Pensée libérale : la nomocratie peut-elle être le meilleur modèle de gouvernance pour la préservation des libertés ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Bernard Quiriny publie « Le club des libéraux » aux éditions du Cerf.
Bernard Quiriny publie « Le club des libéraux » aux éditions du Cerf.
©JOEL SAGET / AFP

Bonnes feuilles

Bernard Quiriny publie « Le club des libéraux » aux éditions du Cerf. A travers une fable contemporaine, Bernard Quiriny raconte la pensée libérale, ses fondements, ses développements, ses questionnements à travers les débats d'un club imaginaire. Un éloge jouissif de la politique en toute liberté. Extrait 2/2.

Bernard Quiriny

Bernard Quiriny

Professeur de droit public à l’université de Bourgogne, Bernard Quiriny est spécialiste d’histoire des idées politiques. Il est également critique littéraire et écrivain, auteur de romans et de recueils de nouvelles couronnés par de nombreux prix.

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Le club des libéraux affrontait chaque année d’autres clubs politiques analogues – socialistes, anarchistes, conservateurs, démocrates-chrétiens, etc. – lors d’un tournoi de football amateur au stade municipal de M***. Braque et moi goûtions fort peu le sport, mais Antoine mit tant d’enthousiasme à nous convaincre de venir que nous lui cédâmes de bonne grâce. Et c’est ainsi que, le samedi suivant, Jules et lui sonnèrent à ma porte, juste après le déjeuner. Nous nous rendîmes chez Braque, qui insista pour que nous entrions cinq minutes et buvions une potion énergisante de son invention, soi-disant sans alcool. Puis nous partîmes pour le stade. Nous portions tous quatre des vêtements de sport; des dossards aux couleurs libérales nous seraient fournis sur place par le club.

Comme nous allions gaiement par les rues, je posai à Antoine cette question:

– Vous, libéraux, êtes amis de la liberté. Vous nous avez expliqué pourquoi. Mais vous n’avez pas défini la liberté.

– Ah, soupira-t-il. Vaste problème.

– C’est un débat majeur, reconnut Jules.

– Il y a plusieurs conceptions de la liberté, dit Antoine. Aron en distinguait quatre.

«Le premier sens est politique: la participation à l’exercice du pouvoir par le droit de vote et le droit de candidature au poste de gouvernant. Le deuxième est lié à l’idée de sécurité : être libre c’est être protégé contre l’arbitraire des chefs. Le troisième sens… liberté-épanouissement est la possibilité de se réaliser dans la vie sociale. Le quatrième sens: la liberté-autonomie, qui désigne la capacité, pour l’individu, de conserver un certain degré de choix quant à ses idées, sa manière de vivre, son parti politique, sa religion.»

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– Il faudrait étudier ici les textes canoniques. La conférence de Constant sur la liberté des anciens et celle des modernes, notamment.

– Je l’ai lue! s’exclama Braque. Vous nous avez si souvent parlé de Constant, et avec tant d’enthousiasme, que je me suis résolu à étudier ses écrits politiques.

Antoine et Jules le félicitèrent et, pour le mettre à l’épreuve, le prièrent de me résumer les choses, à moi qui ne l’avais pas lue. Braque protesta qu’il n’était pas spécialiste, mais le professeur en lui ne demandait qu’à faire son cours.

– En gros, dit-il, l’homme grec se jugeait libre quand il prenait part personnellement aux décisions collectives, à la vie publique. Le citoyen libre va à l’assemblée; l’esclave, qui se voit imposer des décisions publiques sans y avoir pris part, n’est pas libre.

Être libre «consistait à exercer collectivement, mais directement, plusieurs parties de la souveraineté tout entière, à délibérer, sur la place publique, de la guerre et de la paix, à conclure avec les étrangers des traités d’alliance, à voter les lois, à prononcer les jugements, à examiner les comptes, les actes, la gestion des magistrats, à les faire comparaître devant tout le peuple, à les mettre en accusation, à les condamner ou à les absoudre.»

– Ce n’est pas ce que j’appelle être libre, dis-je en faisant la moue.

– Parce que vous êtes un moderne, dit Jules. Vue d’aujourd’hui, cette conception surprend. Elle n’est pourtant pas sotte. Elle revient à dire que votre liberté dépend de la quantité de pouvoir que vous avez dans les mains. Dans une autocratie où le vizir décide seul de tout, êtes-vous libre, ou soumis?

«Comment donc pouvez-vous être libre si les autres ont plus de pouvoir que vous? demande Castoriadis… La première partie de la réponse à la question de la liberté, c’est l’égalité de la participation de tous au pouvoir. Une société libre, est une société où le pouvoir est effectivement exercé par la collectivité, par une collectivité à laquelle tous participent effectivement dans l’égalité… Seuls des hommes égaux peuvent être libres, et seuls des hommes libres peuvent être égaux. Puisqu’il y a nécessairement pouvoir dans la société, ceux qui ne participent pas à ce pouvoir sur un pied d’égalité sont sous la domination de ceux qui y participent et l’exercent, ne sont donc pas libres.»

– Ça se tient, reconnus-je.

– Mais, vous l’avez dit, ce n’est pas ce qui vous vient à l’esprit quand vous songez à la liberté. Vous ne vous voyez pas à l’assemblée, mais dans votre jardin, soignant vos rosiers, sûr qu’aucun policier ne débarquera pour vous reprocher de les avoir taillés à votre façon plutôt qu’à la sienne. Vous envisagez la liberté comme le fait de n’être pas dérangé par le pouvoir, ou le moins possible, et de vaquer à vos affaires sans qu’il y fourre son nez.

« Demandez-vous… ce que, de nos jours un Anglais, un Français, un habitant des États-Unis de l’Amérique, entendent par le mot de liberté? C’est pour chacun le droit de n’être soumis qu’aux lois, de ne pouvoir être ni arrêté, ni détenu, ni mis à mort, ni maltraité d’aucune manière, par l’effet de la volonté arbitraire d’un ou de plusieurs individus. C’est pour chacun le droit de dire son opinion, de choisir son industrie et de l’exercer; de disposer de sa propriété, d’en abuser même; d’aller, de venir, sans en obtenir la permission, et sans rendre compte de ses motifs ou de ses démarches. C’est, pour chacun, le droit de se réunir à d’autres individus, soit pour conférer sur ses intérêts, soit pour professer le culte que lui et ses associés préfèrent, soit simplement pour remplir ses jours ou ses heures d’une manière plus conforme à ses inclinations, à ses fantaisies. Enfin, c’est le droit, pour chacun, d’influer sur l’administration du gouvernement, soit par la nomination de tous ou de certains fonctionnaires, soit par des représentations, des pétitions, des demandes, que l’autorité est plus ou moins obligée de prendre en considération.»

– C’est sublime, soupira Jules. Nous devrions faire imprimer ce passage, et l’afficher sur les murs.

– Observez, dit Antoine, qu’il y a dans ces lignes deux définitions de la liberté. D’abord, c’est n’être pas soumis à l’arbitraire: la sûreté, au sens de Montesquieu – le règne de la loi. Il faut «n’être soumis qu’aux lois», n’avoir à craindre les caprices de personne. Ensuite, c’est n’être pas trop empêché par le pouvoir. Il est bon que le gouvernant gouverne par des lois plutôt que par des ordres, mais aussi qu’il ne fasse pas trop de lois, et que ses lois ne soient pas oppressives, de sorte que chacun garde, autant que possible, le champ libre pour «dire son opinion», « aller et venir», «se réunir», bref, pour vivre. La liberté-sûreté de Montesquieu ne suffit pas, il faut aussi l’indépendance: pas trop de lois, et des lois qui ne briment pas les libertés. Pas trop de lois:

«Les lois pourraient défendre tant de choses, qu’il n’y aurait encore point de liberté… La maxime de M. de Montesquieu… signifie que nul n’a le droit d’empêcher un autre de faire ce que les lois ne défendent pas; mais il n’explique pas ce que les lois ont, ou n’ont pas, le droit de défendre. Or, c’est là que la liberté réside.»

– Et des lois qui ne briment pas:

Turgot critique «la fausseté de cette notion… que la liberté consiste à n’être soumis qu’aux lois, comme si un homme opprimé par une loi injuste était libre ». Constant y insiste aussi, quand il dit que certes, «l’arbitraire des hommes [est] pire encore que les plus mauvaises lois», «mais les lois aussi doivent avoir leurs limites».

– N’y a-t-il pas contradiction ? demandai-je. D’un côté on nous dit qu’être libre, c’est n’être soumis qu’à la loi, de l’autre, que c’est n’être pas trop soumis par des lois. Il faudrait savoir.

– Les deux ne s’excluent pas, répondit Jules. Nous voulons des lois plutôt que des commandements, et pas trop de lois ni de lois injustes.

– Et s’il n’y avait aucune loi?
– Alors nous serions totalement libres, comme à l’état de nature. C’est la définition de la liberté de Hobbes: «Liberté… signifie l’absence d’opposition… Un homme libre est celui qui… n’est pas empêché de faire ce qu’il a la volonté de faire.» C’est aussi celle de Bentham, de Russell, ou de Laski. Dans cette perspective, toute restriction, tout obstacle à l’accomplissement de ma volonté, diminue ma liberté. Toute loi est donc illibérale et par là mauvaise, dit Bentham.

Je méditai un instant, avant d’objecter:

– La loi qui m’interdit de tuer mon voisin, est-elle mauvaise aussi?

– Pour Bentham, oui. Indispensable, mais mauvaise.

– C’est de l’anarchisme, dis-je.

– Je trouve aussi, intervint Antoine. Cette conception a l’inconvénient de ne faire aucun distinguo parmi les lois. Elle rabat la liberté en société sur la licence dont nous jouissions à l’état de nature – liberté de faire tout ce qui nous passait par la tête, y compris rosser nos semblables.

« La liberté comme licence est un concept mal défini, écrit Dworkin, parce qu’il ne fait pas la distinction entre différentes formes de comportements. Toute loi prescriptive réduit la liberté comme licence du citoyen ; les bonnes lois, telles que celles interdisant le meurtre, diminuent cette liberté de la même manière et peut-être plus fortement que les lois mauvaises comme celles interdisant l’expression politique.»

Hayek ajoute que «la liberté prise en ce sens [est] impossible: la liberté de chacun se dissout en effet dans la liberté illimitée, c’est-à-dire dans l’absence de contrainte généralisée ».

– Cette conception de la liberté, disait Mill, n’a plus lieu de nous occuper, puisque nous avons renoncé à l’état naturel pour entrer en société.

– Bentham, têtu, maintient sa définition, dit Jules.

– Laissons-le dans son armoire. Un autre inconvénient de la définition de Hobbes est qu’elle aboutit à un paradoxe. Si être libre, c’est n’être pas empêché de faire ce qu’on veut, que dire d’un esclave à qui son maître débonnaire ne donne jamais d’ordre, et qui mène sa vie comme il l’entend?

– Je suppose qu’il est libre, dit Braque. D’un autre côté, il n’est pas à l’abri que son maître change d’humeur, et se mette à lui donner les ordres qu’il avait gardés jusque-là dans sa poche.

– Pourquoi le maître changerait-il d’humeur? demandai-je.

– Vous en changez tous les jours.

– C’est aussi mon avis, dit Antoine. N’être pas empêché aujourd’hui ne suffit pas: il faut être sûr de ne l’être pas non plus demain. L’esclave d’un maître généreux reste esclave, à la merci, juridiquement, de son maître; il n’est sûr de rien, il n’est pas libre.

«Celui qui sert le meilleur maître du monde, dit Algernon Sidney, est aussi bien esclave que celui qui sert le plus mauvais de tous les maîtres; et il le sert s’il est obligé d’obéir à ses ordres et de dépendre de sa volonté »; la liberté, c’est «ne dépendre pas de la volonté d’un autre ».

C’est avoir un statut, être une personne «indépendante et égale plutôt qu’assujettie», dit Dworkin.

– Des auteurs contemporains comme Philip Pettit ont tenté d’exposer ce qu’il faudrait faire pour assurer que chacun soit libre dans ce sens, indépendant d’autrui.

– Et que faudrait-il faire? demandai-je.

– Bien des choses. Notamment, il faudrait casser toutes les sujétions socio-économiques, afin d’empêcher par exemple que X, qui n’a ni emploi ni le sou, se trouve plus ou moins à la merci de Y, qui a des postes à pourvoir et tient donc X dans sa main.

– Qui serait chargé de casser ces sujétions?

– L’État. Pettit annonce la couleur: sa conception de la liberté est un « objectif très exigeant », qui demande des interventions de l’État « considérables ».

– N’est-ce pas gênant, d’un point de vue libéral?

– Si. J’admire cette conception de la liberté, mais je répugne à ses implications: redistribution, violation du droit de propriété, grossissement de l’État.

Antoine soupira, puis reprit.

– Hayek, lui, définit la liberté comme le fait pour un individu de pouvoir fixer ses objectifs. Par exemple, un soldat sur le champ de bataille, ou dans sa caserne, n’est pas libre: il est à la disposition de ses chefs, qui lui imposent les leurs. Le même soldat en permission devient libre.

«Être homme libre a toujours signifié la possibilité d’agir selon ses propres décisions et projets, par contraste avec la position de celui qui était irrévocablement assujetti à la volonté d’un autre, qui par décision arbitraire pouvait le contraindre à agir (ou ne pas agir) de façon déterminée.» La liberté, c’est le contraire de la coercition : «Il y a coercition lorsqu’une personne est amenée dans son action à servir les intentions d’un autre au lieu des siennes propres, lorsque son action est guidée par la volonté de l’autre.»

– La chose intéressante chez Hayek, c’est qu’il embraye sur la notion de règne de la loi, rejoignant Montesquieu, Locke et Constant. Soit deux individus, A et B. A est employé au service d’un maître qui lui dit: aujourd’hui, vous taillerez la haie. A n’est pas libre car il n’a pas le choix de ses objectifs: il sert les objectifs de son maître. B, lui, n’est pas soumis aux ordres d’un maître, seulement à la loi. Elle lui dit: tu ne tueras point, ne voleras point, ne rosseras point tes voisins. Elle lui fixe des interdits; elle ne lui donne pas d’indications sur ce qu’il a à faire. B peut, dans les limites de la loi, choisir ses objectifs et les poursuivre, en utilisant tous les moyens qu’elle n’interdit pas. Si son objectif est de s’enrichir, libre à lui d’essayer; simplement, il s’abstiendra pour parvenir à cette fin de voler le sac à main de sa voisine.

– Cette conception implique que la loi se contente de fixer des interdits, souligna Braque.

– C’est vrai, dit Jules. Si l’on veut des individus libres au sens de Hayek, les lois qui encadrent leur activité doivent être prohibitives, et non injonctives; elles ne doivent pas «prescrire nettement une action déterminée mais seulement borner le champ des genres d’actions qui sont permis, et laisser la décision quant au choix de la démarche à l’acteur, en fonction de ses propres buts ». C’est la différence entre une loi et un commandement. Si la loi commande aux gens, ce n’est plus une loi ; l’individu qui la respecte n’est plus libre. Tel est pour Hayek la recette, toute simple, d’une vraie société libérale: «Le secret d’un gouvernement décent est… que le pouvoir… peut… restreindre les personnes privées mais non les commander.»

– Pardon, dis-je, mais je m’y perds. Comment puis-je être libre, si la loi restreint le champ de mes possibilités?

– Vous raisonnez comme Bentham, corrigea Jules. Adoptez le logiciel Hayek: ce qui me rend libre n’est pas de n’être pas empêché d’agir à ma guise, mais de n’être pas obligé de servir d’autres objectifs que les miens. La loi qui m’interdit de tuer ma voisine m’empêche d’agir à ma guise, mais non de choisir mon style de vie, ni les buts que je me propose d’atteindre. Simplement, elle m’empêche, pour atteindre ces buts, de tuer ma voisine. Les lois sociales prohibitives sont analogues à des lois naturelles: elles fournissent à l’individu «une partie des données qui, au même titre que sa connaissance du milieu où il agit, peuvent servir de base à ses décisions ». Tant que la coercition étatique – le fait d’être conduit en prison par les gendarmes – est attachée à une telle loi connue de vous, et non déclenchée par le vizir au gré de ses caprices, vous êtes assuré de ne jamais la subir.

«Tant que je saurai d’avance que je subirai telle ou telle coercition si je me place dans une situation donnée, et tant que je pourrai éviter de m’y exposer, je n’en subirai aucune. Dans la mesure où les règles instituant la sanction ne me visent pas personnellement, mais sont conçues de manière à s’appliquer à n’importe qui dans des circonstances définies, ces règles ne diffèrent pas des obstacles naturels qui affectent mes projets. Et tant qu’elles m’apprennent ce qui se produira si je fais telle ou telle chose, les lois de l’État ont pour moi la même portée que les lois de la nature; et je puis me servir de ma connaissance des lois de l’État dans la poursuite de mes objectifs, comme je me sers de ma connaissance des lois naturelles.»

– Un régime où règnent les lois, reprit Jules, des lois qui nous interdisent de faire le mal et, pour le reste, nous laissent libres de choisir nos fins: tel est peut-être le meilleur résumé de l’idéal libéral. L’État nous dit quoi ne pas faire, et nous laisse faire tout ce qu’il n’interdit pas. Il ne nous donne aucun ordre, ne nous commande pas, ne nous gouverne pas.

– Ne nous gouverne pas?

– Mais oui. Un homme libre accepterait-il donc d’être gouverné? Le mot a beau être entré dans le langage courant, il est bien mal choisi. «Gouvernez un troupeau, dit Sieyès, gouvernez des moines, j’entends; mais des hommes libres se gouvernent eux-mêmes.» Et Hayek : «En temps ordinaire… le citoyen [n’a] pas besoin d’être gouverné.»

– En temps ordinaire, c’est-à-dire en période de paix, expliqua Antoine. En cas de guerre, les principes sont inversés: l’intérêt de la patrie justifie que l’État réquisitionne les citoyens et les utilise au service de la défense, fin unique imposée à tous.

– C’est la seule hypothèse où l’État peut légitimement imposer un objectif aux citoyens, reprit Jules. Le reste du temps, non. À la rigueur, l’État n’a même pas à se donner d’objectifs. Les objectifs sont l’affaire des individus. C’est comme le Code de la route: l’État dit quelle vitesse ne pas dépasser, et quels sens sont interdits : à nous de choisir ensuite la destination, l’itinéraire, et la date du départ.

Dans une société libérale, écrit Jouvenel «les autorités n’auraient point d’objectifs; les objectifs seraient le fait des particuliers agissant individuellement ou en association, et c’est le cadre de leurs activités qui serait posé par le législateur et gardé par le pouvoir exécutif ».

«Pour l’homme libre, confirme Milton Friedman, la nation ne se propose aucun but propre, sinon celui qui résulte de l’addition des buts que les citoyens, chacun de leur côté, cherchent à atteindre; et il ne reconnaît d’autre dessein national que la somme des desseins individuels. » 

Lippmann: «Dans une société libre, l’État n’administre pas les affaires des hommes. Il administre la justice entre les hommes qui mènent eux-mêmes leurs propres affaires.»

– Cette idée selon laquelle l’État n’a pas à se proposer d’objectifs concrets fait bondir les collectivistes. Pour eux, la société ne doit pas rester passive; elle doit embarquer les individus dans de vastes projets collectifs. Deux visions du monde s’affrontent ici, irréconciliables.

Saint-Simon : «On ne saurait trop le répéter, il faut un but d’activité à une société, sans quoi il n’y a point de système politique… légiférer n’est point un but, ce ne peut être qu’un moyen… l’idée vague et métaphysique de la liberté…, si on continuait à la prendre pour base des doctrines politiques, tendrait éminemment à gêner l’action de la masse sur les individus. Sous ce point de vue, elle serait contraire au développement de la civilisation et à l’organisation d’un système bien ordonné, qui exige que les parties soient fortement liées à l’ensemble et dans sa dépendance.»

Comte se désole: dans le libéralisme, «le gouvernement qui, dans tout état de choses régulier, doit être à la tête de la société, le guide et l’agent de l’action générale, est systématiquement dépouillé… de tout principe d’activité. Privé de toute participation importante à la vie d’ensemble du corps social, il est réduit à un rôle absolument négatif. On regarde même toute l’activité du corps social sur ses membres comme devant être strictement bornée au maintien de la tranquillité publique, ce qui n’a jamais pu être, dans aucune société active, qu’un projet subalterne… Le gouvernement n’est plus conçu comme le chef de la société, destiné à unir en faisceau et à diriger vers un but36.» Au contraire, «un système quelconque de société… a pour objet de diriger vers un but général d’activités toutes les forces particulières. Car il n’y a société que là où s’exerce une action générale et combinée.»

– On peut appeler le modèle de Saint-Simon une téléocratie, et le modèle libéral une nomocratie.

Extrait du livre de Bernard Quiriny, « Le club des libéraux », publié aux éditions du Cerf

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