Passe sanitaire : mais qui osera dire STOP aux restrictions des libertés publiques décorrélées d’une efficacité sanitaire établie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de la Santé, Olivier Véran, s'exprime lors d'une séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le 20 juillet 2021.
Le ministre de la Santé, Olivier Véran, s'exprime lors d'une séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le 20 juillet 2021.
©Thomas SAMSON / AFP

Projet de loi anti-Covid

La droite en particulier semble être dépassée par les débats sur le projet de loi sur le passe sanitaire et ne plus trop savoir sur quel pied idéologique danser.

Rafaël Amselem

Rafaël Amselem

Rafaël Amselem, analyste en politique publique diplômé du département de droit public de la Sorbonne. Rafaël Amselem est également chargé d'études chez GenerationLibre.

 

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Atlantico : La Cnil alerte sur une potentielle « forte » atteinte aux libertés liée à l’extension du passe sanitaire et réclame des « garanties ». Si des mesures sévères et parfois liberticides sont souvent nécessaires pour lutter contre la propagation du virus, doit-on pour autant mettre de côté toute défense des libertés publiques ?

Rafaël Amselem : Il faut bien avoir en tête que le projet des libertés publiques ne se contente pas de défendre les droits fondamentaux et c’est précisément ce qui en fait une doctrine politique sérieuse. Les libertés individuelles ne suffisent pas à penser la société politique car, comme le disait Raymond Aron : “[Il] reste à savoir jusqu’où va ce qui, pour chacun, n’a rapport qu’à lui-même”. Le libéralisme politique s’attache ainsi à penser les bonnes institutions, le gouvernement légitime, les règles qui encadrent l’action politique lorsqu’il est nécessaire d’arbitrer entre des libertés ou des droits qui se confrontent dans l’espace public.

Or, c’est exactement notre sujet. La pandémie confronte l’homme à sa radicale situation d’altérité. Des droits s’entrechoquent entre la liberté de circulation, d’entreprendre, d’échanger et, en même temps, l’intégrité physique, la sécurité, le droit à la vie. De même, la question de la vaccination ne peut pas être, comme on l’entend parfois, une problématique individuelle, du fait qu’elle limite la transmission et la production de variants potentiellement résistants.

Le libéralisme politique, dans sa forme classique du moins, assigne donc à l’état de droit le rôle d’arbitre dans la sauvegarde collective des droits fondamentaux lorsqu’ils sont en péril. Là-dessus le gouvernement est légitime pour adopter des mesures contraignantes.

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Mais pas à n’importe quel prix. Les mesures attentatoires aux libertés doivent être justifiées, proportionnées et, selon la situation, limitées dans le temps. Même les soutiens au passe sanitaire ou à une vaccination obligatoire pour certaines catégories de la population - dont je fais partie - doivent ainsi garder à l’esprit que toutes ces mesures n’ont absolument rien d’anodin. De là émerge un soucis : avoir des contre-pouvoirs qui aient pour mission, d’abord, de freiner l’inertie d’un pouvoir exécutif qui a tendance à s’imposer de toute sa pesanteur et à multiplier les normes selon un impératif d’efficacité sanitaire ; ensuite d’évaluer la politique publique et la bonne proportionnalité des mesures. Je crois qu’une défense sérieuse des libertés publiques, dans notre contexte, doit se concentrer sur cet aspect-là, qu’on peut qualifier d’institutionnel.

Quels sont les contre-pouvoirs actuellement en mesure de déterminer s’il y a bien une proportionnalité entre atteintes aux libertés individuelles et efficacité sanitaire dans les mesures prises par le gouvernement ?

On peut s’interroger sur le poids actuel des contre-pouvoirs. La crise du coronavirus a vu l'émergence de pratiques institutionnelles qui ne sont tout bonnement pas acceptables. Quelques exemples : le Conseil constitutionnel qui abdique face à la décision du premier confinement, la mise en place d'un Conseil de défense sanitaire couvert par un secret-défense dont on peut s’interroger sur le fondement. De quel ennemi cherche-t-on à se prémunir ? Le virus serait-il à ce point malicieux pour aller s'enquérir des discussions à son sujet à l’Elysée ? En tout cas, cet effet secondaire ne nous a pas été notifié dans les rapports publics… Ou encore le ministre Olivier Véran qui expliquait son refus en hémicycle de transmettre au Parlement les documents débattus en Conseil de défense car jugés “trop techniques” pour les parlementaires. Que la situation nécessite de centraliser la décision face à un variant à la propagation très rapide, soit. En revanche, que le Parlement soit à ce point rangé dans le tiroir, voilà qui est aberrant.

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Les contre-pouvoirs sont donc affaiblis, mais il ne faudrait pas croire qu’il y aurait ici à l'œuvre un biopouvoir quelconque. L’affaiblissement du Parlement, le problème de l’évaluation de la politique publique… Ces problématiques sont intrinsèquement liées à notre régime politique. Les rouages de la Vème République ne donnent pas leur place légitime aux contre-pouvoirs. Cela n’a rien de nouveau. Au pire, l’exécutif actuel aura poussé les logiques présidentialistes à leur paroxysme. Comme beaucoup de défaillances révélées par la crise, elles nous ont précédés sans que les gouvernements successifs aient cherché à les remédier.

A part les extrêmes qui s’insurgent (mais souvent pour de mauvaises raisons), aucun parti ne semble vraiment se détacher dans la défense des libertés publiques. Comment l’expliquer? Est-ce lié à un déficit de culture démocratique ?

Il me semble que François Sureau est celui qui a le mieux analysé la situation. L’approche utilitariste, qui consiste pour le pouvoir politique à rendre son action la plus efficace possible, s’irrite des lenteurs institutionnelles. Ce sont pourtant elles les garantes des libertés publiques. Mais, là encore, il s’agit d’un problème structurel de nos politiques publiques depuis des années. On peut doubler à cette tentative d’explication celle d’un antilibéralisme primaire qui traverse une assez large partie de la classe politique. Le projet des libertés publiques n’est pourtant pas détachable du libéralisme politique.

Comment se positionne la droite à ce sujet ? Elle semble coincée entre la peur de paraître laxiste face au virus et la défense de ses valeurs libérales…

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J’ai beau chercher dans ma mémoire, je me demande bien quand est-ce que la droite a été libérale pour la dernière fois. Au-delà de la taquinerie, la droite se situe actuellement dans un imbroglio intellectuel. Depuis 2017, elle n’a jamais tranché entre une ligne libérale-conservatrice à la Lisnard, ou une autre plus planiste et sociale comme Aurélien Pradié. Dès lors, il me paraît assez difficile pour elle de savoir se positionner sur les sujets qui alimentent l’actualité, et en particulier dans la gestion de la crise. On peut par ailleurs s’interroger sur la légitimité des Républicains à se faire les porte-paroles du projet des libertés publiques, eux qui ont réclamé à plusieurs reprises des modifications profondes de notre état de droit face à la menace terroriste et qui a toujours approuvé les différents états d’urgence qui nous ont précédés.

L’extension progressive du passe sanitaire est-elle systématiquement corrélée à une réelle efficacité sanitaire ? Comment en est-on arrivé à une situation où on accepte parfois tout et n’importe quoi en matière de liberté publique ?

Difficile de dire si, oui ou non, le passe sanitaire répond à un impératif d’efficacité sur le plan de la lutte contre la pandémie. Sans doute que la réponse est affirmative, puisqu’il s’agit-là d’un moyen d’empêcher les non-vaccinés et personnes positives de participer à la vie sociale. Mais je ne suis pas épidémiologiste. Au mieux je suppute et il est bon que chacun reste dans son domaine de compétences, surtout sur des sujets aussi techniques.

Mais en réalité, je crois que le principe qui doit guider la pensée d’un libéral, ce n’est pas l’impératif sanitaire comme étant une fin en soi, mais, encore une fois, la sauvegarde collective des droits fondamentaux. Je dis bien collective, le mot a son importance. Après tout, la maladie fait partie de la vie (c’est même une lapalissade de le rappeler). En revanche, une pandémie, en mettant à terre - par sa seule existence - n’importe quel système hospitalier, aboutit à annihiler le droit de circuler et surtout de se soigner, contrairement à la grippe ou un rhume. C’est bien une question de droits politiques en balance. Et en l’espèce, un droit qui touche directement à notre corps, donc à notre existence. Sans compter le fait que l’administration hospitalière a déjà dû multiplier les déprogrammations d’hospitalisation pour des malades non-covid et qui ont pourtant bien le droit, eux aussi, de se faire soigner.

Le problème dans notre situation est le suivant. Les non-vaccinés font bien peser un risque de rupture dans la sauvegarde collective des droits fondamentaux. Car, en ne participant pas à l’immunité collective, voire en perpétuant le risque de développer un variant résistant aux vaccins, il est à craindre d’arriver une nouvelle fois à une situation désastreuse d’un encombrement des hôpitaux.

Si votre objectif principal reste la liberté individuelle, alors le passe sanitaire est une réponse. Puisque la liberté a pour corollaire la responsabilité, le passe sanitaire permet à ceux qui se sont faits vaccinés, qui participent ainsi à reconstruire une société où les droits fondamentaux sont garantis, de voir le bénéfice de leur action. Tandis que ceux qui ont opté pour un choix différent, qui veulent donc faire peser un risque plus accru sur la collectivité, subissent les conséquences afférentes à cette décision. Même dans un monde libertarien, le non-vacciné devrait subir des malus assurantiels exorbitants et chaque propriétaire serait en droit d’interdire l’accès à son domaine et même d’imposer des passes sanitaires en parallèle. Certains diront que la différence avec notre situation réside dans le caractère privé de ces mesures. Mais quand il s’agit d’espace public, je préfère l’état de droit - public, responsable devant le corps politique - au choix discrétionnaire d’un propriétaire.

Mais la mesure qui me paraît en fait la plus optimale serait en réalité une obligation vaccinale. Nous avons déjà 11 vaccins obligatoires et il ne viendrait à l’esprit de personne d’hurler à l’avènement du biopouvoir de Foucault vu les maladies éradiquées depuis. Pour citer Lucien Guyon : “si tant est qu'un acte qui ne présente pas de risque majeur connu est possible pour rétablir la garantie des droits naturels sur un territoire, on peut induire de cet acte que son obligation dans les faits est une nécessité politique.” Puisque c’est la question posée, ce serait à la fois efficace sur le plan sanitaire à coup sûr - bien que je ne sois pas très utilitariste, donc assez peu friand de ce genre d’arguments - et le moins liberticide. D’autant plus qu’elle ne nécessiterait pas de passe ou d’intrusion quelconque du politique dans nos vies selon les proportions que nous risquons de connaître prochainement.

Quant à votre deuxième question, de façon générale, il me semble que l’homme reste cet être en demande perpétuelle de sécurité. Elle a le mérite du confort et de la prévisibilité. Nous préférons fondamentalement l’ordre à l’incertitude et ses risques. Pensons à ces Hébreux dans le désert qui, devant le long chemin qui les attend avec ses dangers, fantasment sur la servitude égyptienne, ses délectations illusoires, alors qu’elle a été le lieu fatal de leur désintégration. La liberté est en réalité un combat qui s’inscrit dans l’histoire. Elle n’est jamais acquise à une date circonscrite et bien déterminée. Et, en général, elle se perd avec une aisance presque déconcertante, alors que pour la gagner, il faut multiplier tribunes et batailles. C’est que l’ordre se maintient par la force tandis que la liberté s’expose au mépris et à la menace de tous ses adversaires.

C’est pourquoi, si nous ne prenons pas garde aujourd’hui aux mesures qui portent une atteinte disproportionnée aux libertés publiques, nous courrons un risque qu’il ne faut pas sous-estimer. Encore une fois, les personnes qui soutiennent le passe sanitaire ont, me semble-t-il, de bonnes raisons de le faire. Mais actons que cette mesure n’a rien d’anodin. Espérons que les débats parlementaires actuels permettront de poser des gardes-fous. Surtout que nous pouvons avoir un débat démocratique exigeant et des institutions alertes sur le besoin de ne pas proroger ce type de mesures : Israël, avant la reprise épidémique, avait bien supprimé son passe sanitaire. Ne résumons donc pas le débat au sophisme de la pente glissante.

Comment se fait-il que ce soit les "non-libéraux" (communistes, Florian Philippot…) qui se soient le plus plaint d’atteintes aux libertés ?

Deux facteurs semblent assez déterminants dans ce phénomène. Le premier, c’est l’imaginaire qui s’est construit autour du Président de la République durant ce quinquennat. Entre les gilets jaunes, la montée récente du débat sur les violences policières, des relations parfois tendues avec la presse, le présidentialisme à l’oeuvre depuis 2017 et des réformes comme la loi sécurité globale, il s’est installé l’image d’un Emmanuel Macron assez inamical vis-à-vis des libertés. Les opposants peuvent donc jouer sans difficulté avec cette rhétorique pour appuyer cette thèse. Voilà un puissant carburant qui contribue à leur donner une voix dans le débat public.

Concernant des personnalités plus spécifiques comme Floriant Philippot, un autre élément s’ajoute. Notons au passage l’hypocrisie absolue de voir monsieur Philippot jouer aux libertaires eu égard son parcours politique et ses engagements intellectuels…

Que ce soit lui, ou d’autres personnalités ayant participé au rassemblement de samedi dernier, ils ont un ancrage très singulier sur les réseaux sociaux. Sur le sujet, les publications de Raphaël Grably ou Rudy Reichstadt sont assez éloquentes. Ce sont des politiques extrêmement populaires sur Facebook. Or, Facebook est le réseau social qui rassemble un des plus gros noyaux d’antivax et de complotistes. L’idée ici n’est évidemment pas d’essentialiser les anti-passe sanitaire à des antivax. Il s’est en revanche installé un amas d’individus très solide, très actif, qui s’entretient lui-même dans une bulle d’information. Et ces groupes sont effectivement impliqués pour relayer les discours de personnalités comme Florian Philippot qui les encourage dans leur prise de position. Par conséquent, il se fait le porte-parole de ces gens dont l’essentiel de la rhétorique repose sur l’idée que nous sommes bien tombés dans une dictature sanitaire, qu’il n’y a qu’à attendre avant que nous n’instaurerions un système de crédit social à la chinoise, voire pire, d’employer moultes comparaisons outrancières avec la Shoah… En clair, que la liberté serait gravement menacée.

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