Pas d'amélioration sur le front du chômage avant deux ans : quelles solutions pour ceux que la crise a rendu inemployables (et pourquoi le problème est pire en France qu’ailleurs) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le chômage a battu un nouveau record au mois de juillet.
Le chômage a battu un nouveau record au mois de juillet.
©Reuters/Charles Platiau

Au bord de la route

Le chômage continue son inexorable progression avec 26 100 nouveaux inscrits au mois de juillet. Et ceux qui sont durablement éloignés du marché du travail voient leur situation empirer, avec de moins en moins de perspectives d'avenir. Une situation dramatique qui inquiète dans tous les pays concernés en faisant peser la menace de graves fractures sociales.

Yannick L’Horty

Yannick L’Horty

Yannick L’Horty est Professeur à l’Université Paris-Est, directeur de la fédération de recherche « Travail, Emploi et Politiques Publiques » du CNRS.

Il est spécialiste du marché du travail et de l’évaluation des politiques publiques dans le domaine de l’insertion et de l’emploi.

Dernier ouvrage paru : Les nouvelles politiques de l’emploi, Collection Repères, la découverte.

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David Bourguignon

David Bourguignon

David Bourguignon est docteur en psychologie sociale et maître de conférences à l’université de lorraine à Metz. Il est l'auteur avec Ginette Herman de plusieurs études sur l'impact de la marginalisation de l'emploi sur les chômeurs.

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Atlantico : Les chiffres du chômage continuent leur ascension (4,3% de hausse sur un an), marquant notamment l'impossibilité de faire revenir à l'emploi ceux qui en sont durablement écartés. Dans son discours devant les banquiers centraux, la patronne de la FED s'est inquiétée de la persistance d'un chômage de longue durée et a indiqué que la situation actuelle nécessitait la plus grande attention des instances monétaires. Quels éléments viennent appuyer cette inquiétude ? Quels effets la persistance d'un chômage de longue durée a-t-il sur l'économie dans son ensemble ?

Yannick L'Horty : Cela signifie avant tout que des personnes qui sont en âge de travailler se trouvent éloignées durablement de l'emploi et par conséquent vont voir leurs compétences s'éroder. Ils vont s'éloigner de la formation initiale, et de la formation continue, et leurs qualifications vont s'éloigner des standards requis. C'est un gâchis de ressources en main d'œuvre et une perte de capital humain pour toute l'économie et toute la société. Il y a donc vraiment de quoi s'inquiéter car la permanence d'un chômage de longue durée signe une perte progressive de capital pour toute l'économie.  

Au bout de combien de temps un chômeur de longue durée est-il considéré comme non-réintégrable au marché du travail ? Pourquoi ?

Yannick L'Horty : Il n'existe pas de seuil de rupture à partir duquel on serait inemployable. Il y a par contre une distance à l'emploi qui se crée et qui va conditionner le retour à l'emploi. Plus on est éloigné, plus il est évidemment difficile de revenir. On sait par contre qu'après deux ans de chômage, les chances de retrouver un emploi deviennent extrêmement faibles. Quand on doit justifier un trou dans le CV d'une telle période, les employeurs potentiels le perçoivent comme un très mauvais signal.

David Bourguignon : Le problème, c'est qu'au bout de neuf mois en moyenne – les chiffres varient d'une personne à l'autre – les gens commencent à tomber en dépression. Beaucoup d'études montrent que le chômage a un impact sur l'état psychologique. Quand on est dans un chômage supérieur à deux ans, même si on retrouve un travail, des traces restent au niveau de la santé mentale. Ces seuils correspondent aussi à l'amenuisement des réserves d'argent. Il arrive alors que les tensions financières, la diminution des allocations chômage se répercutent sur la santé des individus. Après un certain temps de plus, les gens prennent conscience qu'ils sont la lie de la société. Un employeur considèrera aussi ces longues durées comme un signal pour ne pas vous embaucher. Tout cela pose la question de la légitimité de cette discrimination et de la responsabilité que nous portons sur la question du chômage, car plus les mauvais chiffrent persistent, plus la réalité d'un chômage avant tout structurel semble évidente. Cela rend toutes les obligations de prouver ses recherches d'emploi, dans un environnement où on ne peut plus en trouver, de plus en plus difficiles à vivre.      

Le FMI considère que la situation de l'emploi en France ne s'améliorera pas avant au moins deux ans. Quelle proportion de chômeurs seront d'ici là prisonniers de la trappe du chômage de longue durée ? 

Yannick L'Horty : Si reprise il y a, elle profitera d'abord aux demandeurs d'emploi de courte durée. Une reprise va d'abord avoir comme effet d'allonger la durée moyenne du chômage. Les personnes qui sont très éloignées vont avoir les plus grandes difficultés à bénéficier de cette reprise. Il y a donc bien un risque de trappe avéré. D'ailleurs, l'inverse est vrai puisqu'une crise a d'abord comme effet de réduire la durée moyenne du chômage, car de nouveaux demandeurs d'emploi arrivent soudainement. On l'a constaté au début de la crise en 2008.  

Quels défis ces personnes vont-elles représenter pour l'équilibre économique et social français ?

Yannick L'Horty : La France connaît depuis 2008 une dégradation continue. Les années se succèdent, on est maintenant dans la sixième année d'augmentation. Il y a donc en France cette persistance, signe d'une récession longue aux effets durables.

Si le chômage de longue durée des seniors est un problème grave, il l'est encore plus chez des jeunes de trente ans qui n'ont pas l'accès à la retraite comme une porte de sortie. Quel peut être alors le risque social du chômage de longue durée chez ceux qui n'ont aucune alternative ?

David Bourguignon : La "chance'" des gouvernements c'est la faiblesse de l'action collective des personnes concernées. D'autant plus que le jeu des politiques est surtout de responsabiliser ceux qui sont victimes du chômage. Mais en jouant ce jeu-là, le risque est de généraliser une dépression chez les chômeurs qui peut aboutir après un certain temps au "désengagement psychologique" : le travail ne devient plus une base d'évaluation du "qui je suis". La personne ne cherche donc tout simplement plus d'emploi. Et si les gens se désengagent complètement du travail, vous perdez à la fois en compétitivité, et des compétences.

Yannick L'Horty : Les seniors restent un problème à ne pas minorer, même si les taux d'activité se sont améliorés depuis la dernière décennie (bien qu'ils restent quand même plus faibles en France que dans le reste de l'Europe). La crise a beaucoup touché les classes d'âge intermédiaires, mais numériquement le problème cible surtout les âges avancés.  

Que faire pour ceux qui se seront irrémédiablement éloignés de l'emploi ? Quelle place pour eux dans la société ? En quoi le défi est-il encore plus grand dans un pays comme la France qui a systématiquement tué les "petits boulots" de service ?

Yannick L'Horty : Les demandeurs d'emploi de longue durée se trouvent initialement dans l'assurance chômage, puis rentrent dans l'assistance et finissent par vivre du RSA. On a donc un traitement social du chômage de longue durée qui induit un coût important pour les départements les plus touchés. Il n'y a pas véritablement d'action massive – comme des dispositifs de formation ciblée. Après, les choses ne sont pas tout à fait les mêmes pour les hommes que pour les femmes : ces dernières peuvent trouver à se réinsérer dans les emplois à la personne, où les hommes vont moins volontiers. Ces derniers sont surtout surreprésentés dans le secteur industriel où, compte tenu de la crise, les opportunités de sortir du chômage de longue durée sont inexistantes.

Si les solutions à prendre ne passent pas par la formation, on peut imaginer la création d'emplois aidés, ou des exonérations de cotisations sociales ciblées sur les types d'emplois où ces personnes pourraient facilement se réinsérer. L'économie sociale et solidaire, les chantiers d'insertion, le travail associatif peuvent aussi constituer des gisements possibles pour les personnes les plus éloignées du marché de l'emploi.

David Bourguignon : Il y a quand même des "petits boulots" qui persistent et qui sont occupés au noir ou dans des conditions de précarités très fortes. Et quand il n'y en a pas assez, on se dirige même vers des propositions de "bénévolat" où on travaille pour rien du tout. Pour moi, pour l'instant, la piste la plus importante est le maintien de la santé mentale des personnes victime du chômage. On ne peut pas leur proposer d'emploi, il n'y en a pas. Donc est-ce que l'on va enfoncer les gens, ou essayer de les suivre ? Il n'y a pas d'autres discussions possibles car il n'y a pas vraiment d'alternatives… 

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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