Pétain, Vichy et la Résistance, selon Charles de Gaulle<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photographie prise en 1940 à Londres du général de Gaulle s'entretenant avec un officier.
Une photographie prise en 1940 à Londres du général de Gaulle s'entretenant avec un officier.
©STF / AFP

Bonnes feuilles

Marcel Jullian a publié "De Gaulle, traits d’esprit" aux éditions du Cherche Midi. Tous les Français connaissent Charles de Gaulle, le militaire, le politique, l'homme d'État, et sa gouaille, son esprit, son sens de l'humour, de la repartie et, bien sûr, sa causticité inimitable. Chacun de ses "Traits" faisait mouche, quelle qu'en fût la cible, mais l'humour, féroce à souhait, n'était jamais vraiment gratuit. Extrait 1/2.

Marcel Jullian

Marcel Jullian

Marcel Jullian est écrivain, éditeur, scénariste et réalisateur français.

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PÉTAIN

VU PAR CHARLES DE GAULLE

Pétain rêve d’entrer à l’Académie. Il commande à son Cabinet et sous ses directives d’écrire un texte. Son poulain, le capitaine de Gaulle, est chargé de cette mission et écrira entre 1925 et 1927 Le Soldat à travers les âges.

18 janvier 1928. Lettre au colonel Lucien Nachin.

« Le Soldat du maréchal Pétain et de votre serviteur est fini, vous en êtes témoin, mais la décision ne vient pas. Il sortira, pourtant, un jour, dussé-je m’en charger tout seul. Ah ! si je connaissais un éditeur aux reins et au cœur solides qui fût en même temps discret et voulant faire paraître l’ouvrage tout à coup sous les pseudonymes X et Y ! »

*

En 1938, le colonel de Gaulle décide de publier La France et son armée. Pétain s’insurge et, dans une lettre indignée, dénonce le procédé comme « inqualifiable » sous prétexte qu’il s’agit en partie d’un « travail d’état-major ». Réponse du 18 août 1938.

« Au surplus, monsieur le Maréchal, et sans épiloguer sur les raisons qui vous firent, voici onze ans, mettre fin à ma collaboration, il ne vous échappera certainement pas qu’au cours de ces onze années [entre 1927 et 1938] les éléments de cette affaire ont changé pour ce qui me concerne. J’avais trente-sept ans ; j’en ai quarante-huit... Moralement, j’ai reçu des blessures – même de vous, monsieur le Maréchal –, perdu des illusions, quitté des ambitions. Du point de vue des idées et du style, j’étais ignoré, j’ai commencé de ne plus l’être. Bref, il me manque, désormais, à la fois la plasticité et l’incognito qui seraient nécessaires pour que je laisse inscrire au crédit d’autrui ce que, en matière de lettres et d’histoire, je puis avoir de talent. »

*

Le 28 août, le Général et Pétain se rencontrent 8, square de Latour-Maubourg. L’entrevue se passe mal.

« De Gaulle, je vous donne l’ordre de me rendre ces épreuves.

– Monsieur le Maréchal, vous avez des ordres à me donner en matière militaire. Pas sur le plan littéraire. »

*

Dédicace de l’exemplaire n° 1 sur vélin pur fil Lafuma.

« Au maréchal Pétain,

« Cet essai, Monsieur le Maréchal, ne saurait être dédié qu’à vous, car rien ne montre mieux que votre gloire quelle vertu l’action peut tirer des lumières de la pensée. »

*

Le 20 juin 1929. Lettre au colonel Lucien Nachin.

« On s’occupe du discours de réception du Maréchal à l’Académie. C’est pour plus tard, le plus tard possible. Il s’agit de faire l’éloge de Foch que l’autre ne pouvait pas sentir ; et réciproquement... »

*

TÉMOIGNAGES

Dans un entretien du 24 septembre 1968 je demandais au général : « Pourquoi situer en 1925 la mort du Maréchal Pétain qui ne devait mourir qu’à quatre-vingt-quinze ans, en 1951 ? »

« En 1925, le Maréchal s’est laissé circonvenir par Briand et par Painlevé, et il a accepté d’eux la mission d’aller, au Maroc, exécuter ce pauvre Lyautey. C’était indigne, il le savait, et pourtant il y a été. Il s’est prêté à cela, lui ! Il l’a fait par ambition, par vanité, et déjà par sénilité – pourtant, il n’avait encore que soixante-neuf ans. Pour moi, il est mort en cette occasion. Hélas ! Qui s’est avisé qu’il n’était plus, dès lors, qu’un mortvivant ? Et, bien sûr, il ne l’a pas su lui-même. Dans ce naufrage qu’est la vieillesse on est toujours le dernier à savoir que l’on a, dans sa boîte crânienne, un fusible qui a sauté... »

*

À Daniel Rops, alors directeur littéraire de la librairie Plon, au moment de publier La France et son armée qui lui vaut la colère de Pétain, de Gaulle écrit :

« Il faut rassurer le vieux Maréchal... et laisser pisser le mérinos... »

*

« C’est par vanité qu’il devint ambassadeur en Espagne, c’est encore par vanité sénile qu’il accepta d’être nommé chef de l’État français après les désastres de juin 1940. »

(D’après François Flohic.)

*

Discours du 3 août 1940. (Parlant de Pétain et Weygand.)

«Les vieillards qui se soignent à Vichy emploient leur temps et leur passion à faire condamner ceux qui sont coupables de continuer à combattre pour la France. »

(D’après Henri Amouroux.)

*

Discours du 12 août 1940. « Ils [l’ennemi et ses complices] avaient su répandre l’illusion que la présence au gouvernement d’un très vieux maréchal et de vieux généraux vaincus, et vaincus par leur faute, suffirait à neutraliser la haine et l’avidité des vainqueurs. »

(Id.)

*

En août 1944.

« Mon Général, et Pétain ?

– Que voulez-vous que j’en fasse ? Je le mettrai quelque part dans une villa, sur la Côte d’Azur ; il y attendra la mort. »

(D’après Georges Duhamel.)

*

Georges Pompidou :

« Pétain est mort.

– Oui, le Maréchal est mort.

– C’est une affaire liquidée.

– Non, c’est un grand drame historique, et un grand drame historique n’est jamais terminé. [...]

« Sa présence fut un grand malheur pour la France. Il a fourvoyé l’État. L’État est quelque chose qui est fait pour contraindre les citoyens. Il ne peut le faire qu’en leur donnant ce qu’il leur doit. Or, il a ruiné l’État. Il a brisé l’Armée. Comment referait-on, aujourd’hui, une armée qui ne s’est pas battue ? Comment referait-on une flotte qui s’est sabordée ? Il a tout empoisonné. Il m’a mis les communistes sur le dos. Il n’en avait pas le droit. Le rôle de l’État n’est pas de pousser vers la bassesse. Ceux qui célèbrent aujourd’hui Pétain le font pour des raisons basses, parce qu’il leur a évité de se battre. Il a sauvé les meubles, mais il ne s’agissait pas de meubles. Il s’agissait de la France (Un silence.) Heureusement que j’étais là. »

(D’après Georges Pompidou.)

*

RUMEUR

Dernière grande balade du Général, début juin 1970 : l’Espagne. Il visite Saint-Jacques-de-Compostelle, et à la cathédrale, dans la salle du trésor, Mgr Pelayo lui montre une coupe en or dont le socle s’orne de l’inscription suivante : « En souvenir de mon pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle, Philippe Pétain. »

« Lui aussi, je le trouverai donc toujours sur ma route, et jusqu’à la fin !... (Un temps)... Il est vrai que le Diable a toujours aimé barboter dans le bénitier !... »

*

Juillet 1958. Une proposition de loi surgit, tendant à enterrer Pétain à Douaumont. Refus net et motivé du Général :

« La tradition est d’enterrer un général dans un cimetière militaire lorsqu’il est mort au combat. Lorsqu’un général meurt vingt ans après sa retraite, dans son lit, il n’y a aucune raison pour qu’il repose auprès de ceux qu’il a commandés. »

VICHY

VU PAR CHARLES DE GAULLE

« Le 17 juin 1940, disparaissait à Bordeaux le dernier gouvernement régulier de la France. L’équipe mixte du défaitisme et de la trahison s’emparait du pouvoir dans un pronunciamiento de panique. Une clique de politiciens tarés, d’affairistes sans honneur, de fonctionnaires arrivistes et de mauvais généraux se ruait à l’usurpation en même temps qu’à la servitude. Un vieillard de quatre-vingt-quatre ans, triste enveloppe d’une gloire passée, était hissé sur le pavois de la défaite pour endosser la capitulation et tromper le peuple stupéfait... »

*

« On vous a fait croire, monsieur le Maréchal, que cet armistice, demandé à des soldats par le grand soldat que vous êtes, serait honorable pour la France. Je pense que maintenant vous êtes fixé. Cet armistice est déshonorant... Ah ! Pour obtenir et pour accepter un pareil acte d’asservissement, on n’avait pas besoin du vainqueur de Verdun : n’importe qui aurait suffi. »

*

Le 4 juillet, le Général est condamné par contumace à quatre ans de prison et cent francs d’amende pour refus d’obéissance.

« Je tiens l’acte des hommes de Vichy comme nul et non avenu. Eux et moi nous nous expliquerons après la victoire. »

*

TÉMOIGNAGES

Alors président du Conseil national de la Résistance, Georges Bidault demande au Général « de proclamer » la République devant le peuple rassemblé, le Général réplique d’une voix forte :

« La République n’a jamais cessé d’être... La France libre, la France combattante, le Comité français de la libération nationale, l’ont tour à tour incorporée. Vichy fut toujours, et demeure, nul et non avenu. Moi-même suis le président du gouvernement de la République. Pourquoi irais-je la proclamer ? »

(D’après Georges Bidault.)

*

17 juin 1941. Le Caire.

« Nous avons tous les droits puisque nous combattons l’ennemi. Contre des Français, nous ne tirons jamais les premiers. En tirant sur nous, Vichy tire sur les mêmes cibles que les Allemands et les Italiens. »

(À la délégation de la France libre.)

*

18 décembre 1940. Cinq jours après le renvoi de Laval.

« Je crois que l’équivoque Pétain-Vichy est en train de se dissiper même pour les aveugles-nés. Bientôt les fantômes et les rêves auront disparu et l’on verra partout, même en Angleterre (!) qu’entre la France vraie et nous, les “gaullistes”, il n’y a que l’ennemi... »

(D’après Henri Amouroux.)

*

Henri Frenay et Emmanuel d’Astier déjeunent avec le général de Gaulle qui raconte une anecdote sur son bref séjour dans la zone libérée.

« J’arrivais en voiture dans un village. La population semblait avoir été prévenue. Comment ? Je ne sais... Toujours est-il qu’il y avait beaucoup de monde dans la rue. Les gens criaient ou pleuraient. Tout à coup, une femme, qui avait sans doute coupé des fleurs de son jardin, se précipite vers ma voiture, me lance un bouquet sur les genoux et au comble de l’émotion, me crie “le Maréchal ! ”... La force de l’habitude est si grande !... C’était sûrement une bonne Française !... »

(Id.)

*

1940. De Gaulle allait être jugé par un tribunal de Vichy. Dans ce même temps le Général, qui pouvait douter que l’on sût ce que la décision la plus grave de sa vie lui avait coûté, disait :

« Ma mère comprendra. »

(D’après André Frossard.)

*

À propos du discours de réception à l’Académie française d’André François-Poncet au fauteuil du maréchal Pétain.

« Le bouclier ! Il était joli leur bouclier ! Il ne les a pas empêchés d’être occupés jusqu’au trognon, d’aller travailler en Allemagne, d’être déportés, à commencer par François-Poncet, et ce bouclier, il a trouvé le moyen de tirer, mais sur moi et sur les Alliés. Cette bourgeoisie vichyste cherche éperdument à se justifier. »

(D’après Georges Pompidou.)

*

Octobre 1942. Les Alliés reconnaissent officiellement le gouvernement de la France libre, accordant ainsi une légitimité internationale à la Résistance et à de Gaulle. Comme, en conférence de presse, on demande au Général quelles sont ses impressions sur cette reconnaissance et alors qu’on s’attend pour le moins à des remerciements appuyés, il déclare sobrement :

«Le gouvernement français est satisfait qu’on veuille bien l’appeler par son nom. »

LA RÉSISTANCE

VUE PAR CHARLES DE GAULLE

22 avril 1941. Discours prononcé à la radio de Brazzaville.

« Levez-vous ! Chassez les mauvais chefs comme nos pères les ont chassés maintes fois dans notre histoire ! Venez rejoindre notre avant-garde qui lutte pour la libération ! La France, avec nous ! »

*

TÉMOIGNAGES

Le 26 août 1944, à Paris, sont rassemblés Leclerc, Juin, Kœnig, les chefs de la Résistance, les membres du CNR, du CPL, du COMAC, Parodi, Chaban-Delmas, etc. De Gaulle se tourne vers eux et commande :

« Messieurs, à un pas derrière moi. »

À pied, seul en tête sous le tonnerre des applaudissements, il avance.

(D’après Larry Collins-Dominique Lapierre.)

*

Il évoque le sacrifice des marins, des aviateurs, des soldats de la France libre, des hommes de la Résistance, torturés ou fusillés :

« ... En rendant le dernier soupir, vous avez dit : “Vive la France !” Eh bien, dormez en paix ! La France vivra parce que vous avez su mourir pour elle... »

(D’après Henri Frenay.)

*

Le Général s’informait régulièrement, pendant la guerre, des progrès du gaullisme dans tous les départements. Mauvais son de cloche dans la région des Landes.

« Bah ! la récolte de résine va être mauvaise. Ils deviendront tous des résistants. »

(D’après Dominique Leca.)

*

En 1942, à la veille du débarquement allié, Robert Murphy, consul des États-Unis à Alger indiquait dans un rapport au président Roosevelt que, selon ses estimations, Alger ne comptait « pas plus de 10 % de gaullistes ». Six mois plus tard, de Gaulle atterrit sur l’aéroport de Boufarik et se rend dans la capitale où la population l’entoure et l’ovationne. Lorsqu’il paraît au balcon du gouvernement général, les « Vive de Gaulle ! » retentissent. Le consul américain, qui est à ses côtés, laisse échapper sa surprise : « Quelle foule énorme ! » Alors, se tournant vers lui, le Général répond :

– Oui. Ce sont les dix pour cent de gaullistes que vous aviez comptés l’an dernier.

*

Novembre 1940, à Londres. Le Général déjeune à l’hôtel Savoy. Le repas est excellent et, au dessert, le cuisinier français abandonne ses fourneaux pour venir saluer le chef de la France libre et lui dire sa fierté de pouvoir lui serrer la main. De Gaulle, flegmatique, répond :

« J’en ai autant à votre service, car vous êtes un plus grand “chef” que moi... »

(D’après Philippe Ragueneau.)

*

Le 28 juin 1940, de Gaulle reçoit Maurice Schumann, à Londres, et le charge de diverses négociations avec les Alliés. En guise d’ultime consigne, il lui lance :

« Rappelez-vous que jusqu’à nouvel ordre nous sommes trop faibles pour ne pas être intransigeants. »

(D’après Maurice Schumann.)

*

RUMEUR

Avril 1943. Après avoir beaucoup hésité, Robert C. vient d’arriver à Londres, via l’Espagne. Il est présenté au Général avec d’autres personnalités, et fait l’emplette dans un magasin spécialisé d’une belle croix de Lorraine qu’il s’épingle au veston. Il se présente au Carlton Gardens, le Général l’accueille et désignant la croix de Lorraine.

« Comme elle est belle ! Comme elle est grande !... Comme elle est neuve !... »

*

Comme l’un de ses rares visiteurs dans le dernier exil de Colombey lui transmettait un message du colonel Rémy, l’ancien agent secret de la France libre, qu’il ne voyait plus depuis que celui-ci avait, publiquement, après la guerre, souhaité la « réconciliation » entre de Gaulle, le glaive et Pétain, le bouclier, le Général se tourna vers Mme de Gaulle.

« Vous vous souvenez, Yvonne, c’est cet homme qui vous a apporté à Londres, pendant la guerre, une azalée de chez Lachaume ! »

*

19 juin 1940. Mme de Gaulle est là, sur un quai de Falmouth où le dernier chalutier en partance de Bretagne vient d’accoster. Bouleversé, Geoffroy de Courcel court en informer le Général.

« Ah ! » dit-il simplement avec un flegme britannique. Puis se tournant fièrement vers ses premiers et rares compagnons :

« Ma femme et mes enfants arrivent en renfort. »

*

À l’un des anciens de la France libre qu’il consulte pour la rédaction de ses Mémoires d’espoir, il feint de s’interroger :

« Jean Moulin, qui est-ce ? »

*

À l’un des très rares visiteurs de Colombey, après son départ définitif du pouvoir et qui, à propos de ses Mémoires d’espoir, lui demande son sentiment sur la Résistance, le Général répond, exprès, par une boutade.

« Les Résistants, s’pas, c’étaient des sportifs ! »

*

Alger 1943. De Gaulle, à qui on a imposé au sein du Comité français de libération nationale la coprésidence de Giraud, reçoit de ce dernier une protestation vexée : celui-ci n’apprécie guère les « vive de Gaulle ! » qui ponctuent leurs apparitions communes en public. « Ne pourrait-on pas interdire de telles manifestations qui nuisent à l’unité de l’Armée ? » De Gaulle approuve :

– En effet. Nous pourrions par exemple prendre une ordonnance enjoignant aux populations de crier exclusivement : « Vive le coprésident du Comité français de libération nationale à tutelle partagée et à responsabilité limitée... »

Extrait du livre de Marcel Jullian, « De Gaulle, traits d’esprit », publié aux éditions du Cherche Midi

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