2011).

La qualité, la diversité et le service après-vente des produits allemands font la différence face à un produit français jugé interchangeable et peu compétitif face aux productions des pays émergents en plein essor (la Chine représentait 2 % du commerce mondial en 1999 et 10,1% en 2012). Par conséquent, les produits français sont enfermés dans une concurrence par les prix dont ils n’ont aucune chance de sortir victorieux. Ces handicaps sont dus à l’insuffisance des investissements, de l’innovation et de la créativité. « Afin de conserver des prix compétitifs, les industries françaises ont été contraintes de rogner leurs marges qui ont baissé de 30 % à 21 % de 2000 à 2011, alors qu’elles progressaient de 7 % en Allemagne. Cette évolution a eu pour conséquence de dégrader leurs taux d’autofinancement et de restreindre leurs investissements de productivité et d’innovation » (Rapport Louis Gallois).

Les investissements privés et publics dans la recherche et le développement sont inférieurs à ceux de nos principaux rivaux. Ils représentent 2,2 % du PIB contre 2,8 % en Allemagne, 2,7 % aux États-Unis, 3,4 % au Japon et en Corée du Sud et 4 % en Suède selon l’OCDE. La part des investissements privés est plus faible en France qu’ailleurs selon l’Observatoire des sciences et des techniques et l’OCDE. En 2009, le budget R&D de Peugeot était de 2,3 milliards d’euros, contre près de 6 milliards chez Volkswagen, « et ce montant est concentré dans un petit nombre de filières… quand la recherche allemande se déploie tous azimuts » (P. Artus, M.-P. Virard). Selon le cabinet de conseil McKinsey, 54 % d’un panel d’entreprises françaises ont innové entre 2006 et 2008, contre 85 % d’un panel équivalent d’entreprises allemandes. C’est pourquoi les entreprises françaises ne représentent que 7,7 % des brevets accordés par l’Office européen des brevets en 2011, loin derrière le Allemands (21,9 %) et les Américains (21,5 %). Si, structurellement, la réduction des entreprises de services s’explique par l’externalisation des entreprises de services (20 % à 25 %), par les gains de productivité liés à l’informatisation, l’automatisation et la réorganisation (30 %), la concurrence étrangère serait responsable du reste, selon la statisticienne Lilas Demmou.

L’industrie française reste pourtant puissante et conserve de nombreux atouts

Grâce, notamment, aux progrès techniques, à l’automatisation des chaînes de production et aux restructurations d’entreprises, les gains de productivité ont permis d’accroître la production. Le recul de l’emploi industriel s’explique en partie par le jeu de la sous-traitance et l’externalisation de nombreux emplois industriels dans le secteur des services (service informatique, service juridique, logistique, entretien et maintenance des locaux, restauration, publicité, etc.). Des emplois comptabilisés autrefois dans le secteur secondaire le sont désormais dans le tertiaire. La baisse du nombre d’actifs dans l’industrie est en réalité presque deux fois moins forte que ne le laissent entendre les chiffres bruts. Par ailleurs, la place de l’industrie dans l’ensemble du système productif est plus importante qu’il n’y paraît car elle induit un effet d’entraînement sur le reste des activités économiques supérieur à celui des services. « Elle représente sans doute encore plus de 5 millions d’emplois si l’on additionne les emplois directs, les intérimaires et les services à l’industrie. Or, c’est l’industrie qui verse des salaires élevés et qui est capable de proposer des emplois qualifiés » (P. Artus, M.-P. Virard). Totalisant 76 % des exportations françaises et près de 80 % des dépenses de R & D des entreprises, elle joue toujours un rôle central dans le dynamisme économique de la France et dans sa compétitivité.

L’industrie française est puissante dans de nombreux domaines. Dans l’aéronautique, Airbus – où la France occupe une position centrale avec l’Allemagne – fait presque jeu égal avec l’Américain Boeing, dans un marché en plein essor. Ariane Espace (France, Allemagne, Royaume-Uni) assure 50% des lancements de satellites du monde. L’industrie d’armement reste performante (la France est le 4e exportateur mondial). L’industrie automobile se maintient au 2e rang européen derrière l’Allemagne et au 5e rang mondial (9,3 % de la production mondiale en 2011), tandis que la construction de TGV a permis de relancer le secteur ferroviaire. Le bâtiment et les travaux publics sont également puissants. Dans l’énergie, la France est en pointe pour la construction des centrales nucléaires ainsi que dans la recherche et l’exploitation des hydrocarbures. L’industrie chimique (6e mondiale) est un des moteurs du commerce extérieur. Air Liquide poursuit sa croissance dans le club fermé des fabricants de gaz industriel et investit dans deux secteurs d’avenir : l’énergie et la santé. Grand producteur d’hydrogène au service de nombreux procédés industriels – polymères, carburants, huiles –, l’entreprise s’intéresse activement à l’hydrogène comme vecteur d’énergie propre. La pharmacie, malgré ses lacunes, conserve encore de solides atouts qui font de la France le premier producteur de médicaments en Europe et le troisième du monde. La domination française dans le secteur des industries de luxe, avec Dior, Guerlain, Vuitton ou Hermès, est remarquable. La virtuosité de la main-d’oeuvre et la créativité jouent un rôle décisif. Le chiffre d’affaires des entreprises françaises augmente à un rythme soutenu. Elles assurent plus du quart des ventes mondiales de luxe. Comme le nombre de ménages riches augmente rapidement sur la planète, particulièrement dans les pays émergents, les exportations explosent. Les deux tiers sont réalisés hors d’Europe, principalement en Amérique du Nord et en Asie.

L’industrie agroalimentaire française est la troisième du monde, derrière celles des États-Unis et de l’Allemagne. Elle conserve une longueur d’avance sur les produits très transformés (yaourts, chocolats, biscuits) et brille avec les productions du terroir comme le fromage – 761 variétés de fromages –, le foie gras et surtout les vins et spiritueux qui représentent le premier excédent commercial du secteur de l’agroalimentaire. Les ventes de vin ont augmenté de 63 % en Chine en 2011. Autre point positif, l’image des produits français, en termes de qualité, d’innovation, de service commercial et de service après-vente s’est nettement améliorée depuis 15 ans. Selon le Centre d’observation économique de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, qui mène chaque année une enquête portant sur l’image des produits français auprès des importateurs de six pays européens, les produits industriels français restent fortement appréciés en ce qui concerne la qualité, le design et les réseaux de distribution. L’image « hors prix» des biens d’équipements et des biens intermédiaires est proche de celle des produits allemands, qui font figure de référence en la matière.

Extrait de "Le déclin français : mythe ou réalité", Alain Chaffel, (Edition Bréal), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici



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