Pas un problème chez des milliards de consommateurs en 20 ans : la peur des OGM est-elle irrationnelle ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les OGM sont aujourd’hui répandus dans un quart des exploitations mondiales
Les OGM sont aujourd’hui répandus dans un quart des exploitations mondiales
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Indigestion

Des millions de personnes consomment des aliments génétiquement modifiés depuis 20 ans sans qu’aucun problème sanitaire n’ait encore été découvert, rappelle un article du Wall Street Journal. Malgré de nombreux progrès (baisse des coûts, récoltes plus nombreuses, résistance aux maladies et aux insectes, valeur nutritionnelle ajoutée, réduction de l'impact écologique) le grand public reste sceptique à leur sujet.

Marcel Kuntz

Marcel Kuntz

Marcel Kuntz est biologiste, directeur de recherche au CNRS dans le laboratoire de Physiologie Cellulaire Végétale. Il est Médaille d'Or 2017 de l'Académie d'Agriculture de France

Il est également enseignant à l’Université Joseph Fourier, Grenoble.

Il tient quotidiennement le blog OGM : environnement, santé et politique et il est l'auteur de Les OGM, l'environnement et la santé (Ellipses Marketing, 2006). Il a publié en février 2014 OGM, la question politique (PUG).

Marcel Kuntz n'a pas de revenu lié à la commercialisation d'un quelconque produit. Il parle en son nom, ses propos n'engageant pas son employeur.

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Pour lire l'article du Wall Street Journal, cliquer ici.

Atlantico : Les OGM sont aujourd’hui répandus dans un quart des exploitations mondiales, principalement de petits exploitants des pays développés. En raison de l’augmentation de la population mondiale et des exigences environnementales, les OGM sont-ils inévitablement appelés à se généraliser dans l’agriculture ?

Marcel Kuntz Ce que l’on nomme OGM est une biotechnologie pour l’amélioration des plantes cultivées. La réglementation se focalise sur cet outil depuis 1990, mais il y en a bien d’autres, qui dérivent des avancées scientifiques sur les patrimoines génétiques des êtres vivants. Ce qui est indispensable, c’est de développer grâce à ces découvertes des lignées de plantes qui répondent aux défis agricoles actuels et futurs. Je voudrais rappeler que depuis le Néolithique, l’Homme a modifié les espèces agricoles, afin de produire plus et mieux. On l’a oublié pendant quelques décennies privilégiées, mais la tâche est toujours devant nous : produire plus et mieux. Devant ce défi, se priver a priori d’un outil de la boîte est très risqué, surtout si c’est un outil utile, quelquefois le meilleur, ce qui est le cas pour certaines approches de type  OGM. 

Pour autant, il n’est pas certain que les politiciens  s’engagent dans cette voie. Cela fait des années, en France, qu’ils auraient dû réformer l’Etat, et on ne voit toujours rien venir ! Alors, pensez donc, un thème comme les OGM qui se prête aussi peu à l’électoralisme à court terme… Pour être précis, aujourd’hui dans le contexte politique français, la recherche sur les OGM n’est plus possible.

Leurs avantages en termes de coûts, de lutte contre la faim ou d’impact environnemental sont-ils contrebalancés par des risques avérés ? Si oui, quels sont-ils ?

On distingue, pour des raisons pratiques, les risques sanitaires des risques environnementaux, et toujours au cas par cas (chaque OGM est considéré individuellement, sans généralisation). Sanitaire : production non-intentionnelle d’une toxine ou d’un allergène nouveau. Environnemental : les effets sur la faune et la flore, ou la dispersion des graines ou du pollen, par exemple. 

Il n’y a là aucun risque spécifique venant des OGM : tous les risques potentiels débattus et étudiés par d’innombrables travaux scientifiques (majoritairement de la recherche publique, sans financement industriel, faut-il préciser) existent aussi, dans leur nature, pour d’autres techniques d’amélioration des plantes. Dans ces derniers cas, on juge ces risques tellement peu probables, ou gérables, que l’on n’a pas jugé utile d’imposer une réglementation spécifique. Pour des raisons sans réelle base scientifique, pour les OGM, des travaux d’évaluation des risques sont ainsi obligatoires avant mise sur le marché.

Bien sûr il est impossible de prouver un risque zéro, mais dans l’esprit des décideurs il s’agissait de garantir la sécurité au meilleur niveau. C’est le cas, mais souvent l’important n’est pas le risque lui-même, mais plutôt la perception du risque…

Pourquoi le grand public continue-t-il alors d’être à ce point effrayé par les OGM ? D’où vient ce rejet ?

Il faut relativiser cette peur : si dans les sondages on pose la question directement sur les OGM, la méfiance est évidente. En revanche, si on demande quels sont les sujets d’inquiétude (sans suggestion a priori), les OGM n’apparaissent pas comme une préoccupation majeure.

L’introduction des OGM au milieu des années 90 a coïncidé avec la crise de la vache folle. Sans elle, il n’y aurait pas eu d’opportunité pour les opposants de susciter des peurs alimentaires sur ce sujet. Pour autant, je ne parle pas de rejet irrationnel du public : les citoyens ont malheureusement beaucoup de raisons de ne pas faire confiance aux politiciens. Cela rejaillit sur la confiance dans la réglementation (pourtant tellement lourde qu’elle empêche souvent la mise sur le marché des OGM) et dans l’évaluation et la gestion des risques (pourtant imprégnée d’un fort précautionnisme).

Quelles sont les motivations des détracteurs des biotechnologies ? Sont-elles justifiées ?

Si l’on parle des groupes anti-OGM organisés, leur opposition est de nature politique (refus de la mondialisation, de l’économie de marché, crainte d’une dépendance accrue, méfiance vis-à-vis du progrès, etc.). Certains points sont recevables, et ont d’ailleurs été pris en compte : ainsi dans la réglementation européenne, les agriculteurs, contrairement à une légende urbaine, ont le droit de ressemer des OGM à partir de leur récolte. 

Cependant, dans une affaire comme celle-là, il y a une très forte prime à la radicalité : les opposants les plus irréductibles, ceux qui n’ont jamais voulu considérer les faits, imposent leur ligne. L’écologie politique, ce n’est pas un scoop, est dominée par une idéologie de la confrontation systématique. Il s’agit d’imposer la décroissance, et cela passe par le blocage des innovations qui pourraient être facteurs de croissance : biotechnologies, nanotechnologies, mais aussi, bien sûr, la production d’énergie (nucléaire, gaz de schiste) et la chimie. 

La régulation des OGM pose-t-elle des problèmes en matière de diversité des cultures et d’alimentation ?

Il n’y a aucun lien obligatoire. Si les agriculteurs français avaient le libre choix de cultiver des OGM, du maïs résistant à certains insectes ravageurs par exemple, cela ne changerait pas les superficies françaises de maïs, mais réduirait l’usage d’insecticides chimiques dans les zones les plus infestées. Cela ne changerait rien, par ailleurs, à la production de produits de terroir français. D’un autre côté, la production de soja en Roumanie a chuté après l’entrée du pays dans l’Union Européenne : le soja tolérant un herbicide (OGM) était rentable, alors que le soja conventionnel l’est moins dans ce pays. Mais le soja OGM n’a pas d’autorisation de culture dans l’UE. Résultat, la Roumanie importe aujourd’hui du soja (souvent OGM) qu’elle ne produit plus elle-même pour cause de réglementation de l’UE !

On reproche souvent à l’Argentine le choix de grandes cultures pour l’exportation au détriment de cultures plus diversifiées. La critique de salon est facile, mais il faut prendre en compte la nécessité pour ce pays de se redresser économiquement. La France serait bien avisée d’intégrer l’agriculture dans le concept de "redressement productif", plutôt que de brandir des concepts-valises (comme l’ "agro-écologie")  si elle ne veut pas aller à la catastrophe dans ce secteur. Pour en revenir aux OGM, sans eux l’Argentine aurait fait les mêmes grands choix de développement économique.

Propos recueillis par Pierre Havez

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