Pas de pénuries à Noël : ce que la pandémie Covid nous a appris (de la résilience) du capitalisme mondialisé <!-- --> | Atlantico.fr
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Les effets de goulots d’étranglement liés à la sortie de la pandémie n’ont pas empêché les marchés de fonctionner.
Les effets de goulots d’étranglement liés à la sortie de la pandémie n’ont pas empêché les marchés de fonctionner.
©Frederick FLORIN / AFP

Résistance face au choc de la pandémie

Les effets de goulots d’étranglement liés à la sortie de la pandémie n’ont pas empêché les marchés de fonctionner. Et rien ne prouve que des relocalisations tous azimuts auraient permis d’obtenir de meilleurs résultats.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Atlantico : On prédisait des pénuries à Noël suite aux effets de goulots d'étranglement liés à la sortie de la pandémie. A une semaine des fêtes, force est de constater que le pire n’a pas eu lieu. A quel point les marchés ont-ils su s’adapter ?

Jean-Paul Betbeze : D’abord, et c’est « de bonne guerre », annoncer une pénurie aide à la réduire tant ceci pousse à stocker plus en avance ou à faire des achats par Internet au plus tôt, dans des sites qui gèrent et affichent les stocks. Ces sites qui jouent un rôle de plus en plus important, notamment avec la pandémie, organisent à la fois les déstockages puis les changements de projets d’achat, quand le produit n’est plus disponible. On peut donc penser que les fêtes, avec une épargne abondante qui cherche à s’écouler, vont conduire à une baisse très importante des stocks, au point où on peut se demander ce qu’il restera à solder et où les difficultés d’approvisionnement pourraient se manifester après les fêtes, quand le monde entier se mettra à acheter.

Ensuite, tous les cadeaux ne sont pas « des choses » : nombre de livres offerts sont des e-books, sans compter les abonnements à Netflix, à des cinémas, à des journaux et des revues par Internet. Une part croissante de l’économie est immatérielle, surtout consommée par les jeunes.

En troisième lieu, si les ports sont encombrés, aux États-Unis et en Europe, et si les produits chinois, asiatiques en général, vont plus lentement qu’avant, tel n’est pas le cas de qui se produit ici, en Allemagne, en Espagne ou en Italie.

Enfin et surtout, il y a de vraies pénuries, du fait de manque de puces, mais on ne le dit pas. Les voitures, plus chères, sont là, comme les ordinateurs plus coûteux : autrement, la pénurie devient l’attente !

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Bref, il y a de véritables « jeux commerciaux » autour de la pénurie, en l’annonçant pour la réduire, en utilisant plus de productions locales et surtout, pour les vraies pénuries physiques, en les faisant subir aux produits moins chers et, sans doute aussi, aux ménages plus jeunes ou moins riches. C’est là que les marchés d’occasion, avec les places de marché informatique, jouent un rôle « anti-pénurique » nouveau et essentiel.

Erwan Le Noan : Le pire n’a peut-être pas eu lieu mais les tensions sur les chaines d’approvisionnement sont énormes et ont fortement impacté l’économie mondiale – le président de la Fed américaine, par exemple, y a vu l’un des facteurs expliquant la résurgence durable de l’inflation.

Après le Covid, le commerce mondial est reparti de façon très dynamique, mais inégale a précisé Ngozi Okonjo-Iweala (qui dirige l’OMC), les pays les moins favorisés n’ayant pas encore un accès large aux vaccins contre le Covid.

Au-delà de ces éléments conjoncturels, ces moments particuliers rappellent que les marchés s’adaptent toujours, parce qu’ils portent en eux les outils de résilience, c’est-à-dire les incitations à dépasser les contraintes (non sans difficulté ni délai) pour favoriser l’échange.

En 2008, la crise était d’abord financière. Avec le Covid, l’enjeu a d’abord été sanitaire avant de devenir économique. Dans cette grande crise "totale", la première depuis longtemps, le capitalisme mondialisé a-t-il montré sa capacité de résilience? Qu'est-ce qui a permis au système de ne pas céder, notamment sur les chaînes de production ? 

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Jean-Paul Betbeze : Ce qui a permis au « système » non seulement de ne pas céder mais de résister et de remonter la pente, c’est le crédit, comme toujours dans l’histoire. En 2008, avec les subprimes, la Banque centrale américaine achète les bons du trésor, technique imparable pour éviter un nouveau 1929. Puis le G20 se coordonne. Puis, face à la crise des dettes publiques en Irlande et dans les pays européens du sud, la Banque centrale européenne fait comme la Fed et lance son quantitative easing, auquel s’ajoute le soutien direct baux banques. Et quand vient la pandémie tout le monde redouble de déficit budgétaire et de quantitative easing. Le risque est clair : la déflation, la baisse autoentretenue de la production et des prix. Il faut donc plus de déficit et de crédit et en parler aux particuliers et aux marchés financiers, pour éviter la panique : ce qui a eu lieu.

Aujourd’hui, comme après un incendie, il s’agit d’éponger les liquidités – et l’on trouve l’inflation ! Et c’est là que l’on butte sur les pénuries physiques mais surtout technologiques, les puces, et que l’on mesure nos fragilités, pour les médicaments ou les protections contre les cyberguerres par exemple.

Le crédit a évité le pire mais ne pourra pas faire repartir la machine sans des investissements qualitativement nouveaux, verts si l’on veut, d’innovation et de défense. Nous vivons en effet une « polycrise », financière, technologique et géopolitique, partout et à des degrés divers. Il y a donc plus de risques, mais comme ils sont partout, personne n’a intérêt à trop tirer sur… les chaînes !

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Erwan Le Noan : Le capitalisme est le seul système économique résilient à ce jour, parce qu’il repose sur deux grands principes : la loi de l’offre et de la demande, qui permet un ajustement et une coordination par les prix (s’il y a moins de quantité d’un bien mais que la demande reste stable, son prix augmente comme signal de sa rareté relative), d’une part ; et sa décentralisation totale d’autre part, qui permet que cette coordination se fasse de façon intuitive et non centralisée (aucune entité de gouvernance n’a besoin d’intervenir pour que, si la production s’arrête en Thaïlande, le consommateur allemand le ressentent et en soit, de fait, informé).

Quand un choc économique survient à un point de la planète, le marché l’intègre automatiquement et s’y adapte par l’effet des prix. Si le prix d’une matière première augmente en Amérique du Sud et que le producteur hongrois en a besoin, les prix augmenteront et la demande du consommateur espagnol s’adaptera. Cette modification aura un effet probable sur le producteur, qui sera tenté de trouver une autre ressource ou d’utiliser celle-ci de façon plus parcimonieuse. Bref, tout le système s’adapte sans que personne n’ait besoin de le décider formellement. Cette résilience, qu’on a bien constaté à la suite du COVID, fait la force extraordinaire du capitalisme.

Cela ne signifie pas que les ajustements se font rapidement ni facilement, mais ils se font. Aucun autre système n’en est capable.

On a  entendu beaucoup d'appels à la relocalisation suite aux différentes pénuries de la crise. La manière dont la situation a évolué prouve-t-elle que l’enjeu de cette question est plus un enjeu de souveraineté qu’un véritable enjeu stratégique ? 

Jean-Paul Betbeze : « La relocalisation » n’est pas possible et pire encore, elle serait catastrophique si elle avait lieu ! Nous vivons ensemble, partageons les productions et aimons bien aussi ce que font les autres, par exemple les produits alimentaires italiens, sans compter les micros Apple, pour la bonne raison que nous ne savons pas les faire. La relocalisation ne peut donc qu’être partagée à plusieurs, notamment dans le contexte européen, liée à des complémentarités et à des contrats à long terme, particulièrement en matière énergétique.

La souveraineté est stratégique, passant par la monnaie et sa solidité, l’activité et l’emploi, la paix sociale, nos capacités et alliances militaires. Mais, à la base et à long terme, ce sont les innovations et les brevets qui font la différence. La polycrise actuelle nous montre les défis à relever, au-delà des sujets secondaires qui nous « occupent ». A terme, rien n’est possible sans apprendre plus de mathématiques et à coder en sixième. Dès à présent, il s’agit de bâtir une Europe puissance, plus verte et sûre si l’on veut, avec des alliances en Afrique et une vraie capacité militaire. La capacité d’attaquer est la meilleure défense, on le voit avec ce qui se passe en Ukraine. Stratégie vient du grec stratège : général. Il ne faut pas oublier ce qui se passe avec toutes ces crises qui convergent, sous prétexte que nous avons vécu 70 ans de paix mondiale. La naïveté est un danger, la paix est un combat.

Erwan Le Noan : La crise du COVID a fait ressentir de façon prégnante notre relative dépendance à certains approvisionnements. Ce n’est pas anormal ni étonnant puisque notre économie s’inscrit dans un jeu d’échanges internationaux (ce qui n’est vraiment pas nouveau). C’est même au contraire très rationnel : le fantasme d’une économie autarcique n’a pas de sens économique. Il est illusoire de croire qu’il y aurait le moindre intérêt pour les Français de faire tout produire en France, si cela était même envisageable : nous sommes bien mieux avec de l’électroménager produit à l’autre bout de la planète, ce qui nous permet de dépenser plus de nos ressources dans l’éducation ou la culture ou l’alimentation, etc. Il y a eu beaucoup de panique et de gesticulation à ce titre.

Cela étant, d’un point de vue purement politique et stratégique, la France peut tout à fait considérer qu’il est important pour elle que telle ou telle production soit protégée. Cela ne signifie pas nécessairement qu’elle doit être locale : la robustesse de la chaine d’approvisionnement ne se confond pas avec sa résilience. Par exemple, je peux travailler à organiser une chaine d’approvisionnement sure entre différents pays, capable de résister à certains chocs ; à l’inverse, je peux choisir de tout produire dans la même région chez moi … mais si celle-ci est touchée par une crise, toute ma production s’effondre.

Enfin, il faut réfléchir à notre compétitivité. Pour « relocaliser », il faut permettre aux activités de s’exercer de façon compétitive. C’est la meilleure façon d’encourager la production locale (sinon, il s’agit uniquement de protéger des activités non rentables, c’est-à-dire de subventionner certains capitalistes avec l’argent du contribuable).

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