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Un protectionnisme intelligent et capable de redresser l'industrie française est-il possible ?
Un protectionnisme intelligent et capable de redresser l'industrie française est-il possible ?
©Flickr

To protect or not to protect ?

Lors de la dernière émission "Des paroles et des actes", Bruno Le Maire et Marine Le Pen se sont écharpés sur le thème du protectionnisme. Fin janvier, Arnaud Montebourg et Laurent Wauquiez avaient, eux aussi, eu un débat virulent autour de ce sujet. Mais un protectionnisme intelligent et capable de redresser l'industrie française est-il seulement possible ?

Alexandre Delaigue,Michel Fouquin et Jean-Luc Sauron

Alexandre Delaigue,Michel Fouquin et Jean-Luc Sauron

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'Ecole militaire de Saint-Cyr Coëtquidan. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

Michel Fouquin est conseiller au Centre d'Etudes Prospectives et d'Informations Internationales (CEPII) et professeur d'économie du développement à la faculté de sciences sociales et économiques (FASSE).

Jean-Luc Sauron est professeur à Paris Dauphine et président de l'Association des Juristes Européens.

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Atlantico : Lors de la dernière émission "Des paroles et des actes", Bruno Le Maire et Marine Le Pen se sont écharpés sur le thème du protectionnisme. Fin janvier, Arnaud Montebourg et Laurent Wauquiez avaient aussi débattu autour de ce sujet. Mais un protectionnisme intelligent et capable de redresser l'industrie française est-il seulement possible ?

Alexandre Delaigue : Le débat "libre-échange contre protectionnisme" est un débat miné par le vocabulaire. Les uns parlent de "libre-échange" comme si quelques points de droits de douane constituaient une atteinte aux libertés individuelles fondamentales ; les autres évoquent la "protection" comme si le monde extérieur était rempli de bêtes féroces désireuses de dévorer nos filles, nos compagnes, et surtout, nos industries. La première chose à faire pour clarifier ce débat est de le dépassionner.

Comme le montre l’analyse économique avec constance depuis plus de deux siècles, l’ouverture aux échanges a pour un pays le même impact que le progrès technique. Le pays se spécialise dans ce dans quoi il est le plus efficace, ce qui élève la productivité, c’est ce qu’on appelle les avantages comparatifs ; l’ouverture, par ailleurs, en élevant la concurrence, en donnant accès aux technologies importées, en confrontant les entreprises nationales au marché mondial, joue le rôle d’accélérateur de croissance. Comme le progrès technologique, cela a des effets négatifs ; de la même façon que les maréchaux-ferrants ont dû fermer boutique avec le développement de l’automobile, l’ouverture détruit l’emploi dans les secteurs peu productifs soumis à la concurrence étrangère. S’il en résulte un avantage pour l’économie nationale dans son ensemble, c’est une piètre consolation pour ceux qui perdent leur emploi au passage.

L’analyse économique et l’expérience historique, en particulier celle des pays émergents, montrent par ailleurs que si tous les pays qui se sont développés l’ont fait en réduisant leurs barrières douanières, cette ouverture a le plus souvent été contrôlée et accompagnée de politiques industrielles actives (voir le cas de la Corée du Sud). Et on peut identifier toute une série de situations dans lesquelles un pays peut en théorie améliorer sa situation par des mesures protectionnistes ciblées. Airbus n’aurait jamais existé sans une politique industrielle active : mais si Airbus s’était vu réserver le marché européen, sans la concurrence de Boeing, elle aurait produit éternellement des merveilles technologiques invendables, comme le Concorde.

Est-ce vraiment la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui ? La diminution de l’emploi industriel est une tendance mondiale : la productivité augmente bien plus vite que la demande de produits manufacturés. Par ailleurs, l’industrie s’organise aujourd’hui au sein de chaînes de valeur mondiales, ce qui fait que les entreprises qui exportent sont aussi celles qui importent. Le premier résultat de restrictions sur les importations serait de réduire la compétitivité des exportations et de pénaliser les entreprises industrielles nationales !

Par ailleurs, si l’on peut identifier en théories des secteurs susceptibles de bénéficier de politiques protectionnistes, la pratique nous montre que le protectionnisme est concentré soit sur des secteurs déclinants (le textile, la sidérurgie) soit sur des secteurs bénéficiant de grandes capacités d’influence politique, comme l’agriculture. En prétendant faire une politique protectionniste "intelligente" et "d’avenir" on se contente le plus souvent de protéger les canards boiteux et les lobbys.

Le protectionnisme est enfin parfois justifié par la protection de l'environnement : transporter des marchandises sur des milliers de kilomètres n'est-il pas mauvais pour la planète ? En pratique rien n'est moins sûr. Les transports ne constituent qu'une part minime de l'empreinte environnementale des produits. Dans le café du matin, les grains de café venant de l'autre bout de la planète dégagent bien moins de gaz à effet de serre que la goutte de lait des vaches du village voisin ! De même, des roses arrivant par avion du Kenya génèrent deux fois moins de carbone, transport compris, que des roses hollandaises qui poussent dans des serres chauffées au gaz. Une taxe carbone aux frontières peut en théorie se justifier si une taxe équivalente existe sur le territoire national : mais elle est en pratique extrêmement difficile à appliquer, faute de pouvoir identifier exactement l'empreinte carbone d'un produit.

Michel Fouquin : 2013 sera une année noire pour l’économie européenne avec son cortège de licenciements et de drames personnels. Y aura-t-il cependant une lumière au fin fond de l’année ? Bien malin qui peut le prédire. Dans ces circonstances on a le choix entre deux types de réactions : protégeons-nous de l’extérieur, méfions-nous de Bruxelles qui n’y comprend rien et préservons notre singularité pour ne pas dire notre identité ; l’autre consiste à vouloir faire table rase des avantages acquis (des fonctionnaires, des salariés qu’on ne peut licencier à volonté ou des minimum sociaux etc.) qui pèse sur la compétitivité de l’économie française.

Ni l’un ni l’autre ne sont de bonnes réponses.

Le protectionnisme commercial a eu ses heures de gloire : lorsqu’au début des années 80 les constructeurs automobiles japonais menaçaient la planète de leurs exportations galopantes, Ronald Reagan et les Européens érigeaient des barrières quantitatives à l’importation de ces véhicules, en violation totale des principes établis par le GATT (ancêtre de l’OMC). A l’abri de cette protection les constructeurs américains et Européens ont su restructurer leurs secteurs et rétablir leur compétitivité, et les Japonais ont du délocaliser une partie de leur production vers les marchés de consommation, réduisant ainsi les tensions commerciales. Au total tout le monde a été gagnant sur le long terme.

L’industrie automobile est de nouveau au centre de la crise industrielle européenne actuelle, mais le protectionnisme n’est plus du tout la solution : la Chine n’exporte pas de voitures par contre elle accueille les investisseurs occidentaux. La faiblesse des constructeurs généralistes européens tient au fait que la demande intérieure européenne s’est effondrée comme conséquence de la crise financière. Que ce soit Opel, VW, ou pire Ford Europe tous sont en difficultés, Renault ne fait pas pire qu’eux. La survie pour GM et VW c’est de produire en Chine et plus généralement dans les marchés émergents où la demande est dynamique. C’est en Chine dont il est le premier producteur que GM a réussi son redressement et accumulé les profits alors que ce constructeur était en faillite en 2008. La reprise de la demande américaine a été le second facteur qui a consolidé le redressement des constructeurs américains, allemands et Japonais. La solution n’est donc pas moins de mondialisation mais plus ! Les grandes entreprises françaises du CAC40 dont la bonne santé contraste avec la morosité ambiante apporte la preuve que notre pays est capable de jouer la mondialisation gagnante. 

Le principal adversaire industriel de la France n’est pas la Chine mais l’Allemagne et le goût des consommateurs français pour les grosses voitures allemandes. Il n’est pas question d’établir une protection contre les véhicules allemands. Il reste aux constructeurs français à faire preuve de leurs qualités créatives.

Dans d’autres secteurs il est clair que la Chine recourt à des méthodes de financement lui assurant des avantages compétitifs anormaux, le recours aux droits antidumping s’avère parfaitement justifié dans ces cas. Il en va ainsi par exemple des panneaux solaires où les aides financières chinoises ont conduit à un surinvestissement dramatique des entreprises chinoises qui, du coup, inondent le marché mondial de leurs produits à prix cassés, c'est-à-dire en dessous de leurs prix de revient ce qui est illégal et pousse à la faillite des entreprises européennes. Mais lorsque la Commission européenne envisage de surtaxer de 40% environ les importations chinoises ce sont les installateurs européens qui s’insurgent et assurent que cela menace les emplois qu’ils ont créés grâce au bas prix des panneaux importés.

Le monde vit une transition majeure avec la montée en puissance des économies émergentes qui sont autant de défis auxquels il faut faire face et le protectionnisme ne pourra, dans ce cas, être que d’une utilité  marginale, il en est de même pour faire face au défi allemand[1].

Alors que faire ?

Les négociations salariales sont une partie de la solution, l’allégement des contraintes réglementaires qui entravent la créativité des PME est un autre aspect, la réforme de la fiscalité en faveur absolue des activités productives, la réforme de l’indemnisation du chômage qui est la plus généreuse du monde (à part le Danemark) etc. C’est à nous et à personne d’autre de faire les ajustements nécessaires, à savoir accepter de perdre à court terme pour garantir l’avenir à long terme. Après des années de rigueur salariale les salaires allemands ont commencé de croitre plus vite que les salaires français et l’inflation en France est un peu moins faible qu’en Allemagne.

La résorption des déséquilibres macro-économiques pèse lourdement sur la croissance européenne ce qui à son tour retarde la reprise, sortir de ce piège est probablement prioritaire.



[1] On n’a pas parlé ici du secteur agroalimentaire qui est pourtant celui où les aides européennes  sont les plus importantes. Il faudrait expliquer pourquoi ces dernières années l’agriculture allemande gagne des parts de marché et la France en perd. Il semble que la responsabilité ici soit du coté des syndicats agricoles français en charge de la distribution des aides !

Jean-Luc Sauron : Cette qualification "d'intelligent" du protectionnisme a-t-il un sens ? S’agit-il d’une modernisation du protectionnisme ayant conduit à la crise des années 30 ? En réalité, le débat qui est posé n’est pas le bon. C’est moins la question du protectionnisme que celui du pouvoir politique qui le manie qui est la véritable problématique.

Aujourd’hui, en France, notamment, les "nouveaux protectionnistes" se recrutent essentiellement dans les marges politiques (Front national ou eurosceptique de droite ou d’extrême gauche), c’est-à-dire dans ceux qui se referment sur l’espace national par crainte de la mondialisation (extrême-droite) ou par manque d’appréhension d’une internationale qui a disparu ! Au contraire, le protectionnisme n’a de sens que dans l’espace de la mondialisation et non dans celui du seul espace européen (Union européenne).

La question de la nature du pouvoir, qui institue le protectionnisme, est celle qui mérite d’être posée. Le président Barack Obama est le président des Etats-Unis qui a pris le plus de mesures protectionnistes depuis le président Edgard Hoover (1928-1932). Tous les Etats continents (Brésil, Chine, Inde) prennent des mesures protectionnistes intelligentes ou pas.

Le frein à une politique protectionniste européenne ou à sa définition est double.

Tout d’abord, toute mesure protectionniste est "intelligente" à condition d’être prise en fonction d’un territoire précis et de ses difficultés. Si le président Obama prend des mesures protectionnistes "intelligentes" c’est qu’il n’a pas à négocier avec les 50 Etats des Etats-Unis. Il a la charge de l’espace nord-américain. L’Union européenne est, en réalité, un puzzle économique, un ensemble de territoires à contenu économique différent. Les mesures protectionnistes ne sont prises par l’Union européenne que si elles rencontrent une majorité pour ce faire. Aujourd’hui comment prendre une mesure sur le protectionnisme du secteur de la construction automobile dans une Union européenne où moins de 5 Etats sur 27 sont concernés par cette industrie ? Seul un gouvernement économique européen, pensant et défendant l’espace économique européen dans sa globalité et chargé de le faire, aura la capacité décisionnelle pour agir.

Ensuite, cette possibilité de prises de décisions protectionnistes n’aura de sens que si l’autorité politique "européenne", en charge de l’espace européen, dispose des leviers économiques stratégiques pour construire un espace cohérent. Ces leviers sont de deux types : une politique industrielle que confortent la politique protectionniste et une politique des investissements qui dynamise cette carte des centres de production de richesses.

Là encore, le bon niveau d’intervention n’est pas le niveau national. Un protectionnisme intelligent, car européen, demande par ailleurs un budget conséquent pour construire une politique commerciale aussi stratégique. C’est peu dire que les décisions prises par le Conseil européen le 8 février 2013 sur le cadre financier pluriannuel tournent le dos à telles nécessités...

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