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Partir à la défense des chrétiens du monde
Partir à la défense des chrétiens du monde
©ANWAR AMRO / AFP

Bonnes feuilles

Alexandre Goodarzy publie « Guerrier de la paix » aux éditions du Rocher. En 2015, la guerre en Syrie entre dans sa quatrième année. Face à la montée des périls en Orient, de jeunes volontaires ont répondu à l'appel : porter secours là où les chrétiens sont en danger. Alexandre Goodarzy est l'un d'entre eux. En 2014, ce jeune professeur d'histoire-géographie rejoint l'association SOS Chrétiens d'Orient. Extrait 2/2.

Alexandre Goodarzy

Alexandre Goodarzy

Alexandre Goodarzy parcourt depuis une vingtaine d'années les pays du Proche-Orient et de l'Asie centrale. Il a vécu de 2015 à 2020 en Syrie. Il est aujourd'hui directeur adjoint des Opérations - responsable Développement chez SOS Chrétiens d'Orient.

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11 novembre 2019

— Hovsep Hanna Bidoyan a été abattu avec son père et un diacre. L’assassinat a été revendiqué par Daech… Ils étaient partis de Hassake et se rendaient à Deir ez-Zor… Voilà, je voulais te prévenir.

Après avoir raccroché, j’étais resté abattu un long moment. La zone autour de Deir ez-Zor n’était pas encore pacifiée et des islamistes y rôdaient encore.

Le père Hovsep était en charge de l’église arménienne catholique de Qamishli. Nous nous étions rencontrés dans cette ville. C’était lui qui m’avait proposé de venir en Arménie.

— Si vous apportez de l’espoir aux chrétiens, alors il vous faut venir en Arménie, ils en ont besoin…

Le père m’avait sollicité car il avait besoin d’aide pour faire partir quelques dizaines de jeunes Arméniens afin qu’ils participent au grand rassemblement des Arméniens catholiques. Il faut se rappeler que l’Arménie avait été le second royaume à se convertir au christianisme, en 301, après le petit royaume d’Édesse, de 204 à son absorption par l’Empire romain en 216. L’Arménie d’aujourd’hui a perdu près de 90% de sa surface par rapport à son royaume historique. Enclavée entre la Turquie à l’ouest et l’Azerbaïdjan à l’est, elle est bordée au nord par la Géorgie et au sud par l’Iran.

L’Arménie est un pays chrétien mais non chalcédonien, et seulement 10% de la population est catholique. Le père m’avait invité pendant l’été 2018 à partir avec ses jeunes ouailles à Gyumri, dans le nord de l’Arménie, là où devait se dérouler la rencontre. SOS Chrétiens d’Orient avait aidé financièrement le prêtre afin que tous ces jeunes Syriens d’origine arménienne puissent échapper à cette guerre quelques jours et revisiter le pays de leurs ancêtres. Des volontaires français s’y rendirent également pour participer aux activités avec eux.

Gyumri est la deuxième ville du pays après Erevan, mais aussi la principale ville de la région la plus pauvre, celle de Shirak. Jadis verdoyante et riche, Gyumri avait été détruite à 60 % par le tremblement de terre de 1988. La ville avait vu s’écrouler ses dizaines d’industries, ses milliers de maisons et ses églises. Même la région avait perdu ses forêts car, pour survivre, les habitants avaient eu besoin du bois pour se chauffer.

L’économie devenue catastrophique avait poussé la jeunesse à s’exiler à Erevan ou à l’étranger pour un avenir meilleur. C’était la plus grande malédiction du pays : l’Arménie était un pays qui se vidait. Officiellement peuplée d’environ trois millions d’âmes, on en comptait en réalité beaucoup moins. Après le tremblement de terre, 2 500 familles à qui l’État avait promis des logements avaient été placées dans des Domiks, sortes de containers aménagés en lieux de vie, le temps de trouver une maison où s’établir. Seulement voilà, cela faisait trente ans que ces familles vivaient dans ces conditions. Un abri où la température descendait à – 40 °C l’hiver et montait à 50 °C l’été…

Abandon des terres, des maisons, des véhicules, des usines. Abandon aussi des femmes et des enfants. Nombreux étaient les hommes qui partaient travailler en Russie près de onze mois et demi par an. Beaucoup ne revenaient pas. Or, une femme avec enfants qui se remariait ne pouvait pas, dans son nouveau foyer, emmener les enfants de son premier mariage et devait les confier soit à leurs grands-parents, soit à un orphelinat. Il existait ainsi dans certaines régions des « villages de femmes », entièrement peuplés de femmes. Et puis il y avait cette incompréhension majeure et grandissante entre la diaspora et l’Arménie. Les membres de cette diaspora, autrefois active, se contentaient aujourd’hui d’envoyer de l’aide par le biais de nombreuses petites associations diverses, sans se rendre compte que ce système n’était plus le bon. Se rendant de moins en moins en Arménie, ils ne parlaient plus la même langue.

À peine revenu d’Arménie, je fus envoyé par la direction de l’association en mission de supervision des actions SOS Chrétiens d’Orient en Éthiopie, dans le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique. Avec ses 110 millions d’habitants, l’Éthiopie est constituée de près de 60% de chrétiens et de 30% de musulmans, le reste étant issu de diverses croyances, dont des animistes. L’Éthiopie moderne est issue du royaume d’Aksoum qui s’était convertie en 330 après J.-C.

Comme l’Arménie, l’Éthiopie est un vieux pays chrétien, mais là encore d’abord non chalcédonien. Les catholiques, eux, ne représentent que 1% des chrétiens et fournissent 90% de l’aide humanitaire. L’Église orthodoxe tewahedo éthiopienne n’apporte pas d’aide matérielle, mais invite les gens à leur liturgie en leur promettant une formation religieuse. C’est une aide « traditionnelle », c’est-à-dire qu’elle se contente de rassembler les gens autour de l’église après les offices pour leur distribuer à manger ou autre chose. Là encore, comme en Arménie, la plupart des jeunes migraient. Cette fois-ci en direction du Proche-Orient. Les passeurs cherchaient les familles les moins pauvres, puis les approchaient afin d’essayer de les convaincre de partir. Presque autant d’hommes que de femmes partaient, mais vers des destinations différentes.

Chaque jour, à l’aéroport de Beyrouth, atterrissaient des avions remplis de femmes en provenance d’Éthiopie. Dès la sortie de l’avion, elles étaient emmenées en rangs par deux par les autorités libanaises. Des esclaves modernes qui prenaient le relais des Srilankaises et des Philippines qui les avaient précédées. Cela faisait près d’une dizaine d’années que les Éthiopiennes affluaient en masse au Liban. Pour les garçons, les destinations étaient tout autres. La plupart fuyaient à pied vers le nord et malheureusement finissaient souvent enlevés au Soudan, ou pire par des membres de l’État islamique dans le Sinaï égyptien. Exécutés sur place ou bien objets de rançons, il n’était pas rare non plus de les retrouver au marché aux esclaves de Benghazi en Libye… Les plus « chanceux » se retrouvaient dans un bateau en plastique à traverser la Méditerranée en quête d’un eldorado européen. C’étaient pour toutes ces raisons que SOS Chrétiens d’Orient faisait le maximum pour aider cette jeunesse à trouver une raison de se maintenir dans le pays.

La Jordanie vit encore une autre situation. Depuis l’invasion américaine de l’Irak en 2003 et la chute de Saddam Hussein, les chrétiens sont devenus victimes d’exactions de la part de sunnites comme de chiites. En Jordanie, le roi Abdallah II est plutôt bienveillant envers les chrétiens, mais la rue jordanienne, largement gagnée par le wahhabisme du voisin saoudien, reste hostile vis-à-vis d’eux.

Des manifestations de soutien à l’État islamique avaient éclaté en 2014 en plein centre-ville de Kerak. La grande majorité des réfugiés irakiens qui avaient gagné Amman l’avaient fait dans le but de rejoindre l’Occident. Pour eux, la Jordanie n’était qu’une étape. Pour l’heure, ils étaient là afin d’obtenir le statut de réfugiés et prétendre à l’obtention d’un visa pour le Canada ou l’Australie, les deux destinations les plus prisées.

Interdits de travail en Jordanie, ils restaient totalement dépendants des organisations humanitaires qui ne les visitaient que rarement.

Nous étions là pour eux. Mais afin d’agir de manière équitable, nous venions aussi en aide aux chrétiens locaux en subvenant aux besoins des paroisses des différentes villes du pays.

Sur place, notre travail consistait essentiellement à donner des sacs de provisions alimentaires et hygiéniques à ces réfugiés chrétiens venus d’Irak. Ils vivaient essentiellement à Amman, dans les quartiers de Jabal Hussein, Ashrafieh, Al-Hashimi et Marqa.

On en comptait 12 000, soit l’équivalent de 3 000 familles. Nous étions présents aussi aux côtés des chrétiens jordaniens. Pour eux, nous développions des projets autour des paroisses chrétiennes des villes et villages de Kerak, Smakie, Ader et Mafraq, afin d’aider les prêtres à faciliter la vie de leurs paroissiens.

Eau potable, transports de bus du foyer à l’école, terrains de sport, quelques exemples de projets dont nous assurons les financements à distance et que nous visitons chaque mois. Activités d’été, pour Noël et pour Pâques, nous envoyons les volontaires à chacune de ces périodes pour nous tenir aux côtés de la jeunesse chrétienne de Jordanie et d’Irak.

A lire aussi : Le drame des Chrétiens d'Orient

A lire aussi : Le sacrifice et le courage des chrétiens d’Orient à travers les âges

Extrait du livre d’Alexandre Goodarzy, « Guerrier de la paix », publié aux éditions du Rocher.

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